LA PRESSE ALTERNATIVE
     
 
ROUGE ET VERT : LE JOURNAL DES ALTERNATIFS
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Chômage, retraites, précarité, revenus: soyons réaliste, réfutons le libéralisme: Du présent faisons table pleine!

"Comment renverse-t-on une citadelle ? Non par le fer et par le feu, mais par la force des idées neuves." (Epictète)

La refondation voulue par le Médef est bien avancée. Le soutien explicite du premier ministre à la politique d’Ernest-Antoine Seillières ne peut que conforter le patronat dans ses orientations destructives.

Si le capitalisme tendanciellement mondialisé veut refonder la société, c’est que l’édifice libéral est menacé en ses fondations mêmes. Les « experts » du capital le savent fort bien, les perdants du système, moins bien, le sentent déjà confusément ; avant que l’évidence devienne manifeste il importe pour les libéraux de développer un discours qui fasse écran aux comportements dangereusement émergents.

En effet, les tendances lourdes de l’économie, les gains séculaires de productivité, les attitudes sociales des « intellos précaires », les postures des précaires intellectualisés, l’indiscipline des intermittents du spectacle, la vie active des retraités, pensionnés dispensés d’emploi, les revendications des chômeurs exigeant un revenu, pour, au moins, pouvoir négocier les conditions de leur « employabilité »,… modes de vie, qui en convergence perceptible décrédibilisent l’idéologie matrice du capitalisme, son credo principiel : la religion du travail, la centralité du salariat comme mode de socialisation dominant.

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Horizon sombre : la régression sociale

Bien plus qu’un certain syndicalisme "travailliste", que nombre d’organisations dont le fond de commerce est "la défense des intérêts des travailleurs", le Médef, ses idéologues et ses "chiens de garde" intellectuels ont senti le danger. De fait, positivement, est politiquement disponible l’opportunité de refonder la société sur des bases réellement nouvelles, radicalement innovantes. Une refondation, mais comme condition d’un authentique développement des intelligences, d’une société réellement démocratique, par réfutation de la dictature de l’Économique. A défaut de réelles innovations, la perspective déjà sensible est celle de l’horizon sombre de la régression sociale.

Ainsi, a-t-on pu entendre au cours de l’assemblée générale du Médef (12 décembre 2002) : "Il faut rétablir la valeur travail. En finir avec des décennies de propagande fallacieuse en faveur du loisir. Il faut cesser de faire croire que l’on peut commencer à travailler à 30 ans et finir à 50 ans." (E.-A. Seillières).

Soyons clair, assumons la confrontation radicale avec les thuriféraires du travail, de la pénitence et de la transpiration rédemptrice : c’est le loisir que nous voulons. Ce qui, implique de remettre le travail à sa place : minimale, d’une nécessité tendanciellement décroissante. Malgré les fantastiques gaspillages organisés, la destruction programmées des richesses dans la préparation des guerres géostratégiques (Irak), l’insécurité entretenue, les investissements policiers comme conséquence, c’est une donnée immédiate de la perception : il y a assez de biens pour tout le monde, sous réserve de reconsidérer les modalités d’accès à la richesse sociale. Quant au travail (sous modalités salariales), il n’a d’autre fonction que de se reproduire lui même comme instrument d’assujettissement du travailleur (J. Baudrillard). En conséquence , pour gagner la liberté, sortir de l’assujettissement, il est nécessaire de renier l’idéologie du travail. C’est une contestation émergente - et contrariée. D’où l’offensive idéologique des profiteurs du travail des autres.

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Travail forcé pour les jeunes, petits boulots pour les vieux

Les effets de cette véritable guerre sociale, sont déjà sensibles et douloureusement concrets. Exemples, non exhaustifs :

  • la réduction de la durée, du montant, du nombre de bénéficiaires des allocations chômage. Changement sémantique, signe d’une offensive politique : nous sommes passés d’une « indemnisation pour perte d’emploi » à une « allocation pour recherche d’emploi ». Effet de l’activation des « dépenses passives ».

  • en cours : la réduction des pensions et le bénéfice tardif du droit à la retraite. Le Médef préconise 45 années de cotisations ! (1)

  • les menaces toujours réitérées sur le statut des intermittents du spectacle. Avec, grosso-modo, 3 mois de travail par an, les "artistes" peuvent vivre (pour la plupart chichement) avec 12 mois d’allocations. Régime jugé déficitaire (après subtile comptabilité analytique). Cet octroi de "privilèges" induit une exemplarité dangereusement contaminante. D’autant, qu’entre les intermittents du spectacle, les « intellos précaires », les précaires intellectualisés, les ordinaires de la précarité, les chômeurs actifs et militants, la frontière est souvent floue. Il était urgent de les appauvrir davantage, pour les mettre en état de nécessité d’accepter un emploi dont ils n’auront guère les moyens de discuter des conditions (le Rma dont on menace les érémistes). Cette orientation est explicitement lisible sur le site Internet du Médef : "une contraction générale les allocations, dans le but d’inciter les chômeurs à être plus actifs dans leur recherche…". 

