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Débat alternatif

De la coopérative vers le commun

par Benoit Borrits

Face à la privatisation généralisée de l’économie, de nombreuses luttes opposent la construction de «  biens communs ». Les récentes reprises d’entreprises par les salariés en coopérative s’inscrivent dans cette logique et, sous réserve d’une intervention politique, dessinent les traits d’une appropriation sociale basée sur la construction du commun.


Pendant une bonne partie du XXe siècle, la nationalisation était vue comme le moyen concret de mettre en œuvre l’appropriation sociale : l’État, censé représenter l’intérêt général, se substituait aux actionnaires privés pour gérer l’entreprise. Ce modèle s’est aussi bien appliqué dans les anciens pays socialistes que dans les pays occidentaux, obérant ainsi un quelconque débat sur la nature de classe de l’État. La facilité avec laquelle le néolibéralisme a été capable de privatiser des pans entiers de l’économie nous montre avec limpidité combien cette appropriation sociale était factice.

Face aux privatisations, de nombreuses luttes se sont développées pour la défense des « biens communs », notion qui fait appel à des concepts existants bien avant le capitalisme – tels que les commons anglais – et que celui-ci a dû combattre pour émerger. Ces luttes ont comme support l’accès à des ressources naturelles telles que l’eau, les terres agricoles, ou le domaine des connaissances – brevets, copyright. Ces combats nous montrent qu’il n’y a pas de bien commun par nature mais qu’un bien ne devient commun qu’à la condition expresse qu’une construction politique associant les différentes parties intéressées à sa gestion se positionne comme alternative à sa privatisation.

Les annonces de fermetures d’usines se sont multipliées depuis le début de la crise de 2008. Que ses annonces correspondent à des difficultés réelles ou à une volonté des actionnaires d’optimiser leur profit, la résultante est toujours la même : les salaires sont souvent pointés du doigt et présentés comme la raison du non-investissement des possédants. Une première attitude consiste à se plier à ces diktats et accepter la flexibilité à la baisse des salaires, ce que font les syndicats dits « réformistes ». Une autre attitude consiste à prendre acte que le capital ne veut plus investir et de s’y substituer. L’orientation politique actuelle des gouvernements européens semble interdire cette perspective. Et pourtant, la reprise d’une entreprise sous forme de SCOP constitue une réalisation microéconomique de cette substitution.

On aurait tort de sous-estimer ces quelques expériences. Elles ont un contenu fortement politique et démontrent une volonté claire de se passer du capital. Pendant des années, le mouvement ouvrier a décrié les SCOP, coopératives dans lesquelles les travailleurs sont sociétaires. On leur reprochait leur intégration au marché génératrice d’auto-exploitation, critique qui reste fondamentalement juste. Mais on oublie un phénomène que Marx analysait déjà en son temps, celui d’un début de désaliénation : le travailleur redevient maître de son travail. Ce n’est pas un hasard si, dans de nombreux cas de reprises d’entreprises ou de projets – Fralib, La Fabrique du Sud (ex-Pilpa), Vio.Me. à Thessalonique… –, les salariés remettent en question ce qu’ils faisaient auparavant et souhaitent dorénavant produire de la qualité en intégrant le paradigme écologique.

Dans une telle démarche, ces travailleurs tendent à abandonner les réflexes marchands pour préférer une concertation entre producteurs et usagers visant à planifier des rapports économiques de long terme. Il y a une volonté de construire du commun qui rentre en résonance avec les mouvements citoyens de réappropriation des services publics. Cependant, la transformation sociale ne se fera pas par une multiplication spontanée de ces expériences mais par une intervention politique résolue. D’ores et déjà trois axes complémentaires peuvent être déclinés :

  • Un dépassement de la coopérative avec fonds propres vers des unités de production entièrement financées par un secteur bancaire socialisé gérées par les travailleurs avec une orientation définies par les usagers ;
  • Une appropriation sociale du secteur bancaire et financier qui permet d’exercer des choix généraux permettant l’orientation de l’économie selon une délibération démocratique. Cette orientation pourra s’exercer par des enveloppes budgétaires d’investissement dont la dépense sera contrôlée par des taux d’intérêt différenciés ;
  • Une socialisation des rémunérations afin que celles-ci ne soient plus intégralement dépendantes de la valeur ajoutée produite par l’entreprise. Ceci peut se faire par un mécanisme de péréquation de la valeur ajoutée permettant de garantir à chaque travailleur une partie de rémunération.

Tels pourraient être les axes d’une reformulation non étatique de l’appropriation sociale tournée vers la construction du commun.

Benoît Borrits

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