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Tribune des Alternatifs publiée dans "PCA-Hebdo" 9 janvier

NON DE GAUCHE AU PROJET DE CONSTITUTION : LE COMBAT CONTINUE, LA VICTOIRE EST POSSIBLE.


La décision de voter oui prise à la majorité par le Parti socialiste ne met pas un point final au débat sur le projet de Constitution. Elle est une mauvaise nouvelle, parce qu’elle prive les partisans du non de gauche d’une force politique qui se réclame de la gauche ; mais elle a confirmé la politique de la direction du PS plus qu’elle n’a modifié le rapport de force sur cette question. Elle mérite plusieurs commentaires.

Évitons d’abord de condamner en bloc les adhérentes et adhérents du PS ainsi que son électorat. 40% de non, dans des conditions difficiles qui nous donnent un avant-goût de la campagne pour le référendum (pression constante des médias, chantage au chaos, désinformation, mobilisation européenne des partisans du oui), ce n’est pas rien. Saluons la ténacité des militantes et militants de la gauche du PS ; leur échec est aussi la nôtre, d’autant que nous n’avons pas su, à gauche du PS, développer un courant d’opinion qui aurait pu aider à contrebalancer la lourde propagande pour le oui; ils ont leur place dans le combat pour le non de gauche, sous des formes qu’il leur appartient de déterminer.

Paradoxalement, le oui du PS met en lumière la crise de la social-démocratie européenne. L’accord qui, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, a prévalu sur la construction européenne entre ce courant et la démocratie chrétienne est rompu. L’opposition entre l’Europe du capital et l’Europe des peuples passe aujourd’hui à l’intérieur des PS. Elle s’exprime là où les militantes et militants socialistes peuvent prendre la parole, dans le PS belge, chez les jeunes socialistes allemands par exemple. Elle traverse les électorats socialistes. C’est parce qu’ils l’ont compris que les dirigeants de la social-démocratie européenne se sont si activement mobilisés et n’ont pas été regardants sur les arguments (1).

D’autre part la crise des institutions européennes va s’aggraver. Comment ces institutions vont-elles apparaître légitimes aux yeux des peuples si elles mettent en œuvre la politique ultra-libérale définie dans le titre 3 qui constitue une attaque en règle contre les conditions de vie et de travail de ces peuples? La directive Bolkestein par exemple, application anticipée de la Constitution, qui vise à lever tout obstacle à la transformation des services en marchandises, services publics inclus, dépouille ces institutions de tout pouvoir dans ce domaine.

Enfin, le débat a montré que le contenu du projet de constitution répond pleinement aux vœux du patronat européen qui partout le soutient. La droite a poussé des cris de joie après la décision du PS. A ce point que la direction du PS se bat désormais les flancs pour distinguer son oui soi-disant de gauche avec le oui de droite. Rude tâche en effet, le débat ayant montré que le oui de gauche est inconsistant et ne repose que sur la désinformation (2).

C’est dire que le combat pour un non de gauche, inséparable du combat pour une Europe démocratique, écologique, féministe et sociale, est loin d’être perdu. A condition que soient remplies plusieurs conditions.

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Ce combat devra être mené par toutes les forces politiques, sociales, syndicales qui à un titre ou à un autre défendent les salariés et les salariées, les droits des femmes, l’écologie. Il ne s’agit pas de voter pour des candidats ou un programme, il ne s’agit pas d’une consultation électorale courante, mais de se prononcer sur des valeurs et des orientations ultra-libérales qui sont un déclaration de guerre au monde du travail, aux droits des femmes, au respect des équilibres écologiques. Les enjeux sont tels qu’on comprendrait difficilement le silence et la neutralité (3). Comment participer aux initiatives du mouvement altermondialiste sans en même temps condamner tout ce que l’altermondialisme combat dans ses forums locaux, européens, mondial? Chacun a sa place dans ce combat, en toute indépendance, avec ses motivations et sa personnalité propre. La prise de position de la Confédération paysanne en faveur du non, la décision prise par les adhérentes et adhérents d’ATTAC de rejeter ce projet et de prendre une consigne de vote, vont dans ce sens. La victoire, comme la défaite, sera commune.

