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Introduction au cycle de formation des Alternatifs" 9 janvier

INTERCOMMUNALITE : LE DOUBLE ENJEU

31 424 communes (sur 36 679), abritant 51 millions d’habitants (82% de la population) étaient, au premier janvier 2004 regroupées au sein d’établissements publics à fiscalité propre. Dans plusieurs régions, c’est une couverture quasi totale en EPCI (Établissements publics de coopération intercommunale) que l’on constatait. Cette situation, trop peu prise en compte dans nos réflexions sur l’aménagement et sur la démocratie locale, est le résultat d’une déjà longue histoire.

De l’héritage historique aux volontés de changement : la longue exception française

D’un côté, Mirabeau. Il souhaite asseoir le pouvoir central sur l’émiettement communal et prône la transformation des 44 000 paroisses qui couvre le territoire de la France en cette année 1789 en autant de communes. De l’autre côté Condorcet, Sieyès, Thouret qui pensent que « la démocratie serait plus forte dans de grandes communes », demandent la création de 6 500 communes. La Constituante tranche, en faveur de Mirabeau, en réduisant toutefois à 38 000 le nombre de communes.

Ce choix va mettre durablement la France dans une situation particulière : dans les années 60 du XXe siècle, le nombre des communes est une fois et demi plus élevé qu’en Allemagne, cinq fois plus élevé qu’en Italie et en Espagne et vingt-cinq fois plus qu’en Grande-Bretagne !

Absente de la loi du 5 avril 1884 -qui demeure encore aujourd’hui la base du droit local- l’intercommunalité apparaît six ans plus tard (22 mars 1890) avec la loi instituant le syndicat intercommunal. On ne peut nier le succès de ces établissements publics spécialisés, puisque près de 16 000 syndicats intercommunaux verront le jour pour assurer des services aussi divers que l’adduction d’eau, l’électrification, l’enlèvement des ordures ménagères, les transports, etc.

Après les tentatives de « L’État français » (loi de 1942) et les ordonnances de 1945 c’est, le 5 janvier 1959, la toute jeune cinquième République qui fait progresser la coopération intercommunale en créant, par ordonnance, les SIVOM (Syndicats intercommunaux à vocation multiple) et les districts urbains avec instauration de la fiscalité propre et des compétences minimales obligatoires. Si les SIVOM rencontrent l’adhésion, les districts sont boudés, d’où la loi du 31 décembre 1966 créant les communautés urbaines… et les imposant à Bordeaux, Lille, Lyon et Strasbourg.

1971 : plusieurs pays européens (Danemark en 1967, Allemagne en 1968, Italie en 1970) ont réduit le nombre de leurs communes, d’autres (Belgique, Grande-Bretagne) s’apprêtent à le faire. La France tente de suivre ce mouvement, par le biais de la fusion de communes. C’est la loi dite « loi Marcellin », loi incitative (promesse de dotations accrues), qui se solde par un échec cuisant, le nombre de communes passant de 37 700 en 1971 à 36 400 en 1977[1].

C’est dans le cadre de la décentralisation que la volonté de voir évoluer la réalité communale va alors se traduire. De façon autoritaire d’abord, dans le rapport Guichard (1976), rapport tellement rejeté par les élus locaux qu’il ne fut même pas publié ; de manière plus souple ensuite (contrats de pays, chartes intercommunales, conventions de développement) avec plus ou moins de succès.

Profitant d’une convergence d’intérêt entre l’État (déconcentration des services), les Régions (devenues compétentes en matière d’aménagement du territoire), les communes (ressentant un besoin d’efficacité) et l’accélération de l’intégration européenne, les approches autoritaires et consensuelles vont tenter de se concilier dans la loi du 6 février 1992, « loi d’Administration territoriale de la République (ATR) », dite « loi Joxe ». C’est elle qui crée et les communautés de communes et les communautés de ville et incite aux regroupements intercommunaux sur la base de « schémas de coopération ».

