LECTURES
Remonter ] agenda : à la une ]
Livre 21 août

LE GHETTO FRANCAIS
– Enquête sur le séparatisme social »,

par Eric Maurin (Le Seuil, 2004)


Le problème de la ségrégation urbaine en France (1) tend à devenir la norme dans une société /« marquée par la défiance et la recherche de l'entre-soi »/ analyse Eric Maurin. Le communautarisme ne touche pas seulement les immigrés mais aussi les salariés plus aisés qui fuient les classes moyennes supérieures. Ces dernières évitent les professions intermédiaires qui refusent de se mélanger avec les employés... jusqu'aux ouvriers qui fuient les immigrés. Ainsi les mécanismes de la ségrégation traversent toute la société et non seulement les catégories les plus défavorisées marquées par la pauvreté et les problèmes d'intégration.

En effet, le territoire révèle des nouvelles inégalités qui se construisent (depuis vingt ans !) car « /la ségrégation urbaine articule et concentre presque toutes les formes d'inégalités (de revenus, de formation, de destins, etc...). /» Le /« ghetto français »/ correspond plutôt à la fuite ou au contournement de chaque groupe inférieur dans l'échelle des difficultés. Et les raisons ne sont pas seulement d'ordre matériel mais /« avant tout pour des destins, des statuts, des promesses d'avenir. »/ Les ghettos des riches prolifèrent et sont plus exclusifs que les ghettos des pauvres, ne favorisant pas la mixité sociale. Que ce soit Paris ou certains secteurs traditionnellement aisés, il est pratiquement impossible pour des ménages modestes de s'y loger. Dans les grandes villes, le séparatisme social dénoncé par Eric Maurin existe bien : les cadres supérieurs habitent au centre, les cadres moyens quelques quartiers plus loin, les professions intermédiaires dans les banlieues, alors que les autres sont relégués de plus en plus loin dans la périphérie. La mixité sociale n'existe donc pas. D'après Eric Maurin /« la ségrégation ne consiste pas seulement à assigner certains individus à certains territoires,...; elle verrouille aussi l'avenir. » / Ainsi, l'environnement social pèse plus que tout sur la réussite ou l'échec de chacun. Effectivement, dans les quartiers riches la proportion des enfants de riche qui vont « réussir leur vie » est infiniment supérieure à celle des enfants de pauvre. /«/ /Le tableau des inégalités territoriales/, commente Eric Maurin, /révèle une société extraordinairement compartimentée, où les frontières de voisinage se sont durcies et où la défiance et la tentation séparatiste s'imposent comme les principes structurants de la coexistence sociale. »/

Si aucune politique de la ville n'a réussi jusqu'à ce jour c'est qu'elle s'est concentrée sur les ghettos pauvres mais n'a pas atteint les causes intimes de la ségrégation. « /L'endroit où l'on habite représente bel et bien une ressource et un enjeu décisifs à chaque étape de la vie, » /précise Eric Maurin. Les politiques du logement ont cherché à développer des aides personnalisées au logement en direction des ménages modestes mais n'a pas désamorcé la crainte des plus riches de résider dans leur voisinage et n'a donc pas favoriser la mixité sociale. Ces aides ont aussi surtout profité aux bailleurs qui en ont récupéré une partie sous forme de loyer./ « Tant que ne sont pas traitées en profondeur les causes de la défiance mutuelle entre les classes et fractions de classes sociales, une plus grande mixité urbaine a toute chance de rester un voeux pieux »/, estime Eric Maurin. Seule /« une réforme des principes mêmes de distribution des destins scolaires et sociaux » /peut désamorcer ces enjeux stratégiques du lieu de résidence. Les politiques ciblées menées tant par la gauche que par la droite telles les zones d'éducation prioritaires (ZEP) et les zones franches ont obtenu des résultats très décevants au regard de leurs coûts en ne modifiant pas vraiment la composition sociale des quartiers.

Plutôt que de s'intéresser aux territoires, les politiques devraient cibler correctement les individus eux-mêmes. En tournant les politiques vers l'individu, sans abandonner les territoires et les quartiers,/ « on parviendra à atténuer un tant soit peu les effets destructeurs de la ségrégation territoriale. » /C'est en identifiant les formes de pauvreté individuelles les plus pénalisantes et en essayant de les réduire qu'on pourra faire jouer l'effet multiplicateur sur l'ensemble des familles. Eric Maurin considère qu'il faut commencer avec les enfants et les jeunes adultes. Il s'appuie sur l'expérience aux Etats-Unis de /Perry School Project /qui a permis de mettre en place des programmes de soutien préscolaire à une plus grande échelle. En France, les écoles maternelles gratuites et ouvertes à tous les enfants sont une chance. Cependant les difficultés rencontrés par les enfants des milieux modestes ont pour origine des pauvretés plus fondamentales à savoir qu'ils sont pour beaucoup mal logés, mal soignés, mal nourris, et qu'il faut s'attaquer à ces problèmes qui sont au coeur de la ségrégation territoriale. En fait /« en luttant contre la pauvreté des conditions de santé et de logement dont souffrent encore de nombreux enfants et adolescents, on peut espérer améliorer leurs performances à l'école mais également les performances de ceux qui résident dans leur voisinage. »/ Eric Maurin fait aussi le constat que depuis la fin des années 1990 /« le niveau général de formation des sortants du système éducatif a cessé d'augmenter et les inégalités ont recommencé de se creuser entre jeunes d'origines sociales différentes »/ car les familles modestes ne peuvent pas financer une poursuite indéfinie des études de leurs enfants. Une étude en France montre que l'abolition du service militaire a eu un impact sur la poursuite de la scolarité par les garçons des classes populaires avec une baisse d'environ 7% des taux de scolarisation entre 18 et 20 ans. L'étude révèle également que la baisse des années d'études des jeunes garçons des classes populaires s'est accompagnée d'une baisse significative des salaires d'embauche des garçons par rapport aux filles d'environ 12%. Cette étude suggère qu'un prêt à taux zéro correspondant à environ à un demi-smic annuel centré sur les enfants des classes populaires permettrait d'augmenter de 15% leur probabilité de poursuivre des études et aurait pour conséquence ultérieure d'augmenter leurs salaires. Les systèmes des bourses en vigueur en France ne propose pas d'aides aussi significatives. Il faudrait augmenter le niveau des bourses tout en les recentrant sur un nombre plus restreint de bénéficiaires. Ces politiques sociales en direction de l'enfance et des jeunes adultes bénéficieraient à l'ensemble des jeunes pauvres et moins pauvres, vivant dans le même voisinage. Plus fondamentalement,c'est notre modèle de société tout entier qu'il faut remettre en questions et surtout les inégalités de statut dans l'emploi et de revenus. Pour s'adapter aux évolutions technologiques et industrielles «/ il est tout à fait possible d'évoluer vers une société où les trajectoires se définissent de façon moins irréversibles à chaque étape de la scolarité et de la vie, une société où les échecs de chacun ne soient pas autant d'atteintes destructrices à l'estime de soi »/ conclut l'auteur. Cela suppose de revoir nos politiques de formation.

Pour les Alternatifs, la lutte contre l'exclusion et les inégalités revêt plusieurs aspects : formation, emploi, santé, logement. Les luttes des mal-logés depuis plusieurs années reflètent une situation critique dans le domaine du logement. C'est pourquoi la garantie du droit au logement pour tous est urgent à conquérir.

(1) « Le ghetto français – Enquête sur le séparatisme social », par Eric Maurin (Le Seuil, 2004)


René Seibel

haut