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Presse 18 juillet

Trois juristes expriment dans "La Tribune" leurs réserves sur les modalités de ce nouveau contrat de travail. Les ordonnances prévoient aussi la "neutralisation" de certains seuils, le décompte des jeunes dans les effectifs des entreprises, et la création d'un "service chèque-emploi" pour les très petites entreprises.

LE GOUVERNEMENT RESTE FERME SUR LE CONTRAT "NOUVELLE EMBAUCHE"


Ce nouveau type de CDI à contraintes allégées fait l'objet de l'un des quatre projets d'ordonnances pour l'emploi transmis aux partenaires sociaux. Les autres textes "neutralisent" certains seuils sociaux et modifient le décompte des effectifs.

Quatre projets d'ordonnances ont été remis vendredi aux partenaires sociaux en vue de la préparation du Conseil supérieur de l'emploi du jeudi 21 juillet. Ces textes sont la traduction exacte des mesures d'urgence pour l'emploi annoncées par le Premier ministre dans son discours de politique générale, avec, notamment, l'institution du très décrié contrat "nouvelle embauche".

Voici les principaux points de ces ordonnances.


Nouveau type de CDI pour entreprises de moins de 20 salariés.

Le contrat "nouvelle embauche" (CNE) est réservé aux entreprises - et non aux établissements (sites de production juridiquement non autonomes) - employant "jusqu'à 20 salariés". Innovation, pendant "la période de consolidation de l'emploi de deux ans", les modalités de rupture se résument à l'envoi par l'employeur "d'une lettre recommandée" avec AR. Aucune justification n'est nécessaire. L'entreprise devra simplement s'acquitter "d'une indemnité égale à 8 % du montant total de la rémunération brute versée au salarié", contre 10 % dans le cas d'un CDD. Il devra aussi verser aux Assedic une "contribution de l'employeur" égale à 2 %.

Le salarié licencié aura droit à un préavis de deux semaines si la durée de travail a été inférieure à six mois et à un mois au-delà. Le salarié aura un an pour contester son licenciement en justice. L'entreprise devra observer un délai de carence de deux mois entre un licenciement et une nouvelle embauche. Le salarié qui n'a pas les droits nécessaires pour percevoir une allocation chômage (180 jours de travail) percevra "une allocation forfaitaire" dont le montant et la durée seront fixés par décret.


La neutralisation de certains seuils.

Une seconde ordonnance tend à aplanir l'obstacle financier — le surcoût est estimé à 5.000 euros — que représenterait le franchissement par une entreprise du cap des dix salariés. Au-delà de ce seuil, l'employeur doit contribuer à l'effort pour le logement et la construction et au financement accru de la formation professionnelle. Afin d'y remédier, le texte porte à vingt salariés le seuil de déclenchement pour les deux premières contributions (logement et construction) et crée un régime spécifique pour les entreprises de dix à dix-neuf salariés pour le financement de la formation professionnelle : ces entreprises seront assujetties à une obligation globale de versement de 1,05 % de la masse salariale (au lieu de 1,6 %).

Cette même ordonnance institue aussi un crédit d'impôt de 1.000 euros (pour les revenus compris entre 2.970 euros et 10.060 euros) pour inciter les jeunes de moins de 26 ans à se tourner vers les métiers en difficulté de recrutement.


Les jeunes décomptés des effectifs.

Une troisième ordonnance précise que "le salarié embauché à compter du 22 juin 2005 et âgé de moins de 26 ans n'est pas pris en compte dans les effectifs jusqu'à ce qu'il ait atteint l'âge de 26 ans". Cela concerne tous les types de contrats de travail et toutes les obligations légales à l'exception de "tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles".


Un "service chèque-emploi" pour les TPE.

Ce "service", prévu par la quatrième ordonnance, sera réservé à de très petites entreprises (le seuil fera l'objet d'un décret). En adhérant à ce service, l'entreprise bénéficiera d'une aide pour toutes les formalités sociales : calcul des cotisations sociales, bulletin de paie, etc. Il pourra même permettre de payer le salarié.