Mais c’est surtout la loi « Chevènement », « Relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale »[2], votée dans la quasi indifférence estivale le 12 juillet 1999, qui nous amène à la situation que nous connaissons aujourd’hui. Trois types d’EPCI (Établissements publics de coopération intercommunale) sont définis par la loi « Chevènement » :
- la communauté de communes (moins de 50 000 habitants),
- la communauté d’agglomération (de 50 000 à 500 000 habitants) et
- la communauté urbaine (plus de 500 000 habitants).

Dans chacune de ces communautés, les communes sont associées au sein d’un « espace de solidarité ». La communauté exerce « de plein droit, en lieu et place des communes membres » des compétences « d’intérêt communautaire » qui sont transférées, obligatoirement (développement économique, équilibre social de l’habitat, aménagement de l’espace, voirie, etc.) pour certaines, de manière optionnelle ou facultative (eau, assainissement, ordures ménagères, etc.) pour d’autres ; le nombre de compétences transférées étant plus ou moins important en fonction de la nature de la communauté[3].

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L’intercommunalité dans les Alpes-Maritimes

Longtemps rétive à la coopération intercommunale et à la création d’EPCI à fiscalité propre (contrairement au « Grand Ouest » par exemple), la région PACA (et particulièrement les Alpes-Maritimes) ne s’est convertie que récemment à cette forme de rapprochement communal. Entre octobre 1998 et janvier 2004 ce sont huit communautés de communes et, entre septembre 2001 et janvier 2002, quatre communautés d’agglomération qui se sont ainsi créées dans les Alpes-Maritimes… la géographie particulière du département et la culture politique locale en faisant souvent des contre-exemples en matière d’aménagement comme de démocratie.

L’AG départementale des Alternatifs des Alpes-Maritimes du 16 octobre dernier a pu faire un constat accablant de l’application de la loi Chevènement quand se combinent l’imposition d’un périmètre pré-établi sans vraie concertation par le Préfet et l’ignorance de la plus élémentaire démocratie par la plupart des élu-e-s de la droite locale.

Le caractère très particulier d’un département dont la façade côtière concentre toutes les grandes villes et près de 95 % de la population sur une frange du territoire, dont l’essentiel des communes sont soumises soit à la « loi littorale », soit à la « loi montagne » demande une réflexion spécifique. Traditionnellement on y distingue trois zones : la bande littorale, le moyen-pays et le haut-pays. Or la délimitation de trois des quatre communautés d’agglomération[4], à vocation urbaine, partant du bord de mer pour se développer jusqu’aux limites du haut-pays, voire en intégrer une partie, n’est pas obligatoirement la façon la plus pertinente de maintenir l’existence d’un moyen-pays, nécessaire à l’équilibre écologique et humain dans les Alpes du sud. D’autres propositions avaient été formulées par les acteurs locaux, une « Communauté des trois corniches », par exemple, entre Nice et Menton. Aucun débat véritable, envisageant la question de l’ensemble du département n’a eu lieu.

La création de la communauté de Nice, « Communauté Nice Côte-d’Azur » (CANCA), est la plus caricaturale. Le périmètre défini par le Préfet en septembre 2001 a été découvert par les élu-e-s de certaines des communes concernées… dans la presse locale ! Sur les vingt-deux communes incluses dans ce périmètre, six ce sont prononcées contre leur intégration, mais, bien que leur absence du périmètre final ne créé pas d’enclaves et qu’elle aient la possibilité de participer à la création d’un autre EPCI, bien que les populations aient manifester massivement leur désaccord, argumenté, elles ont été retenues dans l’arrêté préfectoral de création de la CANCA. Le recours, déposé immédiatement au Tribunal Administratif, contre cet arrêté préfectoral pour « erreur manifeste d’appréciation » n’a été jugé, et rejeté, qu’après plus de deux ans et demi après d’attente.

