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ROUGE ET VERT : LE JOURNAL DES ALTERNATIFS
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Edito du numéro 209 (544)

ILS CONTINUENT

par F. Preneau



Mercredi 1er septembre: par un communiqué de presse de Bercy, le gouvernement annonce sa décision de vendre 9,6% du capital de France Télécom.

Jeudi 2 septembre: les fédérations CGT, SUD, CFDT, FO, CFTC et CGC publient une déclaration commune dans laquelle ils déclarent que «cette décision obéit exclusivement à des objectifs financiers : renflouer les caisses de l’Etat. Cette nouvelle étape dans la privatisation intervient dans un contexte déjà lourd à France Télécom (suppressions d’emplois, conditions de travail dégradées, service rendu amoindri) et va encore aggraver la situation» et appellent les salariés de France Télécom à faire grève le mardi 7 septembre.

Lundi 6 septembre: dans chacun des services de France Télécom, les cadres sont incités à réunir le personnel dont ils ont la responsabilité pour, en substance, les convaincre que faire grève ne sert à rien car «c’est l’Etat qui a décidé et la vente est faite et la privatisation ne change rien ni pour l’entreprise ni pour ses salariés».


Depuis la transformation de France Télécom en société anonyme en 1996, gouvernement Juppé, et l’ouverture du capital en 1997, gouvernement Jospin, les salariés de France Télécom ont en vu de toutes les couleurs. Mais une "com" interne la veille d’une grève appelée unitairement par tous les syndicats, c’est nouveau.

Contrairement aux forfanteries de Sarkozy en direction des fameux marchés financiers, les faits sont têtus: l’endettement de France Télécom est toujours de près de 45 milliards d’euros et les perspectives de développement du chiffre d’affaire largement hypothéquées tant par l’arrivée de la voix sur internet, que par l’entrée de la concurrence sur le fixe et la stagnation relative sur les mobiles. De plus, malgré 40000 suppressions d’emplois en moins de dix ans, et 8800 nouvelles suppressions annoncées en France pour 2004 (14500 dans le groupe), la pyramide des âges des salariésreste élevée (moyenne 47 ans) et la masse salariale bien sur trop importante.

Et la mobilité fonction publique (dispositif mis en place par l’équipe Breton visant à inciter les salariés de France Télécom à rejoindre une autre administration) est plutôt un échec: pas simple de trouver des administrations preneuses quand c’est une attaque généralisée contre les services publics, avec, à la clé,des milliers de suppressions d’emplois et la désertification de zones entières, qui est menée par la Droite gouvernementale.

C’est dire que la privatisation de France Télécom va avoir des conséquences rapides pour les salariés. Et pour les clients/usagers.


Côté salariés, la publication du livre de Dominique Decèze «quand les privatisations tuent: France Télécom, la machine à broyer» (Editions Jean-Claude Gawewith) éclaire d’un jour cru la violence des rapports sociaux auxquels ont été et sont soumis la majorité des salariés, qu’ils soient fonctionnaires ou de droit privé. Et il n’est pas sûr qu’il soit possible de serrer la boucle de crans supplémentaires sans fragiliser davantage l’entreprise, tant du point de vue technique (entretien des réseaux notamment) qu’humain. Reste des «mesures énergiques» comme les délocalisations des plate-forme clients, c’est déjà le cas pour Wanadoo délocalisée au Maroc avec des salariés travaillant 48 heures par semaine pour 150 Euros par mois, et les plans sociaux.

A l’évidence il faudrait être crédule, et bien nigaud, pour donner crédit au gouvernement sur les supposéesgaranties données aux fonctionnaires de France Télécom par la loi de décembre 2003.( pouvoir conserver les acquis du statut, essentiellement la garantie de l’emploi, jusqu’en 2019!). C’est donc bien les questions de la défense de l’emploi et des conditions de travail quisont posées.Avec la nécessité dans le véritable champ de ruine sociale social qu’est devenu France Télécom de reconstruire des solidarités et des rapports de force. Ce n’est pas le moindre des enjeux de la mise en place des nouvelles instance de représentation du personnel (DP, DS, CE) en janvier prochain.


Côté clients/usagers, outre la dégradation du réseau et les files d’attente dans les boutiques, l’opacité des tarifs, tous opérateurs confondus (car chez ces gens-là on sait se mettre d’accord quand il s’agit de fric), ne saurait masquer le constat d’une tarification scandaleusement inégalitaire au détriment des usagers lambda et, bien sûr, au bénéfice des grandes entreprises. Le service public des télécommunications a, au moins provisoirement, vécu.

Et pourtant nous sommes de ceux qui considèrent que les télécommunications ne sont pas une simple marchandise comme une autre mais qu’ils constituent un service essentiel. Et un droit pour tous. En bradant l’opérateur public aux intérêts privés, le gouvernement sait très bien qu’il transforme le service public en service pour ceux qui ont les moyens de payer. C’est ce même choix libéral qu’il tente d’imposer à EDF/GDF comme à La Poste. Pour s’y opposer efficacement, il faut bien sûr soutenir sans réserve les mobilisations des salariés, mais il faut aussi construire dans tout le pays et au niveau européen un mouvement large et unitaire de défense et de promotion des services publics. Y contribuer n’est pas la moindre de nos responsabilités.;

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