Trois juristes expriment dans "La Tribune" leurs réserves sur les
modalités de ce nouveau contrat de travail. Les ordonnances prévoient
aussi la "neutralisation" de certains seuils, le décompte des jeunes
dans les effectifs des entreprises, et la création d'un "service
chèque-emploi" pour les très petites entreprises.
LE GOUVERNEMENT RESTE FERME SUR LE CONTRAT "NOUVELLE EMBAUCHE"
Ce nouveau type de CDI à contraintes allégées fait l'objet de l'un des
quatre projets d'ordonnances pour l'emploi transmis aux partenaires
sociaux. Les autres textes "neutralisent" certains seuils sociaux et
modifient le décompte des effectifs.
Quatre projets d'ordonnances ont été remis vendredi aux partenaires
sociaux en vue de la préparation du Conseil supérieur de l'emploi du
jeudi 21 juillet. Ces textes sont la traduction exacte des mesures
d'urgence pour l'emploi annoncées par le Premier ministre dans son
discours de politique générale, avec, notamment, l'institution du très
décrié contrat "nouvelle embauche".
Voici les principaux points de ces ordonnances.
Nouveau type de CDI pour entreprises de moins de 20 salariés.
Le contrat "nouvelle embauche" (CNE) est réservé aux entreprises - et
non aux établissements (sites de production juridiquement non
autonomes) - employant "jusqu'à 20 salariés". Innovation, pendant "la
période de consolidation de l'emploi de deux ans", les modalités de
rupture se résument à l'envoi par l'employeur "d'une lettre
recommandée" avec AR. Aucune justification n'est nécessaire.
L'entreprise devra simplement s'acquitter "d'une indemnité égale à 8 %
du montant total de la rémunération brute versée au salarié", contre 10
% dans le cas d'un CDD. Il devra aussi verser aux Assedic une
"contribution de l'employeur" égale à 2 %.
Le salarié licencié aura droit à un préavis de deux semaines si la
durée de travail a été inférieure à six mois et à un mois au-delà. Le
salarié aura un an pour contester son licenciement en justice.
L'entreprise devra observer un délai de carence de deux mois entre un
licenciement et une nouvelle embauche. Le salarié qui n'a pas les
droits nécessaires pour percevoir une allocation chômage (180 jours de
travail) percevra "une allocation forfaitaire" dont le montant et la
durée seront fixés par décret.
La neutralisation de certains seuils.
Une seconde ordonnance tend à aplanir l'obstacle financier — le
surcoût est estimé à 5.000 euros — que représenterait le franchissement
par une entreprise du cap des dix salariés. Au-delà de ce seuil,
l'employeur doit contribuer à l'effort pour le logement et la
construction et au financement accru de la formation professionnelle.
Afin d'y remédier, le texte porte à vingt salariés le seuil de
déclenchement pour les deux premières contributions (logement et
construction) et crée un régime spécifique pour les entreprises de dix
à dix-neuf salariés pour le financement de la formation professionnelle
: ces entreprises seront assujetties à une obligation globale de
versement de 1,05 % de la masse salariale (au lieu de 1,6 %).
Cette même ordonnance institue aussi un crédit d'impôt de 1.000 euros
(pour les revenus compris entre 2.970 euros et 10.060 euros) pour
inciter les jeunes de moins de 26 ans à se tourner vers les métiers en
difficulté de recrutement.
Les jeunes décomptés des effectifs.
Une troisième ordonnance précise que "le salarié embauché à compter du
22 juin 2005 et âgé de moins de 26 ans n'est pas pris en compte dans
les effectifs jusqu'à ce qu'il ait atteint l'âge de 26 ans". Cela
concerne tous les types de contrats de travail et toutes les
obligations légales à l'exception de "tarification des accidents du
travail et des maladies professionnelles".
Un "service chèque-emploi" pour les TPE.
Ce "service", prévu par la quatrième ordonnance, sera réservé à de
très petites entreprises (le seuil fera l'objet d'un décret). En
adhérant à ce service, l'entreprise bénéficiera d'une aide pour toutes
les formalités sociales : calcul des cotisations sociales, bulletin de
paie, etc. Il pourra même permettre de payer le salarié.
