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UN MOMENT HISTORIQUE, DES PERSPECTIVES INCERTAINES

par Arno Gauthey

[ voir également "Italie, la croisée des chemins", du même auteur ]

 

- Berlusconi, après Thatcher et Reagan
- Un centre-gauche en mal de projet
- La question sociale retrouvée ?
- La stratégie d'ouverture de Refondation communiste

A n'en pas douter, cette manifestation trois fois millionnaire du 23 mars 2002 constitue un moment historique pour l'Italie de l'après-guerre. Comme le titrait L'Humanité, chapeautant un bel article, elle a révélé une "Rome rouge de colère et de bonheur" (1). Rouge de colère, face aux mauvais coups répétés sans cesse par le gouvernement et le patronat. Rouge de colère, face au coup de poignard de " nouvelles " Brigades rouges qui n'ont plus grand chose à voir avec leurs groupes de référence. Rouge de bonheur, aussi, surtout peut-être, de se sentir si forte. Rouge de bonheur, mais s'interrogeant aussi quant à la suite à donner à cette démonstration de force.
Fort heureusement, il semble que l'on puisse toujours compter sur le cabinet Berlusconi pour resserrer les rangs des forces de gauche.

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Berlusconi, après Thatcher et Reagan

Au premier abord, il n'est pourtant pas évident de saisir la logique de l'action du ministère des Affaires sociales depuis ces derniers mois. L'attaque engagée contre le Statut du Travail, dont l'ossature remonte aux années 1970, ne doit cependant rien au hasard. Avec l'intégration de l'Italie dans l'Euroland, les entreprises ne peuvent plus jouer la carte de la faiblesse de la lire pour favoriser leurs exportations. Avec le strict encadrement des déficits budgétaires et de l'inflation, l'État s'est dessaisi d'une grande partie de sa capacité d'intervention (2).
En somme, il ne reste guère plus que la masse salariale comme variable d'ajustement. Il s'agit donc de faire en sorte que les travailleurs soient le moins en mesure possible de peser sur le niveau des rémunérations comme sur les conditions de travail. D'où la nécessité de réintroduire une pression à la baisse sur ces derniers, notamment en renforçant " l'armée de réserve " (3). Halte à la dictature du prolétariat, sus à l'exploitation des petits patrons par les gros salariés !
Pour parvenir à la tranquillité des entrepreneurs et sauver leurs parts de marché dans le monde merveilleux de l'économie globalisée, Berlusconi et la Confindustria ont de solides références : Margareth Thatcher et Ronald Reagan.
Là est probablement l'origine de l'inflexibilité de Giulio Tremonti et de tout le gouvernement. Jouer la carte de la division syndicale, ne céder sur rien, et tenir des propos - avant des actes ? - criminalisant la CGIL et son principal dirigeant, Sergio Cofferati… tout cela ne vise-t-il pas en dernière instance à briser les syndicats en tant qu'instruments de solidarité et de défense des travailleurs ? Difficile autrement de comprendre l'acharnement à ne pas négocier : après la manifestation du 23 mars, le gouvernement a fait savoir que toute discussion est reportée sine die. 
Pour autant, le gouvernement pourra-t-il se passer d'un syndicat " de référence ", comme les démochrétiens l'avaient fait ?
On ne peut qu'espérer que les syndicats italiens tiendront bon, là où les britanniques et les étasuniens se sont largement brisés. Et que le gouvernement ne fera pas tirer sur les travailleurs.

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Un centre-gauche en mal de projet

Face à ces attaques, le moins que l'on puisse dire est que le centre-gauche est dans ses petits souliers. Principal maître d'œuvre des politiques d'austérité et de mise à niveau de l'économie pour son intégration dans l'Euroland, il est aussi globalement favorable à des mesures visant à "assouplir" le marché du travail. Nombreux en sont les responsables qui estiment souhaitable de simplifier les procédures de licenciement.
De la même façon, si l'on quitte le domaine social pour celui du " conflit d'intérêts ", les héritiers des gouvernements Prodi et D'Alema ne peuvent qu'être mal à l'aise. N'ont-ils pas cautionné le report d'une véritable législation sur le sujet, afin de donner des gages à Silvio Berlusconi et l'inciter à coopérer sur la réforme des institutions ?
Au juste, le centre-gauche - surtout si on l'étend à L'Italie des valeurs de l'ex juge ex berlusconien Antonio Di Pietro - n'a pas grand chose à proposer si ce n'est une gestion on ne peut plus loyale et empressée du capitalisme. Encore un exemple de réformisme sans réformes. Jusqu'ici, on ne l'a guère vu que tabler sur un hypothétique éclatement de la coalition de droite, pour espérer reprendre le pouvoir avant le terme de la législature. 
Alors, diaboliser, démoniser Berlusconi, en faire une manière de Mabuse italien capable de tout et doté d'une puissance psychique redoutable. Et ne pas se compromettre envers d'hypothétiques partenaires de centre-droit en tenant des propos para-bolcheviques… Sans oublier le petit jeu de la guerre des chefs et des appareils au sein de l'Olivier.
Riante perspective.
Dans ces conditions, on comprend la défiance de plus en plus manifeste du " peuple de gauche " et de quelques uns de ses hérauts envers l'Olivier. Il aura fallu toute l'énergie du gouvernement pour que ces partis finissent par retrouver, modestement, le chemin de la rue. " Ce mouvement nous dépasse, feignons de l'organiser ", et invitons quelques intellectuels irrités mais pas trop rouges, pour échanger, pour dialoguer… 
De faux airs d'Assises de la transformation sociale, en somme. Si les résultats sont aussi brillants qu'en France autour du PS, l'Italie est mal partie.

