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Livre 28 octobre

CHOMEURS ET PRECAIRES AU COEUR DE LA QUESTION SOCIALE

par Evelyne Perrin
(éditions La Dispute, 2004)

Evelyne PERRIN a recueilli les témoignages de militants des associations de chômeurs et de jeunes salariés précaires (1), par son engagement à AC!, au réseau Stop précarité et au sein des comités de soutien aux grèves de MacDo, Maxilivres, Arcade dans les années 2001-2003.

Avec la montée du chômage de masse et l'apparition de la précarité, notamment chez les plus jeunes, le patronat tente d'imposer des conditions de travail esclavagistes et des salaires de misère.

Les expériences vécues de la précarité et du chômage par les chômeurs engagés à AC! ou au MNCP montrent qu'ils ont construit des « revendications qui les mettent à distance du travail salarié, vers lequel ils ne sont pas prêts à retourner à n'importe quel prix » Ils ont développé des exigences et des revendications vis-à-vis du travail qui sont aux antipodes de la plupart des emplois précaires qui peuvent leur êtres proposés. Ils ont aussi passé des « arrangements » avec la précarité, même si ce sont des arrangements contraints, à la limite de la misère. Cependantt, le travail demeure une valeur forte pour les chômeurs, même s'ils ne sont pas prêts à accepter n'importe quel emploi et sont plus exigeants sur les conditions de travail. Les chômeurs engagés sont « très pessimistes sur l'évolution prévisible du travail et sont très conscients de la lente dégradation du rapport salarial » et en même temps « ils partagent un grand scepticisme, un sentiment de forte incertitude sur la capacité des chômeurs et notamment des jeunes précaires à s'organiser et à déclencher des luttes significatives pour contrer le développement de la précarité ». De nouvelles formes de lutte sont à inventer car les syndicats ne rejoignent pas les précaires. Et bien sûr la question du débouché politique de ces nouvelles formes de lutte se posera..

Parmi les nouvelles formes d'actions apparaissent les occupations d'Assedic ou d'ANPE ou de bureaux d'aide sociale par les associations de chômeurs, la plus originale est sans doute celle des « réquisitions d'emploi » inventée par AC!, d'autres également, comme les « réquisitions de richesse », les marches contre le chômage ou encore des occupations plus ou moins longues de services publics.

La deuxième population étudiée est celle des jeunes salariés précaires, au chômage ou salariés sous des statuts instables. Ils sont confrontés quotidiennement à la précarité de l'emploi, et ils ne sont pas syndiqués. Ils sont souvent issus de familles de cadres supérieurs ou moyens, et leurs stratégies pour sortir de la précarité sont profondément différentes de celles des jeunes précaires d'origine populaire. Ces « nouvelles couches intellectuelles précaires » ont tendance « à être déclassées sur le marché du travail non seulement par la concurrence entre les jeunes entrants sur le marché du travail dans de mauvaises conditions, quel que soit leur niveau d’études, mais plus fondamentalement par la dégradation de la norme salariale des trente glorieuses ». Ces jeunes tententt de monter des projets d'activité, salariée ou indépendante, officielle ou au noir. Ils ne subissent pas passivement leur situation précaire et n'hésitent pas à quitter un emploi qu'ils jugent dégradant. D'où une partie du turn-over dans de nombreuses entreprises, ou des pénuries de main d'oeuvre dans certaines branches. Ces jeunes sont une nouvelle figure sociale du salariat, le précariat, indispensable au fonctionnement des entreprises dont la règle est la flexibilité.

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Pourtant leurs statuts « s'opposent à l'apparition d'une conscience de classe ou d'une conscience commune de l'exploitation » car il manque les relais syndicaux. Par contre, c'est la « persistance de fortes inégalités sociales qui fait sens commun » Ces jeunes précaires ont aussi conscience d'être confrontés à une forte dégradation de la norme salariale et sont plutôt pessimistes sur l'avenir du travail car ils s'attendent à une poursuite de la dégradation des conditions d'embauche.

Cette génération a conscience de ne pouvoir compter que sur elle-même car elle a perdu la confiance dans la classe politique « et dans une moindre mesure dans les syndicats » et elle se « débat seule contre les conditions de travail et d'emploi dégradées qui lui sont proposées.

Pourtant ces jeunes sont demandeurs de « régulations collectives nouvelles pour compenser l'instabilité de l'emploi » et attendent des structures collectives qui pourraient exister, une riposte au «précariat». Ils attendent de l'Etat « l'instauration de nouvelles garanties collectives alliant mobilité professionnelle et continuité des droits et du revenu, afin de prendre en compte les mutations du capitalisme ».

Dans la troisième étude, Evelyne Perrin analyse les luttes des jeunes précaires, souvent syndiqués.. A travers ces nouvelles formes, davantage fondées sur l'autonomie et la confiance réciproque, ils révèlent la crise du syndicalisme, y compris dans la CGT au sein de laquelle ils sont souvent engagés. Les luttes dans la restauration rapide ou dans les multinationales de produits culturels sortent de l'entreprise pour déborder dans la rue, elles sortent également du carcan syndical en faisant appel à des soutiens diversifiés extérieurs à l’entreprise. Elles montrent un renouveau de combativité et de syndicalisation chez les jeunes salariés « dont on dit habituellement qu'ils se détournent du syndicalisme ». Le syndicalisme ne pourra se saisir de cette mutation, de ces nouvelles exigences des jeunes salariés, que s'il hisse au rang de ses priorités la lutte contre la précarité de l'emploi.

Une analyse actualisée de la position des syndicats sur la précarité et de leur rapport aux luttes des salariés précaires reste à faire. La CGT dénonce le développement de la précarité de l'emploi et avance des propositions pour « redonner aux salariés une protection face à la flexibilité du marché du travail », mais sur le terrain elle éprouve des difficultés à prendre en compte les revendications des précaires en raison de sa difficulté de les organiser. FO est muette sur la lutte contre la précarité et la CFDT a pris acte de la transformation des normes d'emploi rendues nécessaires par la modernisation de l'économie. Le Groupe des Dix, bien qu'implanté dans le secteur public, soutient les salariés précaires et appelle à la mise en place « d'une véritable Sécurité sociale élargie dans ses buts et rénovée dans son fonctionnement. La CNT est présente dans le secteur de la restauration rapide et se prononce pour l'embauche en CDI et à temps complet à la demande du salarié, pour une augmentation des salaires et une réduction des écarts de salaires entre qualifiés et non-qualifiés.

Le défi de la précarité suppose une autre conception de l'action syndicale. La refondation du syndicalisme est nécessaire et urgente face à l'éclatement des statuts et aux nouvelles formes d'organisation des entreprises, pour exiger l'instauration de nouvelles garanties et protections au sein du droit du travail et organiser la résistance à l'offensive néolibérale. Les politiques sont aussi interpellés et la gauche très critiqués car elle n'a pas eu de" réponse très claire ni structurée face à la précarisation rampante du salariat": les positions des principaux partis de la gauche (PS, PCF et Verts) sont restées au mieux "peu audibles". Il reste aux partis de gauche à bâtir de réelles propositions "pour contrer le développement de la précarité de l'emploi, par la mise en avant d'un droit à un statut professionnel et à un revenu, quels que soient les aléas de l'emploi, dans une société qui privilégie le travail flexible".

René Seibel

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