Comme la question du « qui décide », celle de la répartition n’est pas indépendante de la propriété et de l’usage du capital.
1.La répartition entre le Capital et le Travail
Quel que soit le système économique, le propriétaire, individuel ou collectif, ou/et le bénéficiaire du droit d’usage de l’outil de production a au moins son mot à dire. Et plus généralement il réclame une partie de la richesse produite quand il ne s’arroge pas le droit d’en décider la répartition.
On enseigne ainsi dans toutes les écoles de commerce que l’entreprise est là pour produire de la valeur pour l’actionnaire. Autrement dit, dans la société capitaliste, la richesse produite appartient au propriétaire. Le travail n’est alors qu’un bien de production comme on achète des machines ou des matières premières. Le contrat de travail est dans l’idéal capitaliste un contrat commercial comme un autre, par lequel le travailleur échange une quantité de travail contre un prix déterminé librement sur un marché atomisé, c’est-à-dire où travailleurs et propriétaires négocient individuellement de gré à gré.
A l’opposé, dans une vision socialiste, la richesse produite (plus-value) appartient à celui qui la produit, c’est-à-dire le travailleur. Le profit n’est plus alors qu’une appropriation indue de la plus-value par la classe des propriétaires. Son niveau est le marqueur de la lutte des classes.
Les tenants du capitalisme ont dû inventer la notion de rémunération du capital, puis celle du risque entrepreneurial pour justifier le profit. Celui-ci ne serait que la récompense d’une épargne accumulée par le capitaliste en restreignant sa consommation et son niveau parfois scandaleux serait la rémunération du risque qu’a pris l’entrepreneur en plaçant ses capitaux : l’armateur ou la compagnie en commandite du Moyen Age doit être récompensé du risque qu’il a pris d’être ruiné par le naufrage de son navire ou l’attaque des pirates. Le profit serait à ce titre doublement vertueux : il encouragerait à l’épargne qui seule permet d’accumuler le capital et de lancer le cercle vertueux du développement. Il récompenserait l’innovation et l’audace, facteurs de progrès
Les exemples historiques, depuis la construction des pyramides dans l’Egypte antique jusqu’aux pays émergeants en passant par l’économie soviétique, ont montré que l’épargne pouvait résulter, d’une façon tout aussi efficace, d’un élan collectif. La vraie question est : qui en décide et en tire les bénéfices, Pharaon ou les masses laborieuses ?
L’incitation à la prise de risque et à l’innovation reste encore peu ou mal intégrée à la réflexion socialiste, quoique les grands travaux de l’URSS et la conquête spatiale ont montré que le système bureaucratique avait su apporter quelques réponses, certes peu satisfaisantes pour des autogestionnaires.
Le profit individuel est donc indéniablement le résultat de la domination du capital sur le travail. La disparition du profit est conditionnée par l’avancée des luttes d’émancipation.
Un monde sans propriété privée et sans profit individuel est économiquement viable. L’abolition de la propriété privée du capital est une condition de disparition du profit, mais on ne saurait dire pour autant qu’elle éteindrait en elle-même la question de la répartition
2.La répartition de la plus-value
L’usage de la plus-value produite reste en débat dans une économie socialiste.
Il pose quatre questions fondamentales :
a)quel est le montant à répartir ?
Derrière cette question on trouve celle de la valeur. Quelle est la valeur de la production ? Et par la même quelle en est la mesure, autrement dit quel en est le prix ? Cette question qui tourmente les économistes depuis qu’il en existe, est très polémique. Trois théories s’affrontent principalement :
Une fois déterminée la valeur, il convient de fixer quelle partie de la production doit être répartie. Autrement dit ce qui est destiné à la reproduction du capital et ce qui est destiné à être consommé.
Le montant à répartir est alors la valeur nette, une fois prélevée l’épargne destinée à la reproduction/accumulation du capital.
Il n’y a pas de règle absolue pour le déterminer. C’est une question totalement politique qui renvoie à la forme d’organisation autogestionnaire que nous voulons.
Il dépend d’abord de la forme que prend la propriété du capital et son droit d’usage. Ensuite du système de régulation et de la place qu’y tient la collectivité.
La société capitaliste fondée sur le droit absolu de propriété privée, laisse dans les mains du propriétaire et de son fermier éventuel le soin de fixer la part qui sera réinvestie et celle qui sera redistribuée entre travail et capital.
On peut en dire autant d’une forme de propriété sociale fondée sur des entreprises autogérées par les travailleurs : la forme de l’échange, le choix des coopérateurs détermineraient de la même façon le partage de la valeur.
