LA PRESSE ALTERNATIVE
     
 
ROUGE ET VERT : LE JOURNAL DES ALTERNATIFS
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Article du numéro 186 (521)

COMMUNICATION GOUVERNEMENTALE

 

Le 5 février 2003, la majeure partie des quotidiens (1) publiaient une pleine page de publicité d’un genre un peu particulier. Intitulée " Moins d’actifs, plus de retraités. On fait comment ? ", il s’agissait en réalité d’une communication gouvernementale décentralisée, élaborée pour le compte du ministère des Affaires sociales et du gouvernement.

Telle était la seconde phase d’un plan média parfaitement construit, faisant suite à un discours du premier ministre retransmis sur LCI (groupe Bouygues) et précédant la participation du même Jean-Pierre Raffarin au journal télévisé du soir sur TF1 (groupe Bouygues).

Le troisième volet prenait la forme d’un site Internet consacré au " débat national sur les retraites " (2).  



A qui profite la pub ?

Le premier réflexe, au vu d’une telle débauche d’énergie, est de se demander qui a élaboré cette campagne, combien elle a coûté et sur quel budget elle a été financée. A ces questions, aucun des services ministériels contactés n’a daigné répondre à ce jour.

Toutefois, le magazine Stratégies (Reed Business Information SA), spécialisé dans les médias et la communication, donnait récemment un ordre de grandeur et estimait à 18 millions d’euros la campagne de presse.

Reste à savoir pourquoi une telle dépense, dans la mesure où comme en 1995 au moment du plan Juppé, les quotidiens sont massivement sur une ligne proche de celle définie par le gouvernement : alignement de la durée de cotisations et du mode de calcul des pensions du public sur celui du privé, maintien d’une coquille de répartition nationale mais nécessaire complément des retraites par la capitalisation…

Reste à savoir pourquoi la solution de la classique conférence de presse ou des entretiens exclusifs avec Raffarin ou Fillon - gage d’excellence capillaire - n’a pas eu les faveurs du gouvernement ?

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Le gouvernement, le doigt et la Lune

D’autant plus que le message transmis ­ somme toute très pauvre en informations ­ relève du condensé de tous les raccourcis, imprécisions et malhonnêtetés qui traînent depuis des années dès lors que l’on aborde le sujet des retraites à la télé.

Tout d’abord, la démographie, rien que la démographie, mais pas toute la démographie. Rien n’est dit sur les paramètres pris en compte pour établir une projection, contestable, à 40 ans. Rien n’est dit sur la colossale inégalité sociale devant l’espérance de vie.

Rien n’est dit non plus sur l’évolution de la population active et sur la proportion de privé-e-s d’emploi. Rien n’est dit sur le solde migratoire.

Ensuite, la richesse nationale est considérée comme un gâteau donné une fois pour toutes. La notion même de gains de productivité est totalement absente de la publicité gouvernementale.

Enfin, à aucun moment il n’est question du partage de la richesse entre rémunération du capital et rémunération du travail.

Non ; la page de publicité préfère donner dans le lyrisme, lorsqu’elle évoque " la retraite par répartition, système assurant le mieux la solidarité entre les générations ", pour mieux menacer : " personne ne peut accepter que le niveau des retraites doit divisé par deux à l’horizon 2040 ". Ainsi, le gouvernement peut montrer la Lune du doigt et préparer une division des pensions par 1,25 ou 1.4, en espérant que ceux d’en bas ne perdront pas des yeux son index boudiné.

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Eurêka !

Cependant, de février à mai, le gouvernement a pu une nouvelle fois faire l’expérience que " les Français aiment les réformistes à condition qu’ils ne passent pas aux actes " (3). La situation exigeait bien une nouvelle couche de communication, plus chaleureuse, plus personnelle. Plus poitevine, en somme.

Le 7 mai paraissait donc dans les quotidiens une lettre du premier ministre (4), pour propager la Bonne Nouvelle : " le Gouvernement a préparé la réforme qui va sauver notre système de retraites ".

Rien de neuf en réalité, sinon un nouvel effort cosmétique pour vendre une contre-réforme dont la majorité de la population ne veut pas. Rien de neuf sinon un nouveau triptyque : " sécurité ", " liberté " et " solidarité ". Rien de neuf pour une somme approchant les 16 millions d’euros.

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Usage externe ­ Ne pas avaler

Aussi, en toute bonne foi, il est permis de se demander si les véritables cibles de la campagne de communication gouvernementale sont bien les lecteurs des quotidiens. A l’heure où l’on se lamente sur la morosité du marché publicitaire, 30 à 40 millions à se partager entre quelques titres, c’est toujours ça de pris… n

Arno Gauthey

1- A l’exception notable de “L’Humanité” qui reproduisait la publicité en miniature, illisible, et l’accompagnait en dernière page d’un commentaire de la rédaction.
2- Malheureusement peu au point le jour du lancement, puisque la rubrique " 3 minutes pour comprendre " et la page de dialogue avec les responsables du site étaient en rideau le 5 février. Encore et toujours le déficit de communication…
3- Editorial de Gérard Dupuy, Libération, 12 mai 2003.
4- Pour des raisons budgétaires, “L’Humanité” choisissait de la publier en l’accompagnant d’un commentaire, tandis que “Libération” la surmontait d’un discret : (PUBLICITE).

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