Il faudra aussi établir clairement le lien entre le contenu du projet et ce que subissent déjà salariés et salariées : augmentation du temps de travail, privatisations, chômage , attaques contre les droits des femmes et le code du travail… Il n’est pas exagéré de parler de constitution du MEDEF, tout en précisant qu’il s’agit, plus largement, de codifier tous les dogmes mondiaux de l’ultra libéralisme. Remarquons qu’à l’heure où la Banque mondiale elle-même reconnaît du bout des lèvres que les plans d’ajustement structurels, qu’elle a appliqués dans le monde avec le FMI, n’ont rien réglé, le projet de Constitution est déjà archaïque!

La création de collectifs unitaires pour un non de gauche dans de nombreuses villes de France peuvent permettre à toutes celles et tous ceux qui le désirent de se retrouver et de mener une active campagne. Les Alternatifs proposent que ces collectifs ne se contentent pas de réunir des organisations mais s’ouvrent aux citoyennes et citoyens qui à partir de leur motivations propres, rejettent ce projet et veulent agir pour un non de gauche, qu’ils organisent de très nombreuses rencontres avec la population le plus à la base possible , et que le non de gauche s’accompagne de propositions pour une autre Europe. Ainsi se développerait une campagne unitaire qui pourrait lancer une dynamique dépassant largement les organisations politiques déjà engagées dans la campagne pour le non de gauche. Cette volonté de faire de la politique autrement en la restituant aux citoyennes et citoyens existe en profondeur et s’est exprimée avec force aux récentes Rencontres citoyennes d’Antibes .

Dans notre département le collectif (4) pourrait aussi mettre en réseaux les initiatives déjà prises par des associations, notamment à l’ouest du département. Il pourrait contribuer à s’ouvrir au non de gauche d’autres forces européennes, politiques ou syndicales, notamment celles agissant en Italie.

Un mot sur la Turquie. Cette question ne doit pas servir d’écran de fumée pour cacher les enjeux de la Constitution. Cette manœuvre de la démocratie-chrétienne et de l’extrême droite a des visées xénophobes et racistes mal dissimulées derrière de fantaisistes considérations religieuses, culturelles, géographiques ou historiques. Elle est reprise depuis peu par la droite, et trouve de surprenants relais à gauche, chez Fabius notamment, qui montre ainsi les limites de son non de gauche. C’est en s’appuyant sur les citoyennes et citoyens de Turquie, les mouvements sociaux, laïques et féministes, ainsi que les minorités, que les institutions de l’Union européenne pourrons hâter la démocratisation de la société turque et obtenir la reconnaissance du génocide subi par les Arméniens. Dès lors que les exigences démocratiques seront satisfaites, il ne peut être que dit oui à l’entrée de la Turquie. Rejeter la Turquie serait s’enfermer dans le « choc des civilisations » et s’aligner sur la politique de Bush. Cette entrée est indispensable pour que l’Europe invente un rapport de respect avec le monde islamique, opposé au rapport de domination que lui imposent les États-Unis, et mette en œuvre dans le monde une politique mettant fin à la guerre et eu terrorisme.

Répétons-le en conclusion : il est légitime que les organisations aient leurs initiatives propres. Mais ce n’est pas suffisant. L’importance de l’enjeu, les perspectives qu’ouvrirait la victoire d’un non de gauche en France, devraient nous donner l’énergie d’affronter l’immense machine de propagande du oui, et la volonté de sortir des sentiers battus pour aller à la rencontre, dans notre diversité, des milliers et des milliers de petites gens sur lesquels le capitalisme s’apprête à frapper fort.

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1. Un exemple entre cent: à la question « Que répondez-vous à ceux qui trouvent l’Europe trop libérale ?» Jacques Delors répondait ainsi : « C’est une question de majorité, ce n’est pas lié au traité ». La partie 3 n’existe donc pas !
2. Les partisans de cet impossible oui de gauche ont, entre autres, prétendu que le projet garantissait l’existence des services publics, alors qu’il mentionne expressément qu’ils sont soumis aux règles de la concurrence.
3. La neutralité est-elle possible? Le refus d’appeler à voter non, de la part des grandes organisations syndicales et associatives, ne serait-il pas utilisé par les partisans du oui pour avancer l’idée que le non n’est le fait que des professionnels du refus et jeter un voile sur le contenu du projet?
4. Le collectif des Alpes-Maritimes est constitué du PCF, des Alternatifs, de la LCR, de PAG et du SGUEN-RC et va s’ouvrir à des organisations qui mènent en ce moment un débat interne. Il a recueilli sur le texte de l’Appel national des 200 de très nombreuses signatures. Il travaille à s’élargir en préparant une Assemblée générale des signataires qui prendra en main l’organisation de la campagne.

Marcelle Monzéglio. Romain Testoris

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