Atelier de l’Université d’été 2009
par Richard Neuville, commission internationale des Alternatifs
Depuis 15 années, l’Amérique Latine est probablement le principal foyer de résistance à la mondialisation capitaliste. En janvier 1994, l’insurrection zapatiste contre l’entrée en vigueur de l’accord de libre-échange nord-américain (ALENA) a marqué le point de départ de cette résistance, elle a été suivie par des mouvements indigènes en Equateur puis en Bolivie. L’Amérique latine est également, à bien des égards, un lieu d’innovation politique et sociale.
La résistance au modèle de domination de l’Empire se traduit sous deux formes :
Au niveau institutionnel, à peine élus les dirigeants élus au Venezuela, en Bolivie et en Equateur ont convoqué des assemblées constituantes pour changer leurs constitutions respectives et réformer fondamentalement les institutions en instaurant formellement la démocratie participative. Dans le cas du Venezuela, la mise en place de plus de 33 500 conseils communaux (mars 2009) et des instances de contrôle populaire sur les programmes et les fonds publics sont les formes les plus visibles de ces changements. Il existe une véritable ré-appropriation de la politique par le peuple qui se traduit au quotidien par une plus grande implication des classes populaires dans la décision et la gestion des programmes sociaux mais aussi au niveau du taux de participation lors des consultations électorales.
Après la crise argentine de décembre 2001, le mouvement de récupération des entreprises est venu rappeler que l’appropriation sociale des moyens des productions est depuis longtemps un objectif du mouvement ouvrier. Ce mouvement impulsé par des travailleurs victimes de la spéculation a pris des formes diverses et reste encore limité mais il a permis de rappeler qu’une alternative est possible. Il existe également un mouvement d’ampleur au Brésil, qui est antérieur au processus argentin. Au Venezuela, le gouvernement bolivarien a largement contribué au développement des coopératives et au nouveau modèle de cogestion de grandes entreprises récupérées en légiférant dans ce sens. La coordination des mouvements de récupération des entreprises au niveau latino-américain a permis de renforcer cette ré-appropriation de la production et de développer les échanges entre-elles.
Pour les autogestionnaires que nous sommes, l’Amérique latine est, bel et bien, devenue un laboratoire social. Les expériences sont diverses : tantôt impulsées par les pouvoirs, tantôt par les mouvements sociaux. Les formes d’organisation des principaux mouvements sociaux que sont le mouvement des sans-terres au Brésil, la CONAIE (mouvement indigène) en Equateur, les piqueteros (mouvements des sans travail) en Argentine, la Marche mondiale des femmes se situent bien souvent en rupture avec les formes de luttes traditionnelles du mouvement ouvrier et sont les lieux d’élaboration et de mise en œuvre de nouvelles pratiques sociales qui privilégient la démocratie active et l’émancipation.
Mon exposé se limitera à deux types d’expériences correspondant à deux pays qui présentent des caractéristiques bien différentes : L’Argentine et le Venezuela :
La crise de décembre 2001, qui intervient après 4 années de dépression (politiques de « financiarisation » de Menem et De la Rua), a provoqué une révolte populaire et l’émergence de nouvelles formes de lutte et de résistance : les Assemblées populaires et la récupération des entreprises par les travailleurs et le renforcement des mouvements de « piqueteros ».
Le mouvement de récupérations d’entreprises par les travailleurs :
C’est d’abord le résultat de fermetures d’entreprises du secteur industriel liées à la crise économique mais surtout dues à des gestions frauduleuses. Le phénomène de récupération se produit avant la fermeture ou la crise terminale et consiste à poursuivre l’activité de l’entreprise sous la forme d’autogestion ouvrière.
Entre 1995 et 2002, des milliers d’entreprises ont fermé leurs portes entraînant la perte de centaines de milliers d’emplois. Cette insécurité a entraîné le désespoir et à partir de 2001, des milliers de travailleurs ont décidé d’occuper leurs usines et de résister aux tentatives d’expulsions pour gérer la production. Il s’agit donc d’un processus pragmatique. C’est la crise du capital qui a déplacé l’axe de la lutte.