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La question sociale retrouvée ?

Avec le dévoilement du programme de Parme de la Confindustria, l'an dernier, puis le feu roulant engagé par le gouvernement, on assiste à une quasi déclaration de guerre sociale. Les procédés sont classiques, de la dénonciation des menées antidémocratiques des syndicats à la stigmatisation des salariés d'entreprises de plus de quinze employés indûment protégés par le Statut du Travail quand d'autres (risquophiles ?) n'ont droit qu'au minimum. Toujours la rengaine de l'alignement sur le moins disant social. Toujours les propos mielleux sur les employés sans histoire qui n'ont aucun souci à se faire quant à la suppression de l'article 18. Mais aussi le protocole d'accord en faveur d'un assouplissement du marché du travail en Europe signé par Silvio Berlusconi et Anthony Blair (4), en février.
L'aspect positif de tout cela est peut-être d'avoir replacé au centre du débat politique italien une question sociale généralement évitée. D'avoir souligné l'urgence de l'intégration de près de quatre millions de " travailleurs atypiques ", ne bénéficiant guère de protection sociale ou sanitaire, dans un droit commun. D'avoir dessiné, au moins en creux, les contours d'un bloc social et politique majoritaire à gauche.
C'est aussi peut-être, dans une Italie comptant plus de dix millions de syndiqués, un point de départ pour une construction de nouveaux lieux de résistance, de contre-pouvoir, à l'abri des manœuvres du centre-gauche.

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La stratégie d'ouverture de Refondation communiste

C'est probablement ce qu'a perçu la direction de Refondation communiste. A quelques semaines du cinquième congrès, le secrétaire général s'est adressé à l'Olivier de façon formelle d'une façon inédite depuis la rupture du soutien au gouvernement Prodi.
Tout en pointant les différences fondamentales entre les " deux gauches ", Fausto Bertinotti propose à l'Olivier une action commune sur les plans parlementaire, politique et programmatique. Parlementaire : obstruction contre toute loi visant à démanteler le droit du travail. Programmatique : lancement d'une série de référendums d'initiative populaire sur l'élargissement de la protection de l'article 18, sur le conflit d'intérêts ou sur une taxe Tobin. Politique : proposer un relais commun au pôle syndical, au pôle " no global " et au pôle " citoyen ", sans vues récupératrices.
Car, pour Refondation, il s'agit de ne pas commettre l'erreur d'une instrumentalisation de la lutte syndicale, notamment. " Faire de la grève syndicale une grève politique, une grève pour renvoyer Berlusconi, serait une bêtise ". 
Est-ce une mise en sommeil de l'appel à la constitution d'une " gauche plurielle à l'italienne ", ou bien une étape intermédiaire ? Le congrès d'avril devrait apporter des éléments de réponse.
En attendant, on retrouve dans ces propositions une extension du rôle que s'est attribué Refondation au sein, entre autres, du mouvement altermondialiste : ni extériorité, ni avant-gardisme, au cœur du Mouvement. Reste à savoir si le centre-gauche est prêt à entendre pareil discours. Du côté des manifestants, la chose devrait mieux passer, puisqu'elle se place dans une perspective unitaire mais respectueuse des spécificité de chaque mode d'intervention.

Après le 23 mars, la reconstruction est donc à l'ordre du jour. Mais dans quelle direction ?

Arno GAUTHEY

1 - L'Humanité, 25 mars 2002.
2 - Ce dont l'État avait certes usé et abusé, pour le meilleur mais aussi souvent pour le pire, ces dernières décennies…
3 - On notera à ce propos que la situation démographique de l'Italie, caractérisée par un vieillissement accéléré, aggrave la situation du point de vue des employeurs…
4 - Preuve, s'il en était besoin, que Berlusconi n'est pas un homme de droite !

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