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sur le web 27 décembre

EN ARGENTINE, OCCUPER, RESISTER, PRODUIRE

par Cécile Raimbeau


Depuis la crise économique qui a ruiné l’Argentine en 2001, de plus en plus de chômeurs occupent leurs entreprises en faillite et les remettent en marche sans patrons. S’ils réussissent à produire en autogestion [1] grâce à leur créativité et à un ample mouvement de solidarité, ils réclament aussi des réformes et des politiques publiques pour soutenir leurs nouvelles coopératives. Plutôt que le droit à la propriété, tous se réclament du droit au travail.

Vingt mars 2003. Trente travailleurs licenciés de l’hôtel Bauen s’engouffrent dans un parking, forcent une porte et s’infiltrent dans leur ex-entreprise, un cinq-étoiles de vingt étages situé au cœur de Buenos Aires. Inauguré en 1978 pour la Coupe du monde de football, il est fermé depuis quinze mois. Certes, l’occuper est une atteinte au droit à la propriété privée. Mais c’est aussi une attaque contre un symbole du capitalisme débridé favorisé par la dictature.

Marcelo, 56 ans dont vingt-trois passés à la réception, a cherché désespérément du travail en 2002. Gladys, ancienne femme de chambre, gagnait 4 euros par nuit dans une centrale illégale de taxis. Rodolfo, anciennement dans la maintenance, triait les emballages recyclables, comme des dizaines de milliers de nouveaux chômeurs qui fouillent les poubelles de Buenos Aires.

L’audace de ces sans-emploi n’a plus rien d’exceptionnel dans un pays où le taux de chômage atteint 20 % et où 45 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Leurs « récupérations » contiennent l’idée d’une réappropriation, au nom du bien social, d’espaces abandonnés par les « voleurs » du secteur privé. La révolte populaire de décembre 2001 [2] a stimulé ce phénomène, donnant naissance à des connexions entre des actions auparavant isolées. Alors qu’on répertoriait 44 entreprises récupérées à l’époque, on en dénombre à présent environ 170, qui emploient plus de 10 000 personnes [3].

C’est au milieu des années 1990 qu’a commencé à se développer la récupération d’entreprises en faillite par leurs anciens employés. Le modèle néolibéral appliqué avec zèle par le président Carlos Menem [4] produisait chaque année des milliers de chômeurs [5]. Non seulement les privatisations massives jetaient à la rue les employés du secteur public, mais encore l’élimination des restrictions à l’importation et des subventions à l’exportation générait un flux de produits étrangers tel que la petite industrie nationale ne pouvait les concurrencer.

Les entreprises récupérées ne sont généralement pas tant, comme le Bauen, des sociétés de service que des petites et moyennes entreprises industrielles. Les secteurs de la métallurgie, de la mécanique, de l’imprimerie et de l’alimentaire sont les plus représentés. En dépôt de bilan ou en faillite, ces entreprises ont pour point commun de crouler sous les dettes. Le fisc, les banques, les fournisseurs en sont les créanciers. Les employés, à qui sont dus des salaires et des indemnités, le sont également.

Ceux d’entre eux qui se déclarent candidats à la reprise préfèrent une compensation en machines-outils à de l’argent. Pourtant, si la loi argentine sur les faillites intègre bien un principe de priorité des salariés sur les autres créanciers, elle ne prône pas clairement la réactivation plutôt que la liquidation. Un article facilite l’achat de l’entreprise par des investisseurs, sans privilégier les employés débiteurs. Appelée « cramdown », cette mesure réintroduite à la suite d’un chantage du Fonds monétaire international (FMI) a souvent favorisé l’apparition d’acquéreurs fantômes, manœuvrés en sous-main par des patrons avides de racheter leur propre société à bas prix.

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Cécile Raimbeau

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