Ces projets d'ordonnances seront présentés en Conseil des ministres le
2 août.
Jean-Christophe Chanut
SE SOUSTRAIRE AUX REGLES
Le contrat "nouvelle embauche" est en réalité un contrat à durée
indéterminée soustrait, pendant deux ans, aux règles sur le
licenciement. Une telle formule a déjà séduit certains gouvernements.
C'est en effet la même figure contractuelle qu'avait consacrée par
ordonnance le gouvernement de Mme Thatcher en 1985. Il y a au moins
trois bonnes raisons de ne pas reproduire cette expérience. D'abord,
rien ne montre que le "débauchage" facile rende l'embauche attrayante.
Le gouvernement va donc devoir d'autant plus souligner ce lien qu'il
n'est pas établi. A défaut il ne conviendra pas.
Le risque existe donc que se répande l'idée pernicieuse que le droit
du licenciement est responsable du chômage. Ensuite, l'engagement dans
le travail ne s'accommode pas d'une pareille précarité. Comment en
effet, créer la confiance dans ce contexte ? Aujourd'hui, lorsque
l'ancienneté est inférieure à deux ans, les protections sont modestes.
Mais demander à l'employeur de donner ses raisons de licencier
constitue un minimum qui cantonne l'arbitraire. Enfin, il n'est pas
même sûr que le droit communautaire tolère un tel recul du droit du
licenciement. Examinant la réglementation du Royaume-Uni, la Cour de
justice a signalé qu'elle pouvait être contraire aux exigences
d'égalité entre hommes et femmes, parce qu'elle était susceptible de
frapper plus largement une population féminine que masculine. Le
raisonnement peut être transposé à toutes les autres discriminations
interdites.
Antoine Lyon-Caen, professeur de droit du travail
UNE FORTE INEGALITE
Pouvant être rompu à tout moment, le contrat "nouvelle embauche" est
infiniment plus précaire qu'un CDD. Peu importe le préavis et
l'indemnité qui y sont attachés.
Avec le contrat à durée déterminée, l'employeur est obligé de garder
la personne embauchée pendant toute la durée prévue par le CDD. Là,
pendant deux ans, l'employeur pourra rompre le contrat nouvelle
embauche à tout moment et pendant cette période les gens se trouveront
dans une relative insécurité. Cela peut avoir des conséquences graves
sur le rapport d'autorité dans l'entreprise en ce sens que cette mesure
crée une inégalité forte.
En outre, il n'est pas sûr que ce texte passe le cap du Conseil
constitutionnel s'il y est déféré. Car mon sentiment est qu'il
s'inscrit dans une rupture du principe de l'égalité devant la loi :
selon que vous êtes dans une entreprise de moins de vingt salariés, ou
de plus de vingt, le droit à la protection sur le licenciement
disparaît. Non pas seulement sur la procédure, mais aussi sur le fond,
puisque l'employeur n'aura pas à justifier pendant deux ans d'une cause
de licenciement. Cela dit, ce projet pourrait éventuellement se
concevoir dans une logique économique. Une TPE pourrait ainsi recruter
et se séparer d'un salarié dans les deux ans. Mais alors, elle ne
pourrait plus réembaucher avant un an, par exemple, sauf à prouver
qu'elle a proposé de reprendre le salarié en question. Ce serait
d'ailleurs cohérent avec le régime particulier dont ces salariés vont
bénéficier auprès de l'Unedic.
Gilles Bélier,
, avocat spécialisé en droit social
RETOUR AU DROIT D'AVANT 1973
Le contrat nouvelle embauche (CNE) nous ramène à la situation d'avant
la loi du 13 juillet 1973 qui a imposé que le licenciement soit une
décision fondée sur une cause réelle et sérieuse. La convention de
l'Organisation internationale du travail (OIT) du 23 novembre 1985,
signée par la France, impose à l'employeur de justifier son
licenciement par un “motif valable”.
