LA PRESSE ALTERNATIVE
     
 
ROUGE ET VERT : LE JOURNAL DES ALTERNATIFS
Remonter ] [ n° 184 ] n° 183 ] n° 182 ] n° 181 ]

Article du numéro 184 (519)

CINQUIEME ZONE



«Cinquième zone» est un journal tract diffusé dans les quartiers populaires du secteur de Bagneux en banlieue parisienne, un support pour le débat politique et l'action. Rouge et Vert a demandé à un de ses rédacteurs d'expliquer cette démarche.

Les jeunes, les banlieues, sont un sujet de prédilection pour les journalistes et les hommes politiques en mal de copie ou de discours racoleur. Tout le monde en parle, le plus souvent pour décrire une situation apocalyptique mais personne ne leur parle.

Ministre après ministre, l'arsenal répressif s'enfle. Le rassemblement dans les halls d'immeubles est devenu un délit. Non qu'il soit anodin pour les habitants qu'un groupe de jeunes squatte bruyamment une cage d'escalier jusqu'à 2h du mat'. Mais qui peut croire un instant qu'un car de flics apportera une solution au désoeuvrement et à l'absence d'avenir de toute une partie de la jeunesse?.

On glose beaucoup sur une prétendue absence de morale chez les jeunes. Comment en serait-il autrement ? D'un côté l'étalage permanent et éhonté des richesses (seule "vertu" de la réussite), la violence sociale et économique destinée à préserver les fortunes de ceux qui en sont déjà pourvus, et de l'autre, les reculs sociaux, le développement de la pauvreté et de la précarité, l'abandon de zones entières, la dégradation de l'image de la femme, l'incroyable misère du reste du monde, chaque jour au 20 heures.

L'exemple vient d'en haut, des hommes politiques et de leurs soutiens affairistes, aux pseudo-vedettes consacrées en quelques semaines, tout contribue à ce que se crée une nouvelle "morale", celle du système : réussir et vite, en marchant sur les autres (violemment si nécessaire), pour obtenir ce qui, de l'avis général, témoigne du succès: le fric, le pouvoir et la frime.

Et face à cette déferlante? Depuis de longues années les organisations politiques ont quitté les cités, les syndicats exsangues ne regroupent plus que les salariés des grandes entreprises, aucune alternative collective, plus de valeurs de solidarité, ce qu'on appelait naguère une conscience de classe, ne sont proposées.

Pourtant au delà des clichés, une fraction importante de cette jeunesse, se bat, étudie, travaille, cherche, en manque "d'explications du monde", de décodages de l'actualité. Le chômage, la retraite, l'Algérie, le Kosovo et l'Afghanistan hier, l'Irak aujourd'hui, vus au travers de PPDA au JT ou de PPD aux Guignols, c'est un peu court.

haut

En 1995, en pleine période vigiepirate, suite à la vague d'attentats, quelques militants ont décidé d'essayer de répondre, à leur niveau à cette situation. En distribuant une feuille ronéotée et quinzomadaire qui s'adresse prioritairement aux jeunes des banlieues dans un langage et un ton qui leur soient accessibles et pas dans la langue habituelle des tracts ou des journaux politiques. Son but est clairement de redonner vie aux idées socialistes et révolutionnaires face à la désinformation médiatique qui passe tous les événements à sa moulinette libérale. Une feuille qui combat l'individualisme, des Start-up à Star'Ac, qui combat le racisme et dénonce l'exploitation. Un tout petit contrepoids à l'idéologie du fric, du chacun pour soi et de la débrouille. Une feuille qui prône aussi l'action collective et l'auto organisation. Prendre ses affaires en main, savoir qu'il est possible d'agir sans toujours s'en remettre à d'autres ou sombrer dans le fatalisme du "on n'y peut rien". Qui montre dans le concret que les jeunes ont d'autres alternatives que laisser faire et subir ou s'abandonner à une violence stérile ou dangereuse car toujours dirigée contre eux ou leurs voisins. Une feuille d'éducation qui ne parle pas que des cinq cents mètres de bitume autour de la cité mais fournit aussi quelques clés pour essayer de comprendre le monde.

Et cette feuille est lue. il suffit d'assister à une diffusion (environ 7 à 8000 exemplaires par numéros) pour voir les jeunes ou les moins jeunes, catalogués "apolitiques", venir la chercher parce que "moi, je l'aime bien", "ça au moins je le lis", "Cinquième Zone c'est de la balle", pour s'en convaincre.

Mais Cinquième Zone ne se contente pas d'écrire, en organisant autour de nous dans quelques circonstances, quelques luttes (pas exemplaires malheureusement, ni bien sûr assez nombreuses): l'obtention de papiers pour tel élève d'un lycée professionnel, l'organisation d'un comité de soutien à tel étranger victime de violences policières (cf. "l'affaire Tarek" sur notre site www.cinquieme-zone.org ou après quatre ans de luttes, deux flics coupables de violences ont été condamnés à de la prison avec sursis et 8000 ? de dommages et intérêts), l'assistance matérielle et morale à des (emplois-)jeunes licenciés abusivement par un maire sans scrupule, ou encore la participation à un comité de mal-logés. Cinquième Zone, montre qu'il est possible de faire de la politique en banlieue-cités-quartiers. Ce sont des dizaines de feuilles comme la nôtre (ou des gens pour la diffuser) qui pourraient permettre de déjouer la mécanique infernale en marche actuellement. Pris entre Le Pen et l'intégrisme entre Tapie et "Qui veut gagner des millions" il reste peu de place, mais il en reste. C'est là que CZ a décidé d'aller.

Patrice WACH (Cinquième Zone)

haut