Article du numéro 184 (519)
CINQUIEME ZONE
«Cinquième zone» est un journal tract diffusé dans les quartiers populaires
du secteur de Bagneux en banlieue parisienne, un support pour le débat
politique et l'action. Rouge et Vert a demandé à un de ses rédacteurs
d'expliquer cette démarche.
Les jeunes, les banlieues, sont un sujet de prédilection pour les
journalistes et les hommes politiques en mal de copie ou de discours
racoleur. Tout le monde en parle, le plus souvent pour décrire une
situation apocalyptique mais personne ne leur parle.
Ministre après ministre, l'arsenal répressif s'enfle. Le rassemblement dans
les halls d'immeubles est devenu un délit. Non qu'il soit anodin pour les
habitants qu'un groupe de jeunes squatte bruyamment une cage d'escalier
jusqu'à 2h du mat'. Mais qui peut croire un instant qu'un car de flics
apportera une solution au désoeuvrement et à l'absence d'avenir de toute
une partie de la jeunesse?.
On glose beaucoup sur une prétendue absence de morale chez les jeunes.
Comment en serait-il autrement ? D'un côté l'étalage permanent et éhonté
des richesses (seule "vertu" de la réussite), la violence sociale et
économique destinée à préserver les fortunes de ceux qui en sont déjà
pourvus, et de l'autre, les reculs sociaux, le développement de la
pauvreté et de la précarité, l'abandon de zones entières, la dégradation de
l'image de la femme, l'incroyable misère du reste du monde, chaque jour au
20 heures.
L'exemple vient d'en haut, des hommes politiques et de leurs soutiens
affairistes, aux pseudo-vedettes consacrées en quelques semaines, tout
contribue à ce que se crée une nouvelle "morale", celle du système :
réussir et vite, en marchant sur les autres (violemment si nécessaire),
pour obtenir ce qui, de l'avis général, témoigne du succès: le fric, le
pouvoir et la frime.
Et face à cette déferlante? Depuis de longues années les organisations
politiques ont quitté les cités, les syndicats exsangues ne regroupent plus
que les salariés des grandes entreprises, aucune alternative collective,
plus de valeurs de solidarité, ce qu'on appelait naguère une conscience de
classe, ne sont proposées.
Pourtant au delà des clichés, une fraction importante de cette jeunesse,
se bat, étudie, travaille, cherche, en manque "d'explications du monde", de
décodages de l'actualité. Le chômage, la retraite, l'Algérie, le Kosovo et
l'Afghanistan hier, l'Irak aujourd'hui, vus au travers de PPDA au JT ou de
PPD aux Guignols, c'est un peu court.
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En 1995, en pleine période vigiepirate, suite à la vague d'attentats,
quelques militants ont décidé d'essayer de répondre, à leur niveau à cette
situation. En distribuant une feuille ronéotée et quinzomadaire qui
s'adresse prioritairement aux jeunes des banlieues dans un langage et un
ton qui leur soient accessibles et pas dans la langue habituelle des
tracts ou des journaux politiques. Son but est clairement de redonner vie
aux idées socialistes et révolutionnaires face à la désinformation
médiatique qui passe tous les événements à sa moulinette libérale. Une
feuille qui combat l'individualisme, des Start-up à Star'Ac, qui combat le
racisme et dénonce l'exploitation. Un tout petit contrepoids à l'idéologie
du fric, du chacun pour soi et de la débrouille. Une feuille qui prône
aussi l'action collective et l'auto organisation. Prendre ses affaires en
main, savoir qu'il est possible d'agir sans toujours s'en remettre à
d'autres ou sombrer dans le fatalisme du "on n'y peut rien". Qui montre
dans le concret que les jeunes ont d'autres alternatives que laisser faire
et subir ou s'abandonner à une violence stérile ou dangereuse car toujours
dirigée contre eux ou leurs voisins. Une feuille d'éducation qui ne parle
pas que des cinq cents mètres de bitume autour de la cité mais fournit
aussi quelques clés pour essayer de comprendre le monde.
Et cette feuille est lue. il suffit d'assister à une diffusion (environ 7 à
8000 exemplaires par numéros) pour voir les jeunes ou les moins jeunes,
catalogués "apolitiques", venir la chercher parce que "moi, je l'aime
bien", "ça au moins je le lis", "Cinquième Zone c'est de la balle", pour
s'en convaincre.
Mais Cinquième Zone ne se contente pas d'écrire, en organisant autour de
nous dans quelques circonstances, quelques luttes (pas exemplaires
malheureusement, ni bien sûr assez nombreuses): l'obtention de papiers pour
tel élève d'un lycée professionnel, l'organisation d'un comité de soutien à
tel étranger victime de violences policières (cf. "l'affaire Tarek" sur
notre site www.cinquieme-zone.org ou après quatre ans de luttes, deux flics
coupables de violences ont été condamnés à de la prison avec sursis et 8000
? de dommages et intérêts), l'assistance matérielle et morale à des
(emplois-)jeunes licenciés abusivement par un maire sans scrupule, ou
encore la participation à un comité de mal-logés. Cinquième Zone, montre
qu'il est possible de faire de la politique en banlieue-cités-quartiers. Ce
sont des dizaines de feuilles comme la nôtre (ou des gens pour la diffuser)
qui pourraient permettre de déjouer la mécanique infernale en marche
actuellement. Pris entre Le Pen et l'intégrisme entre Tapie et "Qui veut
gagner des millions" il reste peu de place, mais il en reste. C'est là que
CZ a décidé d'aller.
Patrice WACH (Cinquième Zone)
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