Ces projets d'ordonnances seront présentés en Conseil des ministres le 2 août.

Jean-Christophe Chanut



SE SOUSTRAIRE AUX REGLES


Le contrat "nouvelle embauche" est en réalité un contrat à durée indéterminée soustrait, pendant deux ans, aux règles sur le licenciement. Une telle formule a déjà séduit certains gouvernements.

C'est en effet la même figure contractuelle qu'avait consacrée par ordonnance le gouvernement de Mme Thatcher en 1985. Il y a au moins trois bonnes raisons de ne pas reproduire cette expérience. D'abord, rien ne montre que le "débauchage" facile rende l'embauche attrayante. Le gouvernement va donc devoir d'autant plus souligner ce lien qu'il n'est pas établi. A défaut il ne conviendra pas.

Le risque existe donc que se répande l'idée pernicieuse que le droit du licenciement est responsable du chômage. Ensuite, l'engagement dans le travail ne s'accommode pas d'une pareille précarité. Comment en effet, créer la confiance dans ce contexte ? Aujourd'hui, lorsque l'ancienneté est inférieure à deux ans, les protections sont modestes. Mais demander à l'employeur de donner ses raisons de licencier constitue un minimum qui cantonne l'arbitraire. Enfin, il n'est pas même sûr que le droit communautaire tolère un tel recul du droit du licenciement. Examinant la réglementation du Royaume-Uni, la Cour de justice a signalé qu'elle pouvait être contraire aux exigences d'égalité entre hommes et femmes, parce qu'elle était susceptible de frapper plus largement une population féminine que masculine. Le raisonnement peut être transposé à toutes les autres discriminations interdites.

Antoine Lyon-Caen, professeur de droit du travail



UNE FORTE INEGALITE


Pouvant être rompu à tout moment, le contrat "nouvelle embauche" est infiniment plus précaire qu'un CDD. Peu importe le préavis et l'indemnité qui y sont attachés.

Avec le contrat à durée déterminée, l'employeur est obligé de garder la personne embauchée pendant toute la durée prévue par le CDD. Là, pendant deux ans, l'employeur pourra rompre le contrat nouvelle embauche à tout moment et pendant cette période les gens se trouveront dans une relative insécurité. Cela peut avoir des conséquences graves sur le rapport d'autorité dans l'entreprise en ce sens que cette mesure crée une inégalité forte.

En outre, il n'est pas sûr que ce texte passe le cap du Conseil constitutionnel s'il y est déféré. Car mon sentiment est qu'il s'inscrit dans une rupture du principe de l'égalité devant la loi : selon que vous êtes dans une entreprise de moins de vingt salariés, ou de plus de vingt, le droit à la protection sur le licenciement disparaît. Non pas seulement sur la procédure, mais aussi sur le fond, puisque l'employeur n'aura pas à justifier pendant deux ans d'une cause de licenciement. Cela dit, ce projet pourrait éventuellement se concevoir dans une logique économique. Une TPE pourrait ainsi recruter et se séparer d'un salarié dans les deux ans. Mais alors, elle ne pourrait plus réembaucher avant un an, par exemple, sauf à prouver qu'elle a proposé de reprendre le salarié en question. Ce serait d'ailleurs cohérent avec le régime particulier dont ces salariés vont bénéficier auprès de l'Unedic.

Gilles Bélier, , avocat spécialisé en droit social



RETOUR AU DROIT D'AVANT 1973


Le contrat nouvelle embauche (CNE) nous ramène à la situation d'avant la loi du 13 juillet 1973 qui a imposé que le licenciement soit une décision fondée sur une cause réelle et sérieuse. La convention de l'Organisation internationale du travail (OIT) du 23 novembre 1985, signée par la France, impose à l'employeur de justifier son licenciement par un “motif valable”.

