Addifif au Rouge et Vert n°387
par Christian Darceaux
90 jours après la fuite de Compaoré, aidé par ses complices du gouvernement français, où en est-on au Burkina ? Essai de bilan d’étape :
La situation post insurrectionnelle est complexe. Le gouvernement et le Conseil National de Transition (CNT), ont été mis en place. Toutes les assemblées territoriales ont été dissoutes. La plupart étaient dirigées par des équipes du CDP, le parti de Blaise Compaoré. Des délégations spéciales s’installent peu à peu, composées de fonctionnaires des différents services (santé, agriculture…), de « personnalités de la société civile »….
La mobilisation n’est pas retombée ou pas complètement, c’est un aspect très positif. Ainsi, par exemple, deux ministres ont été contraints à la démission. L’un, celui de la Culture, trois jours seulement après sa prise de fonction. Il avait été un des procureurs dans l’affaire Norbert Zongo, qui avait décrété un non lieu. L’indignation populaire a obtenu son départ. L’autre, celui des Transports et des Infrastructures, après une plus longue mobilisation, des agents de son ministère notamment. Il a un passé peu clair, il a été emprisonné aux Etats-Unis pour des soupçons de malversations, il est accusé de pratiques non transparentes dans l’attribution des premiers marchés. Exit donc !! Des directeurs d’organismes divers, souvent soupçonnés de corruption, de prévarication ont été poussés vers la sortie par les travailleurs, les usagers. Un néologisme est apparu que certains essaient de combattre : la « ruecratie ». Si parfois on peut enregistrer quelques excès, la plupart du temps la mobilisation se fait de façon très responsable, ce qui n’exclut pas la détermination. Pour l’anecdote, j’ai en mémoire les bouchers de Bobo Dioulasso qui sillonnaient la ville en mobylette avec leurs outils de travail à la main : les couteaux, machettes et autres fouets de bouvier avaient de quoi impressionner. Mais il n’y a eu, à ma connaissance, aucun incident et ils ont obtenu le départ du directeur des abattoirs sur lequel pesaient les accusations de mauvaise gestion, voire de corruption. Les syndicats jouent aussi leur rôle en continuant à appeler à l’action dans différents domaines, en particulier pour une baisse du prix des carburants. D’autres organisations de la société civile sont aussi en mouvement. La volonté s’exprime pour que justice soit faite afin d’élucider les crimes concernant Thomas Sankara, Norbert Zongo et autres victimes, y compris celles de l’insurrection.
Malheureusement d’autres sujets pourtant décisifs paraissent absents du débat public. En tout cas, ils sont plutôt inaudibles. On peut citer :
Les élections présidentielles et législatives ont été fixées pour octobre. C’est une bonne chose. Mais des questions « techniques » sont à régler absolument, car elles conditionnent fortement leur caractère démocratique :
Bien évidemment les grandes manœuvres des partis politiques ont commencé. La candidature d’un ancien dignitaire du régime, bien en cour au niveau international, le général Djibril Bassolé, Ministre des Affaires Etrangères sous l’Ancien Régime, est soi-disant « réclamé » par une jeunesse autoproclamée. On peut se demander où cette « jeunesse » trouve les moyens financiers pour organiser meetings et campagnes d’affichage à ce sujet… Les autres partis de droite, MPP (qui se définit comme social démocrate) et UPC (un libéralisme sans complexe) s’activent à tous les niveaux. Le camp sankariste travaille à son unification.
D’ici à octobre, beaucoup de choses peuvent encore se produire, rien n’est joué, même si un tournant « révolutionnaire » semble peu probable. _ Christian Darceaux