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La procession des fulminants
Les prétentions intellectuelles, voire théoriques, des « stars » patentées du journalisme et des « experts » labellisés par les médias valent, à leurs propres yeux, attestation de la légitimité de leurs fulminations et de la position hégémonique que celles-ci occupent dans les « grands médias ». Raison suffisante de publier ici, sous forme de tribune libre, la critique sans complaisance de Frédéric Lordon, chercheur, économiste.
Un pays sans miroirs
Tout au long de la campagne, quand on devait se fader à longueur de journée, sur toutes les antennes et dans les colonnes de tous les journaux (rappelons que seuls l’Huma, Politis, Regards et le Monde diplomatique avaient pris position pour le non) les inepties et les injures des éditorialistes oui-ouistes, on se consolait avec cet espoir confus, à peine formulé: si le non passe, alors, ils comprendront… Avec le recul, évidemment, c’était d’une naïveté inouïe. Mais à quoi d’autre pouvait-on se raccrocher, puisque le suffrage universel était
Après le non, la gauche n'échappera pas au débat sur le libéralisme et le productivisme.
Le non a gagné, et cette victoire marque une rupture importante. Elle inaugure un
autre moment dans la construction européenne. Construite par le haut, par les élites
et par l'économie, l'Europe est restée longtemps absente du débat, ou
instrumentalisée comme le mauvais objet de la politique. Avec le référendum, la
question de l'Europe s'est posée partout, des machines à café aux repas de famille.
L'obligation de contrer le oui en affichant une autre Europe a même obligé certains
nationalistes honteux (le PCF) à se proclamer défenseurs d'une Europe de gauche,
recouvrant le vieux clivage Européens/républicains. Ce vote ouvre aussi une série de
tâches pour la gauche. Ce qu'une société a fait peut être refait; encore faut-il
satisfaire à des conditions économique, politique et démocratique.
Ils vont bouder longtemps ? A
partir de 55 % de non, me disais-je la semaine dernière en mon for, «ils» (la quasi-unanimité des commentateurs de ces choses) seront contraints de nous lâcher un peu, avec notre «xénophobie» (terme générique), pour ne parler que de la pire de nos tares car il est patent que nous sommes tarés. Avec un non si porteur de gauche et d'Europe, me disais-je dimanche, il va bien falloir qu'enfin ils nous entendent. J'ai compris que j'avais tout faux en voyant Mélenchon quitter son plateau télé après s'être fait couper la chique afin que s'exprime encore un troisième couteau villiériste ou un autre porte-parole du oui défait. Ainsi s'esquissa en raccourci dans la nuit le ton des revues de presse du matin ; aux éditorialistes du oui, le non de gauche n'avait rien appris, et s'il s'était passé quelque chose, c'était rien moins que «la marche en avant du national-socialisme»... (entendu dans les murs mêmes de Libération, sur le ton d'une blague mais avec un rictus qui démentait la blague). Ils n'étaient pas marrants avant, les prosélytes médiatiques du oui, otages bienveillants ou complices d'une incompétence politique, mais leur amertume d'après leur fait un drôle d'humour ou une drôle de colère, comminatoires et également inquiétants. Comme si, s'étant eux-mêmes enchaînés, tels écologiques activistes, au rail de leurs certitudes et n'ayant daigné s'en détacher à l'approche du train d'un non européen et de gauche, ils ne pouvaient plus s'en défaire. C'est triste, mais c'est aussi embêtant, en ce que ce déni de réel, niant d'avance toute hypothèse de renégociation (pourtant inéluctable et le plus tôt sera le mieux, dès que son camp lui-même se sera débarrassé de Chirac), proclame Villiers et Le Pen vainqueurs du scrutin. Ce que ceux-ci n'eurent pas le front de faire, ils l'ont osé. On veut croire que la raison les rattrape et fasse bientôt cesser leur bouderie stérile. Parce que, à l'encontre de leurs prévisions, chacun a pu constater lundi que la vie continue, et que l'Europe ne demande que cela.
Empêcher le recul social, rompre avec la logique monétariste, faire entendre les peuples...
Le non vient de l'emporter sans la moindre ambiguïté avec un vote massif des classes populaires. Ce résultat vient de loin. Il est ancré dans les mobilisations sociales et citoyennes de ces dernières années marquées par un refus de plus en plus fort des politiques néolibérales dont l'apparition à l'échelle internationale du mouvement altermondialiste est le signe le plus tangible. En France même, le refus réitéré de nos concitoyens d'accepter les politiques néolibérales s'est manifesté scrutin après scrutin et ce, quel que soit le gouvernement en place. Après les grandes manifestations contre la «réforme» des retraites, les mouvements sociaux de ces derniers mois ont encore montré, s'il en était besoin, la force de ce rejet. Dans cette situation, l'autisme des principaux dirigeants politiques de ce pays, de droite comme de gauche, n'en est que plus frappant, de même que la constance du Medef dans ses projets de régressions sociales. C'est cet autisme qui a d'abord été sanctionné le 29 mai. Ce résultat marque l'échec d'une pédagogie de la résignation et le retour de la politique contre la communication.
Et maintenant?
Cette fois c’est fait, le NON est passé... qu’allons nous faire de cette nouvelle situation. Le fonctionnement marchand de l’Europe ne va pas s’arrête pour autant, pas plus que les affaires.... Désormais « la balle est dans notre camp ». Nous avons, à juste titre refusé l’Europe que nous promettait le TCE... reste, et ce n’est pas le plus facile, à dire, et surtout à faire, ce que l’on veut.
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