Les travailleurs défendent l’outil de travail par l’occupation matérielle des entreprises dans le but de redémarrer plus tard le processus de production sous une forme de gestion directe. Ils entendent imposer leur décision avant l’application d’une décision de justice : la déclaration de faillites et ensuite l’expropriation de l’entreprise.
Eduardo Lucita de l’association des économistes de gauche (EDI) observe des changements importants dans ces expériences :
En 2009, la majorité des entreprises sous gestion ouvrière ont stabilisé leur situation au niveau juridique et économique, hormis Zanon, l’hôtel Bauen et Renacer qui n’ont pas encore obtenu de lois d’expropriation mais qui continuent à lutter. Zanon en est une illustration. Au moment de l’occupation, elle avait 240 travailleurs, aujourd’hui elle a 470 travailleurs.
Il existe 220 entreprises récupérées, réparties dans 17 provinces, qui emploient 22 000 travailleurs en forme directe et 20 000 en forme indirecte. Ce mouvement s’inscrit dans la conscience historique profonde du mouvement ouvrier argentin car il y a déjà eu des récupérations dans les années 60. (G.Almeyra)
Après l’apogée de 2001-2003, le mouvement s’est poursuivi à un rythme plus lent (16 entreprises en 2008) mais il est resté continu. Depuis le début de la crise financière, une dizaine d’entreprises sont occupées.
Pour José Abellí , il s’agit une avancée incontestable :
« Aujourd’hui, quel que soit l’endroit dans le pays, lorsqu’une entreprise ferme, les travailleurs brandissent le drapeau de l’autogestion. C’est le grand acquis de la lutte de la classe ouvrière argentine ».
La constitution adoptée en 1999 a instauré la démocratie participative (préambule et de nombreux articles). Elle prévoit la « participation du peuple dans la formation, l’exécution et le contrôle de la gestion publique » et la participation des travailleurs à la gestion des entreprises publiques (art. 184.5). Elle préconise en outre la gestion d’entreprises sous forme coopérative et d’entreprises communautaires de service pour favoriser l’emploi. (Art. 184.5) Après le coup d’Etat d’avril 2002, le gouvernement a développé les programmes sociaux, « las misiones » en s’appuyant sur des volontaires pour contourner la bureaucratie d’Etat et sur des citoyens pour assurer la gestion. Création des conseils de gestion : santé, éducation, eau potable, logement.
Le Venezuela est passé de moins d’un millier de coopératives en 1999 à plus de 100 000 en janvier 2006. Développement endogène
Une rencontre organisée en octobre 2005 a rassemblé des représentants de 209 entreprises de 7 pays différents, elle a permis de confronter les expériences et de développer les échanges.
Plusieurs entreprises ont été nationalisées et sont gérées sous contrôle ouvrier « cogestion » SIDOR, INVEPAL, ALCASA, etc.
Loi d’avril 2006 : instauration des conseils communaux vers un « double pouvoir », un pouvoir populaire : 33 500 conseils. Un conseil regroupe 200 à 400 familles en zones urbaines, 20 en milieu rural et 10 dans les régions indigènes. Ils sont élus pour 2 ans.
Chaque conseil communal est composé :
Chaque conseil communal détermine ses domaines d’intervention et crée ses propres commissions : santé, éducation, logement, économie populaire, culture, sécurité, eau, services publics, etc.
* Le Fonds national des conseils communaux assure le financement des projets communautaires présentés par la Commission nationale du pouvoir populaire. Les subventions sont versées en trois fois avec des inspections de l’avancée des projets.
* Malgré les critiques des représentants élus (démocratie représentative) et au sein du PSUV, beaucoup de projets sont réalisés par les conseils communaux.
* La démocratie participative au Venezuela permet d’inclure des couches de la population, à commencer sur les lieux de vie des communautés.
Si les grandes lignes du socialisme du XXIè siècle restent à définir, on peut déjà en percevoir quelques traits autogestionnaires :