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Web 11 décembre

LA GRANDE ALLIANCE PRECAIRE : UNE MACHINE DE GUERRE MULTITUDINALE CONTRE LE BIOPOUVOIR IMPERIAL

source : http://www.globalproject.info
Traduit de l'Italien par Ludo, HNS-info

Discontinuité : désobéissance et nouveau cycle

Il était annoncé depuis longtemps le soit-disant épuisement de l'expérience du Mouvement des Désobéissant-e-s ... L'assemblée du 21 novembre lancée par les centres sociaux occupés, Morion [2] et Rivolta - au lendemain du séminaire organisé par Global Project - a constitué l'occasion idéale, non pas pour officialiser qui sait quelle « dissolution » (nous n'avons jamais été des aficionados des pires liturgies socialistes, imaginez-vous maintenant) mais bien pour raisonner ensemble à d'autres frères et soeurs, camarades, sur notre actualité : ce que nous ne sommes plus, ce que nous sommes devenus et ce que nous deviendrons.

Mais « épuisement », « fin », « changer de mode », ..., sont des formules totalement inadéquates pour exprimer le processus de transformation de nos communautés. Une expérience vraie voilà ce qu'a été l'expérience des Désobéissant-e-s, dont l'histoire n'a pas besoin d'être mise devant un congrès - et, qui sait, banalement, pour changer de nom. Car toute expérience, si elle est vraie, devient une part irréductible de la subjectivité individuelle et collective allant s'hybrider de toutes les autres expériences de vérité et de libertés traversées par les mouvements. Nous avons été et restons désobéissant-e-s, tute bianche, autonomes et tant d'autres...

Chaque fois qu'une expérience a été menée jusqu'au fond d'elle-même, ou mieux jusqu'à sa nécessité, elle ne disparaît pas, elle va potentialiser le nouveau cycle, les nouvelles subjectivités : le problème, en fait, n'est jamais celui de clore une expérience mais d'en commencer une nouvelle ; et non pas avec la même intensité, mais possiblement avec plus de puissance, de richesse et de liberté.

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Nous sommes tous ces noms à la fois et d'autres viendront s'y ajouter même si attention, un nom commun de la rébellion ne s'invente pas comme s'il s'agissait d'un jeu de société ou d'une opération marketing ; en partie, peut-être, mais surtout parce qu'il émerge de la propre force de l'évènement.

La construction d'un mouvement, c'est-à-dire d'une puissance, est toujours une expérimentation de composition de corps et d'intelligences, et comme enseigne le philosophe de la démocratie absolue, c'est la qualité des rencontres qui décide, à chaque fois, de la positivité ou non de la composition. Nous avons rencontré de nombreux corps avec lesquels nous avons tenté de composer une puissance désobéissante : certains, peu à dire la vérité, se sont révélés négatifs ou tristes tant leur rôle se réduisait à diminuer la puissance d'expression de tou-te-s les autres ; tant d'autres, réellement, qui ont au contraire permis à la désobéissance d'être un grand mouvement, une grande expression de liberté et de rébellion. Pour ceux qui ont fait marche arrière, rappelés à la Maison Mère, il y en a beaucoup qui ont continué et continuent à tenter d'être différent, à penser différemment, à faire autrement. Et chemin faisant, on fait tant d'autres rencontres et ainsi les corps changent, se métissent, deviennent autre tout en conservant tout leur être. Pour cela, ou mieux, aussi pour cela, nous ne retenons plus utile (si quelqu'un ne l'avait pas encore bien compris) la pratique des « porte-parole », de l'auto-définition de Mouvement de quelque chose qui n'a plus de raison de se représenter puisqu'il a dépassé la limite de sa raison d'être : il existe désormais une société désobéissante qui ne nécessite pas d'être représentée mais doit construire une nouvelle institutionnalité de la multitude, exercer son propre droit à l'appropriation, à l'exercice du commun.

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Aujourd'hui donc, à l'intérieur de la férocité de la guerre globale et permanente, à l'intérieur de la tentative de l'Empire d'imposer, de toutes parts, l'état d'exception, mais aussi à l'intérieur d'une énorme et globale tension à la résistance contre-impériale, tout en reconnaissant la désobéissance comme une articulation ontologique de la multitude, nous savons qu'est venu le moment d'appréhender le nouveau cycle de luttes, dans lesquelles nous sommes déjà immergés, à partir du droit de résistance [3] à savoir l'implication des forces subjectives à défense de tout ce que nous avons accumulé en terme de conquêtes sociales et comportements diffus mais aussi comme constituant de nouveaux communs posant avec détermination la question de l'exode.