Il va donc y avoir un problème. Cela dit, dans les faits, la
différence n'est pas considérable. Car un salarié qui a moins de deux
ans d'ancienneté à l'heure actuelle ou est employé dans une entreprise
de moins de onze salariés a droit à une indemnisation (sans minimum) si
les prud'hommes reconnaissent que le licenciement n'a pas de cause
réelle et sérieuse. La différence est d'un autre ordre : depuis vingt
ans, la législation sur le licenciement suscite un mythe selon lequel
il est impossible de licencier quelqu'un en CDI, alors que c'est faux.
Et ce mythe peut avoir un effet inhibant. Espérons alors que ce nouveau
contrat aura un effet désinhibant. Un autre aspect du projet me paraît
détestable : il est question de faire de l'établissement le cadre
d'appréciation du seuil de 20 salariés [Ndlr : cela ne serait
finalement pas le cas]. On aurait dû lui préférer la notion
d'entreprise. A condition de ne pas restreindre celle-ci à une entité
juridique. En effet, aujourd'hui, l'organisation juridique des
entreprises en groupe de sociétés distinctes est banalisée et ces
structures représentent la majorité des emplois privés.
Nouveau coup de canif des députés aux 35 heures
Un amendement à la loi PME, adoptée mercredi, ouvre la possibilité de
payer les salariés non cadres en "forfait jours". Une disposition qui
suscite la colère des syndicats.
La mesure est passée quasiment inaperçue mais elle pourrait bouleverser
en profondeur la vie de milliers de salariés. Les députés ont voté dans
la plus grande discrétion en début de semaine dernière un amendement à
la loi Dutreil sur les PME qui ouvre la possibilité aux employeurs de
faire travailler leurs salariés non cadres en "forfait jours".
Cette pratique était réservée jusqu'alors aux cadres qui disposent
d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps. Créé en
1999 dans le cadre des 35 heures, le forfait jours permet à un
employeur de payer à certains salariés une rémunération forfaitaire sur
une base annuelle en jours qui inclut la rémunération de toutes les
heures travaillées. Le paiement en forfait jours fait donc disparaître
la notion d'heures supplémentaires.
L'amendement - déposé par l'un des députés de l'aile libérale de l'UMP
le plus actif, Jean-Michel Fourgous - vise à étendre à d'autres
catégories de salariés non cadres la pratique du forfait jours. Ajouté
à l'article 51 de la loi PME, il stipule que "les conventions de
forfait en jours sont applicables, à condition qu'ils aient
individuellement donné leur accord par écrit, aux salariés non cadres
dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui
disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du
temps pour l'exercice des responsabilités qui leur sont confiées".
Exemple donné par l'auteur de l'amendement : "les monteurs sur chantier
qui exercent leur activité en dehors des locaux de l'entreprise". Cette
dérogation pourrait concerner les salariés à domicile.
Provocation. Pour les syndicats, ce nouveau coup de canif à la
réglementation du temps de travail prend l'allure d'une provocation.
"C'est une aubaine pour les employeurs qui vont ainsi s'affranchir des
limites de durée du travail mais aussi du paiement des heures
supplémentaires", s'insurge Michèle Biaggi au nom de Force ouvrière.
"Les salariés soumis à ce régime pourront donc travailler 13 heures
dans la période comprise entre 0 et 24 heures, 218 jours par an, sans
être rémunérés en heures supplémentaires", explique-t-elle. Pour la
CFTC, "la destruction du Code du travail est toujours à l'oeuvre". Le
Parti socialiste s'est élevé contre cet amendement "scélérat, voté par
la droite à la sauvette". Les syndicats et l'opposition rappellent que
le député Fourgous avait déjà "sévi" dans le passé en faisant supprimer
le temps de trajet dans le décompte du temps de travail effectif.
Le gouvernement était-il au courant de cet amendement, que les
commissions des Affaires sociales de l'Assemblée et le Sénat avaient
repoussé ? Dans l'entourage du ministre de l'Emploi, on se refuse -
prudemment - à commenter cette initiative parlementaire... Les
syndicats qui ont rencontré en début de semaine dernière Jean-Louis
Borloo et Gérard Larcher ont le sentiment d'avoir été trompés.
Henri-José Legrand,
, avocat spécialisé en droit social