DES LIVRES POUR CONSTRUIRE UNE AUTRE EUROPE
Le référendum sur le traité constitutionnel a suscité un large débat et
a rempli les devantures des librairies. Quelques livres sont parus
courant mai donc un peu tard pour en faire un compte-rendu mais ils
restent encore d'actualité car les débats ne sont pas terminés. Nous
aurons besoin de continuer à agir pour une Europe autre que celle que
veulent nous concocter les tenants du libéralisme.
Georges Debunne, ancien secrétaire général de la Fédération générale du
travail de Belgique (FGTB) et ancien président de la Confédération
européenne des syndicats (CES) porte un regard sans complaisance sur les
orientations de l'Union européenne et sur la Charte européenne des
droits fondamentaux (1). Il appelle à la résistance « politique et
syndicale de la gauche européenne » contre cette « course à l'abîme
dirigée par le capitalisme ». Il décrit son combat de syndicaliste mené
depuis 1944 pour construire une autre Europe et pour bâtir un
contre-pouvoir syndical au niveau européen. Il sonne l'alarme en
appelant la CES a mené une stratégie offensive dès maintenant pour faire
aboutir la « Convention collective européenne » pour réaliser le «
consensus social » dont l'Europe a besoin. Il considère que « les
syndicats d'aujourd'hui ne peuvent pas être une courroie de transmission
des seuls intérêts capitalistes » et que la CES ne peut se contenter
d'être défensive. Face au péril du modèle social des Etats européens, il
refuse de « laisser notre avenir entre les mains de la technocratie
européenne » et formule 6 exigences pour sauvegarder les acquis sociaux.
Louis Weber qui participe aux travaux de l'institut de recherches de la
FSU s'efforce de répondre aux questions du poids des politiques
économiques libérales en Europe si le traité est adopté, les
conséquences sur les services publics, sur les droits fondamentaux en
Europe, sur l'éducation et la formation, sur la laïcité (2). L'éducation
serait au « service de la compétitivité, au prix d'une transformation
profonde des missions, des méthodes et de l'organisation des systèmes
d'enseignement.» Sur la laïcité, la FSU conteste l'importance « tout à
fait extraordinaire » faite aux Églises qui est donné à leur
participation et ceci « sans aucune comparaison avec ce qui est offert
aux autres composantes de la société civile. » Favorable à une
réorientation des politiques de l'Union européenne, la FSU formule des
mesures d'urgence et une nouvelle orientation des politiques économiques
et sociales.
Le Syndicat national unifié des impôts aborde le thème rébarbatif et
impopulaire des impôts (3) qui est essentiel car il s'agit de la
répartition des richesses. Face au dumping, aux paradis fiscaux, à
l'évasion fiscale, aux délocalisations, le SNUI prône une véritable
harmonisation fiscale pour éviter de telles dérives. Pour défendre les
services publics et les solidarités, il faut nécessairement défendre
leur financement et donc plaider en faveur d'une autre contestation de
la politique fiscale. Le SNUI propose la mise en place d'un serpent
fiscal européen pour réduire les écarts de fiscalité à l'image du
serpent monétaire européen qui limitait les écarts de fluctuation entre
monnaies. Il reposerait sur une contribution commune volontaire pour
financer les politiques publiques communes et les besoins sociaux, les
impôts directs devant être le pivot central des systèmes fiscaux.
Douze économistes aux profils hétérogènes, membres du conseil
scientifique d'ATTAC, de partis politiques ou d'associations diverses,
se rassemblent pour exprimer leur vision de la construction européenne,
leurs désillusions et leur espoir d'une Europe sociale et politique à
construire (4).
Les principales politiques européennes se caractérisent par la recherche
de la concurrence plutôt que la coopération. Gilles Raveaud, Aurélien
Saïdi et Damien Sauze sont conduit à une certaine désillusion à l'égard
de la construction européenne car la situation est éloignée de l'Europe
sociale, démocratique et solidaire avec les pays pauvres que l'on nous
avait promise. Jean Gadrey considère que le traité s'inscrit dans la
continuité du tournant libéral des années 1980 qui ont marqué un
tournant décisif en faveur du marché. Pour Christophe Ramaux, le traité
nie la notion d'intérêt général pour lui substituer celles de politiques
économiques limitant les droits sociaux et faisant des chômeurs les
premiers responsables de leur situation. Michel Husson développe la
menace du traité sur les services publics qui les soumet à la
concurrence. Pour Liêm Hoang-Ngoc, le traité favorise les entreprises
privées au détriment des entreprises publiques et des mutuelles et
promeut le libre échange sans restrictions. Pour Frédéric Lordon, la
construction européenne est bâtie sur la haine de l'Etat, une haine
bête, méchante et dangereuse qui ne comporte aucun mécanisme de
solidarité entre les Etats. Pour Bruno Théret, la solidarité au sein de
l'Europe est souhaitable et nécessaire pour éviter d'aggraver les
inégalités au sein des pays et d'alimenter la violence sociale. Jacques
Mazier propose d'accroître le budget communautaire, de développer la
coordination des politiques économiques nationales et de demander à la
BCE de s'occuper de l'emploi. Bruno Amable et Stefano Palombarini
veulent infléchir la construction européenne en promouvant un modèle qui
défendrait nos spécificités en matière de services publics, de
protection sociale et de protection de l'emploi.
1.
A quand l'€urope sociale ?, par Georges Debunne ( Editions
Syllepse, 2005)
2.
Une constitution contre l'Europe ?, par Louis Weber ( Editions
Syllepse/ Nouveaux Regards, 2005)
3.
Pour un serpent fiscal européen, de la concurrence à
l'harmonisation, SNUI ( Editions Syllepse, 2005)
4.
Douze économistes contre le projet de Constitution européenne,
sous la direction de Gilles Raveaud, Aurélien Saïdi, Damien Sauze
(L'Harmattan, 2005)
René Seibel