Exode de la guerre globale et permanente et de l'exploitation biopolitique, exode de l'obéissance à un ordre injuste et assassin et de tout rappel à la valeur présumée de la nation et de l'état, exode du commandement capitaliste sur la connaissance, exode des usines sociales du malheur : paix, revenu, libre circulation, Europe sont les revendications immédiates du programme postsocialiste. Le droit de résistance constitue une nouvelle épaisseur de chair vivante de la multitude : flexible dans son articulation matérielle, capable de se composer indéfiniment et d'exprimer de nouveaux types de relation mais rigide dans l'expression du refus et dans les pratiques d'élargissement de la démocratie.

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L'occasion sauvage : la Grande Alliance Précaire

Nous retenons que le lancement d'un nouveau cycle de luttes multitudinales autour et au sein de la question de la précarité, s'il ne met pas fin à la totalité des articulations des luttes contre-impériales, soit un facteur déterminant pour désigner la production de nouvelle subjectivité à la hauteur - vertigineuse pour certains aspects - de la phase actuelle de conflit contre l'Empire et pour construire une démocratie absolue.

Notre parcours fait ensemble à d'autres réseaux et segments de l'insurgence précaire italienne et européenne - l'Euromayday de 2004 et la reproduction d'apparitions de San Precario [4] ont été des moments décisifs de ce parcours - a effectivement crée un tissu commun formé par une multiplicité de relations entre singularité et communauté qui reconnaissent dans la rébellion à l'exploitation capitaliste néo-libéral l'élément de communauté essentielle pour décider une alliance des nombreux. Une alliance qui effectivement s'est créée dans la GAP, au départ de manière informelle mais qui s'est révélée d'une inattendue force lors de la journée du 6 novembre lors du Carneval romain ou plus précisément lors de l'exercice du commun pratiqué au supermarché Panorama de Pietralata ou à la librairie Feltrinelli de Largo Argentina.

La GAP pourrait être ainsi une de ces occasions qui permettent à la multitude de s'organiser librement au sein d'un dispositif de lutte qui agit autour et à l'intérieur des axes principaux du programme post-socialiste de l'Europe biopolitique. Ainsi attribuer à la GAP le rôle de concurrent à la GAD [5], semble quelque chose de réducteur et qui spécialement risque de rendre subalterne, peut-être même de manière indirecte, l'initiative autonome du précariat social à celle institutionnelle de la « Old Left » : les rythmes du mouvement des précaires et encore plus ceux de la multitude courent sur un plan temporel différent de celui des institutions de l'Etat et/ou de l'Empire. Et lorsqu'ils se rencontrent, c'est plus en terme de conflit, et, dans tous les cas, il n'en dépend pas : ni logiquement, ni ontologiquement.

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Si, au contraire, nous regardons la GAP comme l'enchaînement d'énonciation collective et comme une véritable machine de guerre, nous pouvons tenter, à partir des trois mots qui composent cet acronyme, d'en dessiner les contours.

Grand, le premier des trois mots, ne signifie pas affirmer compter sur une quantité de sujets disponibles à se mobiliser ou encore faire référence à la qualité des forces mobilisées mais c'est une indication d'espérance et de puissance. Espérance pour la multitude d'affirmer matériellement, et donc de manière extensive, son propre projet de libération ; puissance de la multitude capable d'ouvrir biopolitiquement, et donc avec intensité, les espaces matériels au sein desquels elle fait vivre le projet, ou en d'autres mots, capable d'exercer le commun contre l'exercice du pouvoir privé/public. Grand devient donc le troisième des mots.

Précaire, sur le papier le troisième, est en toute logique le deuxième car il qualifie subjectivement la machine de guerre. Il regarde la dimension d'une « politique de l'identité » adéquate à la multitude productive. Par l'utilisation du mot « précariat », il y a la volonté d'indiquer une condition commune, de laquelle dérive un désir commun, d'où une lutte commune. Peut-être, la précarité indique-t-elle aussi la non linéarité de l'agir biopolitique de la GAP, le non être fruit d'une dynamique d'intergroupes mais d'un ensemble d'expériences singulières conduites à l'intérieur de l'actuelle composition de classe portant non pas à la (re)fondation d'un Parti ou d'une Organisation visionnaire, ou qui le prétend, mais bien à la mise en commun de segments de parcours produisant un savoir commun des luttes ; ces luttes pouvant devenir le moteur d'une mobilisation multitudinale, diffuse et moléculaire, capable de produire des évènements impactant au niveau molaire (infrastructurelle) sans jamais tomber dans la présomption de l'autosuffisance « de groupe » et/ou dans l'affirmation identitaire. La GAP, donc, ne peut être un Sujet Politique mais un dispositif multiple, aussi agile que déterminé, produisant des subjectivités qui agissent en réseau à partir des singularités et/ou des communautés territoriales en en condensant les désirs et les forces pour se confronter, avec la puissance adéquate, à la question cruciale de la précarité de l'existence.