Mais la création extravagante a été suivie par un fonctionnement tout aussi contestable de la communauté. La ville-centre, Nice, qui possède quarante et un sièges (sur quatre-vingt treize) au conseil communautaire, se trouve représentée par quarante et un élu-e-s de la liste Peyrat. Le maire de Nice, qui n’a jamais renié son passé au FN, n’a pas jugé utile d’attribuer ne serait-ce qu’un siège à ses oppositions municipales (FN d’un côté, Nice-Plurielle -PS, PC, Alternatifs, Verts- de l’autre). Et ce n’est pas contraire à la loi ![5]

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"Défauts" et enjeux

Nous avons là une illustration, certes particulièrement extrême, des "défauts" et des enjeux de la loi Chevènement :
-Bien que capitale en terme d’aménagement du territoire, la définition du périmètre de la communauté a été décidée de façon autoritaire, par le représentant de l’État, sans autre recours pour obtenir des changements que le juge administratif.
- Quant à la démocratie, même limitée à sa forme de démocratie représentative, elle n’existe pas.

Dans le cas qui nous intéresse, le sénateur-maire de Nice, devenu président de la Communauté d’agglomération Nice Côte d’Azur, dirige sans opposition, une entité aux compétences et au budget énormes, rassemblant 500 000 habitants (près de la moitié de la population du département)[6]. Bientôt, il pourra être doté de « certains pouvoirs de police » (dans les domaines de compétence de l’EPCI, pour « autoriser le déversement d’effluents non domestiques » ou concernant les « aires d’accueil ou de terrains de passage des gens du voyage » par exemple), sur simple proposition, puis accord des autres maires, sans nécessaire délibération des conseils municipaux.

Alors que les EPCI s’apparentent de plus en plus à des collectivités territoriales, leur exécutif ne devrait-il pas être élu au suffrage universel ? Il semble que ce soit la moindre des choses, mais certains craignent que ce soit par la même occasion la disparition à terme des communes, encore largement perçues comme un échelon de démocratie de proximité. Par contre, s’impose sans problème l’exigence d’une plus grande information des citoyens, d’une plus grande transparence de l’activité des EPCI.

Et puis, et c’est une réflexion à mener d’ici la campagne des municipales de 2007 (ou 2008), dans laquelle l’intercommunalité aura probablement une place qu’elle n’a encore jamais eu : comment développer au niveau des EPCI, comme au niveau communal, la démocratie participative pour une "gouvernance locale" d’un type nouveau qui associe les citoyen-ne-s aux décisions.


Information complémentaire (au 08/01/2005)
Il se trouve qu’en cette première semaine de l’année, trois articles parus dans la presse (nationale, régionale et locale) viennent "illustrer" le propos de notre journée de formation sur l’intercommunalité. Il s’agit de papiers du "Monde", du "PCA-Hebdo" et de "tpbm".
- "Le Monde" (n°18645 - mercredi 5 janvier 2005) : « Nice met le cap sur une nouvelle forme de développement économique »
- "PCA-Hebdo" (n°1946 semaine du 7.1 au 13.1.2005) : « Les Paillons disposent de réelles perspectives de développement »
- "tpbm" (n°537 - mercredi 5 janvier 2005) : « Les Alpes-Maritimes entre débats et chantiers » (en particulier le dernier paragraphe « Mobilisation générale »)

[1] A partir de 1978, par le biais de « défusions », ce nombre va même réaugmenter.
[2] A laquelle il faut ajouter sa circulaire d’application (5 juillet 2001), la loi du 27 février 2002 (n°2002-276) relative à la démocratie de proximité et celle du 13 août 2004 (n°2004-809) relative aux libertés et responsabilités locales.
[3] Plus de compétences obligatoires transférées dans la communauté urbaine, moins dans la communauté de communes.
[4] La quatrième communauté, constituée autour de Grasse, est destinée à terme au même profil en intégrant Cannes.
[5] Seules les communautés urbaines sont tenues à une représentativité proportionnelle.
[6] Cette fonction n’étant pas un mandat électif n’est pas comptabilisée dans le cumul des mandats.

Alain Ribière

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