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Le monde 30 mars

LA COALITION ALLEMANDE A L'EPREUVE DE LA POLITIQUE SOCIALE

parAntoine Jacob (avec Adrien de Tricornot à Francfort)


Sans prendre la tournure du débat français concernant le contrat première embauche (CPE), la réforme des modalités de licenciement sème la zizanie entre partenaires gouvernementaux allemands. Angela Merkel a dû rappeler ses troupes à l'ordre, mercredi 29 mars, à la suite de discordances entre chrétiens-démocrates et sociaux-démocrates. Pour la chancelière, il importe de faire preuve d'autorité dans un climat social orageux, quitte à froisser son propre camp. Ainsi a-t-elle implicitement pris fait et cause pour les sociaux-démocrates sur la protection contre les licenciements.

Divers responsables de droite, ainsi que les employeurs, souhaiteraient que le gouvernement revienne sur l'accord de coalition conclu en novembre 2005. Celui-ci prévoit de donner aux entreprises la possibilité de faire précéder toute embauche d'une période d'essai de deux ans, contre six mois actuellement, durant laquelle elles pourront aisément se séparer des nouveaux arrivants. En contrepartie, elles ne pourront plus avoir recours à des contrats à durée déterminée (CDD), sans que ceux-ci soient motivés.

Cette mesure, obtenue par le Parti social-démocrate (SPD), déplaît à la fédération des employeurs, au patronat et au ministre de l'économie, le conservateur Michael Glos. Ils voudraient préserver les CDD non motivés pour que les entreprises puissent s'adapter aux aléas de la conjoncture. Irrité par ce lobbying, le ministre du travail, le vice-chancelier Franz Müntefering (SPD), a annoncé, mercredi, qu'il avait interrompu le processus législatif devant aboutir à ces aménagements. Une première depuis l'entrée en fonction du cabinet Merkel.


Mouvements de grève

Bien qu'elle ne soit pas insensible aux arguments développés à droite, la chancelière a aussitôt fait une mise au point : le gouvernement s'en tiendra au traité de coalition, "c'est une question de fiabilité". La présidente de l'Union chrétienne-démocrate (CDU) n'ignore pas que le dossier est sensible. Le taux de chômage allemand est l'un des plus élevés d'Europe (12,2 % en février). Et l'allongement de la période d'essai suscite l'hostilité de l'Union des syndicats allemands (DGB). "Même si nous le voulions, nous ne pourrions pas appeler à la grève sur le sujet, car elle est réservée aux conflits des relations du travail", a admis la porte-parole de la DGB, Marion Knappe, traduisant l'état d'esprit différent qui règne en France et outre-Rhin. "Mais des manifestations restent possibles", a-t-elle averti.

Mme Merkel n'a pas besoin d'un conflit social supplémentaire, alors que divers secteurs, comme la fonction publique, connaissent des mouvements de grève pour de meilleurs salaires ou conditions de travail. Il faudra aussi du tact à la chancelière pour mettre d'accord les partenaires gouvernementaux sur la réforme du système d'assurance-maladie.

La coalition n'est qu'au début des discussions, mais les positions sont très éloignées. Une réunion, mercredi soir à Berlin, n'a pas abouti à des résultats concrets. Ce qui est sûr, selon Mme Merkel, c'est qu'il en coûtera plus cher aux citoyens.



Libération 30 mars

IG METALL MET SA GREVE EN MARCHE

par Odile BENYAHIA-KOUIDER


Pas question de céder. Après les salariés des services publics des communes du Bade-Wurtemberg, en grève depuis huit semaines, et les médecins des hôpitaux universitaires, en grève depuis sept semaines, c'était hier au tour des métallos allemands de démarrer une grève d'avertissement à l'appel de leur syndicat de branche, IG Metall. 80 000 métallos ont débrayé dans 333 entreprises.

Très codifiés, les mouvements sociaux allemands n'ont certes rien de comparable à ce qui se passe en France actuellement. Pourtant, en filigrane, le malaise engendré par les dérèglements liés à la globalisation est identique. «Les Allemands ne sont pas habitués à monter avec les armes sur les barricades, mais ils en ont ras-le-bol», commente Jan Jurczyk, porte-parole de Ver.di, le grand syndicat de services.

Record.
Contrairement aux Français, le mécontentement des Allemands ne se cristallise pas sur la précarité mais sur la détérioration salariale. Ainsi, les communes de Bade-Wurtemberg exigent de leurs personnels un allongement du temps de travail de 38,5 heures à 40 heures, sans compensation salariale, et la réduction de moitié de la prime de Noël. Aucun accord n'ayant été trouvé, les poubelles ne sont ramassées que de manière occasionnelle, les crèches sont partiellement fermées, comme les services des mairies. C'est la grève la plus longue dans ce secteur depuis quatorze ans. Les médecins de treize hôpitaux universitaires réclament de leur côté une hausse de 30 % des salaires et le paiement des heures supplémentaires effectuées.

Dans ce contexte, l'annonce cette semaine des salaires records de Joseph Ackermann, patron de la Deutsche Bank, et de Klaus-Peter Müller, patron de la Commerzbank (voir encadré), ne peut qu'échauffer les esprits. «Cela engendre une énorme frustration qui dépasse le simple cadre des banques», estime Jan Jurczyk. Une impression confirmée par IG Metall, le deuxième grand syndicat derrière Ver.di.

Fléaux.
«Les salariés allemands ne supportent plus ces disproportions, estime Jörg Köther, représentant d'IG Metall en Basse-Saxe. D'un côté, les salaires des patrons, y compris dans le secteur de la métallurgie, ne cessent d'augmenter et, de l'autre, le revenu réel moyen des salariés a diminué de 0,9 %.» Jugeant avoir fait preuve d'une modération salariale exemplaire ces dernières années, le syndicat, dont dépendent 3,4 millions de salariés, réclame pour cette année une augmentation de 5 %. La Fédération patronale de la métallurgie prétend ne pas pouvoir aller au-delà de 1,4 % sans pénaliser la compétitivité des entreprises du secteur. Elle souhaite trouver une conclusion rapide au conflit, laissant entendre que cela ne ferait qu'augmenter les suppressions d'emplois et les délocalisations. Ces menaces n'impressionnent plus les métallos, qui ont vu ces fléaux s'abattre sur eux ces dernières années, malgré la retenue salariale.

«Notre intention n'est pas d'organiser des grèves dures pendant des semaines comme le fait le syndicat des services Ver.di dans la fonction publique», a assuré Jürgen Peters, président de IG Metall. Mais si les négociations restent dans l'impasse, «les métallos ne vont pas rester les bras croisés en regardant la croissance passer à côté d'eux. Ils veulent en avoir une part».

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