Dans une société étatiste, ce serait le pouvoir politique (bureaucratique ?) qui déciderait du partage Epargne/Consommation.
Le mode de fixation du prix est lui aussi déterminant.
La liberté d’échanger détermine des prix de marché (valeur d’échange).Un prix élevé (biens rares ou très demandés) signifie un montant élevé à répartir alors qu’un prix bas signifie un montant réduit. Le premier cas rend l’épargne moins douloureuse, alors que le second tend à la réduire au profit du consommateur.
La détermination des prix selon la valeur travail nécessite une forte intervention de la collectivité.
Le prix étant alors fixe quelle que soit la quantité produite, l’ajustement par l’offre ne peut venir du marché. Si l’offre est insuffisante, rien ne poussera quiconque à produire plus. Si au contraire elle est excédentaire, sa décroissance ne peut se faire que par intervention publique, sauf à légitimer des moyens peu recommandables.
Pour orienter la production et finalement fixer le montant de la valeur produite, la collectivité doit intervenir dans le partage entre épargne et consommation : l’épargne dégagée doit contribuer aux objectifs collectifs. Elle ne peut donc être laissée au libre choix des producteurs.
La société peut intervenir de différentes façons. Par exemple :
Intégrer les réflexions de Benoît sur la fiscalité
b)qui participe au partage et à quel titre ?
* La hiérarchie des salaires
La valeur travail semble indiquer qu’une heure d’ouvrier vaut une heure de chercheur ou d’artiste. Cela signifie-t-il que le salaire de chacun doit être identique ?
Si le temps d’étude pour devenir ingénieur ou médecin est plus long que pour être ouvrier, la solution ne pourrait-elle venir d’une rémunération des formations, de l’adoption d’un statut de travailleur en formation ?
Faut-il prendre en compte la pénibilité du travail, les risques et les responsabilités supportées ?
Il ne peut y avoir de réponse technocratique à ces questions. Les solutions doivent résulter d’un débat démocratique où les représentants de travailleurs auront toute leur place.
Dans une société autogérée, les syndicats ne seront pas la simple courroie de transmission du pouvoir. Mais il ne leur reviendra pas plus de décider seuls de la grille des rémunérations. La collectivité devra faire connaître et peser ses choix politiques.
* L’abolition du salariat
L’abolition du salariat peut passer de façon radicale par la déconnection du revenu et du travail et par l’instauration d’un revenu universel.
à intégrer les réflexions de Benoît
Cependant une telle orientation ne saurait dissoudre d’un coup de baguette magique la question de l’organisation de la production.
L’abolition du salariat est conditionnée par celle de la propriété privée des moyens de production. Condition nécessaire mais non suffisante, le salariat ayant persisté, même sous une forme atténuée, dans l’économie étatisée comme dans les services publics de l’Etat Providence.
La forme d’appropriation et d’usage du capital est là encore déterminante, tout comme l’existence d’un marché des biens et service et le fonctionnement du marché du travail.
Sur ces plans là, l’économie autogestionnaire verra coexister différentes formes : entreprises publiques, associations, coopératives, travail indépendant etc.. Le statut des travailleurs dans ces différentes structures devra répondre à quatre impératifs :
* La répartition actifs/inactifs
Intégrer les réflexions de Benoît (Dépassement du salariat - sécurité sociale professionnelle)
c)sous quelle forme la plus-value est-elle répartie ?
La répartition passe par des choix politiques majeurs :
Ces choix sont souvent imbriqués.
Les biens communs indivisibles n’ont naturellement pas de prix, même si le marché veut leur en donner. Mais ils ont un coût et justifient par là même des prélèvements.
Le choix de privilégier un usage collectif de la richesse produite pose la question du droit d’accès et d’usage. Passe-t-elle par un prix ou par la gratuité ? Dans le premier cas, ce dernier est-il identique pour chacun ou modulé selon des critères sociaux ? Couvre-t-il totalement le coût de production ou suppose-t-il des subventions ?
d)qui en décide ?
Bien évidemment, la forme d’intervention de la collectivité n’est pas indifférente, les pratiques autogestionnaires s’opposant aux pratiques étatiste et bureaucratiques.
La planification démocratique, la démocratie participative, la participation des salariés, des consommateurs et des différentes associations (directement dans les instances de décision, ou indirectement par la négociation, par des actions collectives et par un travail d’éducation populaire et d’information etc.) sont des moyens auxquels on peut songer. Il nous appartient à travers nos luttes quotidiennes d’en inventer et d’en expérimenter de nouvelles.