Le premier mot est alors celui qui réellement montre (et ne représente pas) le fonctionnement machinal de la GAP : l'Alliance. Ou du moins l'est, si nous ne sous-estimons pas les potentialités au niveau de l'innovation de l'agir politique en commun et de l'allusion à la formation de machines de guerre contre-impériales. L'Alliance nous parle de construction d'un tissu de relations sociales et politiques immanentes et pour cela in/stables et privées d'un centre de pouvoir interne. Une vraie Alliance ne fonctionne pas sur la base d'une discipline de fer ou d'une hiérarchie de pouvoir mais prend vie en présence d'une Ethique partagée par de nombreuses subjectivités à savoir autonomie et comportements communs, règles singulières et désirs communs, pratiques subjectives et luttes communes ; l'unique affect de contrainte étant, ou devant être, la solidarité entre les nombreux.

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Pierre Clastres a montré comment les alliances dans les « sociétés primitives » servirent exactement à repousser la formation d'un Etat ou d'un équivalent - à vous de choisir : le Parti, le Syndicat, ..., tout ce qui est synonyme d'Unicité - et à permettre le déchaînement de la guerre des nombreux contre toute formation stable de pouvoir, tant interne qu'externe. A quoi sert, se demandait Clastres, passer une alliance entre communautés autonomes si ce n'est pour mettre en commun les forces en présence d'ennemis communs ? En bons sauvages, ce que nous sommes, nous devrions donc reprendre la leçon primitive et l'actualiser en construisant cet espace commun au nom de GAP.

Et pour le rendre fort, on a besoin de fêtes collectives, d'invitations réciproques, de Streets Parades et d'espaces de parole partagée, d'actions communes et de vocabulaires communs. Pour la rendre durable, il est nécessaire de réactiver constamment l'Alliance, à savoir faire des choses, ensemble et singulièrement. Et tout comme pour les primitifs de Clastres, passer une alliance, pour les précaires, ne signifie pas signer un « contrat » subordonnant les subjectivités. L'Alliance, en effet, n'est pas une fin mais un moyen, dit Clastres, au travers duquel des communautés autonomes peuvent obtenir le succès de leur entreprise commune. En d'autres termes, la lutte est plus importante que l'alliance car elle en est antécédente. Sans luttes, il n'y aurait pas d'alliance mais celle-ci est nécessaire à l'exercice du commun et c'est exactement quand le commun est menacé par la corruption que les alliances se rompent et/ou se renouvellent.

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Agir sur les précarités de l'Empire

Si précarité signifie, entre autre, une condition biopolitique marquée par l'incertitude, par la discontinuité ou du moins par l'instabilité, nous devrions chercher de la penser comme une condition ne s'arrêtant pas aux rapports de production au sein desquels la multitude est contrainte de remplir une activité de coopération sociale, mais comme inhérente au commandement impérial.

En effet, si nous pensons à l'actualité, nous voyons, par exemple, que la guerre voulant imposer un nouvel ordre en Irak rencontre chaque jour des démentis sur sa volonté de paraître une guerre lisse, rapide et immédiatement constituante d'une nation pacifiée. Nous voyons, au contraire, que s'ouvrent continuellement des espaces de crises, horizontales et verticales, dans l'espace tout ouvert mais strié de l'Empire : luttes sociales contre l'assujettissement aux normes du travail précaire, conflits pour l'affirmation de libertés, situées et globales, révoltes disséminées contre la monarchie des Etats-Unis, continuel renversement de sens de la sémiotique impériale, rupture et transformation des noeuds administratifs au niveau des municipalités et des territoires. Tout ceci et bien d'autres, montrent les lignes de précarité que présente, malgré tout, le commandement impérial et qu'il ne réussit pas à surpasser par la menace préventive de la destruction, au travers de ce qui est devenue la forme politique essentielle à son commandement, à savoir la guerre. Le capital global, sous-espèce impériale, ne réussit jamais à devenir réellement universel, sa tendance à tout subsumer ne signifie pas qu'il réussit à annuler toutes les singularités formant la multitude et encore moins que l'exercice impérial du pouvoir soit vraiment absolu.

C'est exactement sur et dans ces failles, ces lignes de crises, ces démontages du pouvoir que les mouvements multitudiniens peuvent et doivent mettre toute leur puissance. Agir avec puissance, dans le sens de promouvoir et développer le droit à la résistance - en tant que défense active de ce qui a déjà été affirmé en termes d'acquisition de nouveaux droits de citoyenneté, de liberté coopérative, de paix dans la justice, et même de propriété commune - mais aussi dans le sens qu'en forçant ces lignes de précarité du commandement, les mouvements peuvent ouvrir de nouveaux espaces communs, espaces constituants ou mieux espaces d'innovation et d'élargissement continuels de la démocratie en termes, cette fois-ci, d'absolu.

Guerre pour personne !

Revenu pour toutes et tous !

Ludo

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