Il va donc y avoir un problème. Cela dit, dans les faits, la différence n'est pas considérable. Car un salarié qui a moins de deux ans d'ancienneté à l'heure actuelle ou est employé dans une entreprise de moins de onze salariés a droit à une indemnisation (sans minimum) si les prud'hommes reconnaissent que le licenciement n'a pas de cause réelle et sérieuse. La différence est d'un autre ordre : depuis vingt ans, la législation sur le licenciement suscite un mythe selon lequel il est impossible de licencier quelqu'un en CDI, alors que c'est faux. Et ce mythe peut avoir un effet inhibant. Espérons alors que ce nouveau contrat aura un effet désinhibant. Un autre aspect du projet me paraît détestable : il est question de faire de l'établissement le cadre d'appréciation du seuil de 20 salariés [Ndlr : cela ne serait finalement pas le cas]. On aurait dû lui préférer la notion d'entreprise. A condition de ne pas restreindre celle-ci à une entité juridique. En effet, aujourd'hui, l'organisation juridique des entreprises en groupe de sociétés distinctes est banalisée et ces structures représentent la majorité des emplois privés.


Nouveau coup de canif des députés aux 35 heures

Un amendement à la loi PME, adoptée mercredi, ouvre la possibilité de payer les salariés non cadres en "forfait jours". Une disposition qui suscite la colère des syndicats.

La mesure est passée quasiment inaperçue mais elle pourrait bouleverser en profondeur la vie de milliers de salariés. Les députés ont voté dans la plus grande discrétion en début de semaine dernière un amendement à la loi Dutreil sur les PME qui ouvre la possibilité aux employeurs de faire travailler leurs salariés non cadres en "forfait jours".

Cette pratique était réservée jusqu'alors aux cadres qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps. Créé en 1999 dans le cadre des 35 heures, le forfait jours permet à un employeur de payer à certains salariés une rémunération forfaitaire sur une base annuelle en jours qui inclut la rémunération de toutes les heures travaillées. Le paiement en forfait jours fait donc disparaître la notion d'heures supplémentaires.

L'amendement - déposé par l'un des députés de l'aile libérale de l'UMP le plus actif, Jean-Michel Fourgous - vise à étendre à d'autres catégories de salariés non cadres la pratique du forfait jours. Ajouté à l'article 51 de la loi PME, il stipule que "les conventions de forfait en jours sont applicables, à condition qu'ils aient individuellement donné leur accord par écrit, aux salariés non cadres dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui leur sont confiées". Exemple donné par l'auteur de l'amendement : "les monteurs sur chantier qui exercent leur activité en dehors des locaux de l'entreprise". Cette dérogation pourrait concerner les salariés à domicile.

Provocation. Pour les syndicats, ce nouveau coup de canif à la réglementation du temps de travail prend l'allure d'une provocation. "C'est une aubaine pour les employeurs qui vont ainsi s'affranchir des limites de durée du travail mais aussi du paiement des heures supplémentaires", s'insurge Michèle Biaggi au nom de Force ouvrière. "Les salariés soumis à ce régime pourront donc travailler 13 heures dans la période comprise entre 0 et 24 heures, 218 jours par an, sans être rémunérés en heures supplémentaires", explique-t-elle. Pour la CFTC, "la destruction du Code du travail est toujours à l'oeuvre". Le Parti socialiste s'est élevé contre cet amendement "scélérat, voté par la droite à la sauvette". Les syndicats et l'opposition rappellent que le député Fourgous avait déjà "sévi" dans le passé en faisant supprimer le temps de trajet dans le décompte du temps de travail effectif.

Le gouvernement était-il au courant de cet amendement, que les commissions des Affaires sociales de l'Assemblée et le Sénat avaient repoussé ? Dans l'entourage du ministre de l'Emploi, on se refuse - prudemment - à commenter cette initiative parlementaire... Les syndicats qui ont rencontré en début de semaine dernière Jean-Louis Borloo et Gérard Larcher ont le sentiment d'avoir été trompés.

Henri-José Legrand, , avocat spécialisé en droit social

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