  • Et, ajoutons nous (ce n’est pas encore écrit), retarder et réduire le montant des retraites pour inciter les "vieux" à accepter de petits boulots, ou à survivre péniblement comme porteurs d’une image incitative à l’effort, mieux vaut avoir une vie fort productive, sinon…

A contrario, et le Médef le sait, et le dit (cf. plus haut), une véritable révolution anthropologique perdure (bien qu’insuffisamment visible), depuis plusieurs décennies : le temps hors travail (coercition salariale) est nettement supérieur au temps de travail. Durant la vie active (16/60 ans), où le travail stricto-sensu n’occupe, au plus que 20 % de la vie éveillée (et même moins de 14 % selon R.Sue , A. Gorz et autres sociologues) ; et ce, sans examen de l’utilité de certaines productions… Ainsi, les "abstentions de production subventionnées" par des allocations ou des pensions, sont irrémédiablement insupportables par les idéologues du Médef. Logique.

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Soyons - vraiment - "risquophiles"

Compte tenu de l’espérance de vie, les retraités d’aujourd’hui, peuvent espérer plusieurs décennies d’activités, de loisirs, de voyages, d’horaires libres sans contrôle d’une quelconque entreprise ! C’est trop dangereux, d’autant que sont aussi nombreux les pré-retraités encore fort verts et actifs (hors entreprises), dont les enfants et petits enfants sont… chômeurs ? intellos précaires ? artistes intermittents ? étudiants et en emplois jeunes dans l’éducation nationale ?

Dans les itinéraires concrets et les carrières réelles la "centralité du travail" n’est plus ce qu’elle était. D’où l’urgence de la refondation. "Commencer à travailler à 30ans, pour finir de travailler à 50ans" ? Oui, et c’est largement suffisant. Soyons vraiment "risquophiles", faisons le pari de retrouver l’usage du temps, donc le mode d’emploi de nos vies. C’est possible, techniquement, économiquement, n’en déplaise aux "risquophobes" du Médef et des assurances.

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Du présent faisons table pleine !

Seule l’invention est révolutionnaire (R. Barthes), or la simple invention de notre époque, l’exigence légitime, réaliste consiste à exiger tout ce qui est potentiellement possible, accessible. A défaut, d’audace et d’imagination, le monopole de la refondation laissé au patronat augure d’un dangereux glissement progressif vers la barbarie : extension de la misère, réactions de survie, exaspération du ressentiment, répressions, enfermements, demande amplifiée de sécurité,…

N’est-il visible que les chômeurs aux revenus amputés, les retraités aux pensions écornées, les intermittents au statut menacé, les précaires en état d’insécurité aggravée, les jeunes licenciés par milliers de l’éducation nationale, les érémistes bientôt embastillés dans les travaux forcés du Rma, tous ont pour adversaire commun le libéralisme autoritaire ?! 

Le dépassement de l’Économique appelle volonté politique, organisation collective et imagination sociale : "Comment renverse-t-on une citadelle ? Non par le fer et par le feu, mais par des pensées neuves." (Épictète).
L’imagination au pouvoir, ancienne antienne. Il faut faire l’effort de réinventer la production. Production de soi (A . Gorz), ce qui suppose loisirs, moyens et culture. Aussi redécouvrir le souci de soi (M. Foucault), c’est à dire liberté d’inventer sa vie, ce qui n’est guère possible dans la discipline du productivisme d’entreprise, durant le contrôle disciplinaire des chômeurs.
Du loisir ? Oui, au sens noble et antique du mot : la scholè grecque ou l’otium romain. Ce qui fut le privilège d’une infime aristocratie est aujourd’hui réellement largement accessible au plus grand nombre. C’est possible, mais rien n’est écrit.
C’est trop ? C’est utopique ? Délirant ? Si c’est trop de désirer ainsi, nous n’aurons rien. C’est à dire tout.

Mais, tout du pire : inégalités exacerbées (un capitalisme tendanciellement féodal), violences réactives, répressions conséquentes, guerre géostratégique (pour maintenir la rareté et induire l’insécurité), misères absolues aux périphéries des villes, se pressant aux frontières des « pays riches » des marées de dépossédés d’Afrique, du Maghreb, de l’Est permettant une mise en concurrence destructive de tous les perdants. Le patronat, toujours, est xénophile. Ainsi, est inévitable la montée du racisme, de la xénophobie, … polices publiques et privées partout, justice nulle part dans le monde.

La civilisation est au carrefour (R . Ritcha), sur l’un des itinéraires se trouvent :
« Le loisir, le repos, la paix du séjour, l’aménité des cités, la sérénité des cieux, la murmure des fontaines, le calme de l’esprit, toutes choses qui concourent à ce que les muses les plus stériles se montrent fécondes, et montrent au monde ravi les fruits merveilleux qui le comblent de satisfaction. » Cervantés, Don Quichotte de la Manche.
C’est une refondation, différente de celle que cogite le Médef.

Alain VÉRONÈSE

1 - Pourtant, il n’y a aucune raison strictement économique pour allonger la durée des cotisations. Sur les tendances raisonnablement prévisibles, nous avons : croissance de la productivité, 2%/an, taux de croissance du Pib également 2%/an (comme durant la période 1980/2000) , Chômage (actuel) 9%. Conséquence le Pib va croître de 40% en 20 ans (2000/20020). Le rapport retraités/actifs occupés va passer de 0,48 à 0,66, soit une croissance de 38,5 %. C’est tout à fait supportable. Le poids des retraites aujourd’hui : environ 12% du Pib (pour 12 millions de retraités), en 2040, environ 18% (prévisions). Et alors ? Où est le vrai problème ?!
Quant au déficit des caisses de l’Unédic, prétexte à l’amputation des faibles revenus des chômeurs, ajoutons 1 à 2 % de contribution de la part patronale. Pour voir, où est le vrai problème.

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