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TRIBUNE POLITIQUE INTERNATIONALE
Interview parue dans le numéro du 6 février 2003 du PCA (Patriote Côte d'Azur), hebdomadaire communiste des Alpes- Maritimes, de Bruno DELLA SUDDA conseiller municipal de Nice et porte-parole départemental des Alternatifs
14 février 2003

DE RETOUR A PORTO ALEGRE

QUE S'EST-IL PASSÉ A PORTO ALEGRE ?

 

Dans quel contexte s´est tenu le FSM de Porto Alegre ?

On imagine mal en France le séisme qu´a représenté pour toute l´Amérique latine la victoire électorale de Lula et l´immense espérance de tout un continent. C´est le premier élément, omniprésent, du contexte de ce Forum Social Mondial qui s´est tenu pour la troisième fois à Porto-Alegre, du 23 au 28 janvier. En toile de fond, trois autres éléments : la guerre qui vient, synonyme d´horreur pour tous les participants au FSM ; les menaces impérialistes contre le Venezuela ; enfin, ne l´oublions pas : Porto-Alegre demeure la capitale de la «démocratie participative », avec une extraordinaire expérience municipale de démocratie active et l´existence de 300 entreprises autogérées dans l´Etat du Rio Grande do Sul...

A signaler par ailleurs qu´articulés au FSM, se sont tenus dans les jours précédents le Forum Mondial de l´Education d´une part, le Forum des autorités locales pour l´inclusion sociale d´autre part (avec la participation de plusieurs centaines d´élus locaux et régionaux du monde entier, surtout européens et latino-américains).

Comment se sont déroulés concrètement les travaux du FSM ?

Comme l´an passé, l´ouverture s´est faite avec une immense manifestation, de 100 000 personnes (20 000 pour l´édition 2002). Je n´avais jamais vu une manif aussi diversifiée, un véritable kaléidoscope mondial de toutes les contestations possibles et imaginables du capitalisme, sur les terrains politique, social, culturel, sociétal et environnemental. Et là, nous avons senti physiquement l´appropriation de la victoire de Lula par tout un continent.
Les Argentins, les Chiliens et tous les autres étaient là par  milliers, dans une ferveur inoubliable. Le kaléidoscope était largement brésilien, avec une coloration très féministe (une excellente surprise) , très sociale (on pense en particulier à la CUT et au Mouvement des Sans-Terre) et très politique (avec toute la gauche, qui ne se limite pas au PT même si celui-ci était omniprésent, les mouvements Amérindiens et le Movimendo Negro Unfificado). Les Européens étaient présents aussi, surtout de France et d´Italie (avec un cortège de la CGIL). Plus modeste, la participation africaine ou asiatique, ce qui marque aussi les limites actuelles du mouvement altermondialiste.

Quant au Forum lui-même, il était organisé autour de 5 thèmes majeurs : développement démocratique et durable ; principes et valeurs, droits de la personne, diversité et égalité; médias , culture et contre-hégémonie; pouvoir politique, société civile et démocratie; ordre mondial démocratique, lutte contre la militarisation et pour la paix. Chacun de ces thèmes était traité par des conférences et tables-rondes mais aussi des ateliers et des séminaires, au total de 1500 environ ! A noter que la traduction des débats des réunions «majeures» était assurée en anglais, en français et en espagnol. On ne risquait donc pas de s´ennuyer : tout le problème, au contraire, était de choisir entre ces débats dans des créneaux horaires
 concurrents... Bien sûr, le niveau de ces débats était variable et la participation allait de quelques dizaines à plusieurs milliers, selon les cas... On retrouve là les caractéristiques
 organisationnelles du Forum Social Européen de Florence. Mais dans l´ensemble, comme à Florence, quelle richesse ! D´où l´intérêt, bien sûr, d´une participation à la fois individuelle et collective pour se répartir le travail et la présence à tel ou tel débat, organiser la mise en commun et partager ainsi cette extraordinaire expérience !

Quelles seront les suites et quelles sont les perspectives ?

Le 3° FSM a été un très grand succès. Sa force est double : se situer délibérément sur le double terrain de la contestation radicale et des propositions alternatives ; et ce immédiatement à l´échelle mondiale. Se confirme ainsi la dynamique extraordinaire de ce mouvement «altermondialisation» , qu´on appelait encore « anti-mondialisation » il y a peu.

Certes, difficultés et limites existent : l´enracinement populaire de ce mouvement est fragile, il n´est pas encore assez coloré, il est trop américano-européen, les processus de décision y sont souvent opaques... Mais n´oublions pas l´essentiel : enterré deux fois (après Gênes et après le 11 septembre 2001), non seulement ce mouvement est bien vivant, mais il continue de grandir ! Dans l´histoire des mouvements d´émancipation, c´est même le plus important selon moi, depuis les grandes vagues de contestation sociale et culturelle des années 60-70. C´est en s´appuyant du reste sur le FSM que Lula, dans ce meeting impressionnant -encore un moment fort de ce séjour !-, a justifié , non sans habileté , son envol pour Davos, pour y porter haut et fort les aspirations et les exigences de tout un peuple...

Et avons-nous prêté attention au récent succès du 1° Forum Social Asiatique en Inde : 15 000 personnes, deux fois plus que prévu ?

Prochains rendez-vous : le FSM se tiendra tous les deux ans à Porto-Alegre et celui de 2004 aura lieu en Inde. Deux décisions bienvenues pour asseoir et élargir à la fois cette dynamique !

Mais ne pensons pas que ces rendez-vous sont loin de nous : ils nous concernent directement. Si l´on veut enraciner et amplifier ce mouvement, il faut que le plus grand nombre s´en empare. D´où l´idée d´organiser des Forums sociaux à l´échelle départementale ou locale, pour l´échange, le dialogue et la stimulation réciproque d´un maximum de réseaux citoyens et d´individus. Cela permettrait de mobiliser pour l´action
unitaire dans tous les domaines, et de préparer à la base le prochain Forum Social Européen, qui aura lieu en France, à Saint-Denis du 12 au 16 novembre 2003.

Enfin, rien ne remplace la participation directe à des événements comme le FSE ou le FSM. C´est une expérience qu´il faut essayer de vivre soi-même, et l´occasion d´emmagasiner le maximum d´énergie, si nécessaire pour les combats à mener. Et quand on est militant politique, il y a beaucoup à en apprendre, particulièrement pour renouveler les pratiques, les fonder sur la coopération et le dialogue sur une base égalitaire. Bref, participer avec beaucoup d´autres à l´élaboration d´une nouvelle culture politique !

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