Texte mis au débat par la commission Économie & sociale
PREAMBULE
La démondialisation est arrivée au devant de la scène médiatique comme remède à la désindustrialisation et aux délocalisations. Il s’agit par des barrières douanières, de protéger nos emplois face à la concurrence des pays à bas coût de main d’œuvre, quand d’autres préconisent la baisse des charges et des salaires en Europe.
L’extrême droite en ayant fait son cheval de bataille, la démondialisation a d’abord soulevé l’opposition de toute la gauche, jusqu’à ce que Montebourg et dans une certaine mesure le Front de Gauche ne reprennent le terme à leur compte. Désormais le débat partage la gauche, et même ses extrêmes.
Ce texte ce situe dans ce contexte précis. Il n’a en aucun cas pour but de constituer une réponse globale à la mondialisation libérale. Il vise plutôt à approfondir les thèses en débat au sein de la gauche de gauche, à amorcer une réflexion sur les protections, à essayer d’apporter une réponse ciblée de court terme et donc limitée visant, parmi d’autres moyens, à lutter contre les méfaits d’un libéralisme mondialisé. Il se situe dans le contexte des forces sociales et des opinions publiques du moment.
LE DEBAT EN QUELQUES MOTS
(Pour plus de détails, voir l’encart en fin de texte)
Personne à la gauche de la gauche ne s’illusionne sur une régulation d’un monde capitaliste, prônée par le social-libéralisme et les secteurs éclairés de la bourgeoisie, qui ne servirait en fait qu’à conforter les profits en attendant des temps meilleurs.
Si tous s’accordent sur la nécessité de construire un autre monde, les désaccords résident dans la façon d’y parvenir. Le débat s’est focalisé sur le retour au protectionnisme national avec ses droits de douane, ses quotas, ses interdictions et le cocardier « produisons français » de Georges Marchais, modernisé en « achetons français » de François Bayrou.
La controverse démarre dans la gauche de gauche avec une tribune dans Mediapart en juin 2011 [1] , précisée ultérieurement par Jean-Marie HARRIBEY sur son blog [2]. Trois points sont soulignés :
Quelles sont les divergences ?
Si le premier point relève plus d’un positionnement tactique vis-à-vis du FN, les deux autres concernent un positionnement de fond sur la question de la mondialisation libérale.
Pour les uns, la financiarisation mondialisée étant la conséquence de la volonté des classes bourgeoises de rétablir la rentabilité des capitaux par des politiques systématiques de remise en cause des droits sociaux et de marchandisation de la société toute entière, la solution passe par :
LORDON réplique qu’on ne peut redistribuer les richesses sans s’attaquer à la libre concurrence entièrement fondée sur la recherche des coûts de production les plus bas, qu’une régulation mondiale de la finance ne peut être que chimérique, au moins à un horizon visible. Ce qui suppose d’envisager des mesures protectionnistes. Harribey, ne les rejette d’ailleurs pas totalement, mais ne les envisage que sous la forme de « coopérations renforcées et [de] régulation collective » (7 juin).
Lordon pense que de telles mesures ne peuvent relever que de l’expression de la souveraineté des peuples, souveraineté qui est à l’origine de la constitution des nations. C’est donc au niveau national que doivent être menées ces politiques. S’il appelle de ses vœux le dépassement des nations actuelles, il ne croit pas qu’il puisse se réaliser à court terme dans l’espace de l’Europe des 27.
DES PISTES POUR DES PROTECTIONS CIBLEES ET SELECTIVES
Cela passe par une forme de protectionnisme très différente de celles que l’histoire a connues depuis la plus haute antiquité.
Il doit être sélectif et protéger les droits sociaux ici et là bas, préserver les ressources naturelles, les sociétés et les cultures, permettre une transition vers une organisation mondiale plus juste et solidaire. Sélectif aussi pour les secteurs dont il convient de garder localement les productions.
Il doit être diversifié et adapté aux buts recherchés : taxes, boycott/embargos, fixation des cours des matières premières et des réseaux de service etc. Si l’on taxe ce sont en priorité l’énergie, les télécoms, les transactions financières qui constituent le nerf de la mondialisation capitaliste. Ce sont aussi les productions venant de pays ne respectant pas les droits sociaux (libertés syndicales, conditions de travail décentes, sous-rémunération des travailleurs) et environnementaux, les biens communs, les libertés individuelles et collectives.
Il faut aussi s’attaquer aux marges faramineuses tirées de l’import/export international
Si l’on interdit, ce sont les trafics de certains biens considérés comme nuisibles (les armes bien sûr, mais aussi d’autres à définir selon leur usage ou en raison de leur mode de production comme l’électricité nucléaire, ou les biens incorporant des produits rares ou dangereux).
Ces mesures doivent être régionalisées pour privilégier le commerce entre pays proches géographiquement et entre économies semblables. La régionalisation doit permettre aussi de protéger les économies du sud contre celles du nord ou des émergents.
Elles doivent être solidaires. Les taxes prélevées ne doivent pas servir à combler les déficits publics (comme la taxe Tobin que voulait instaurer Sarkozy) mais alimenter des programmes de développement et le soutien aux luttes sociales et écologiques.
DES DIFFICULTES PRATIQUES ET POLITIQUES
Reste néanmoins la question qui fait le fond du débat : peut-on appliquer ces politiques au niveau des états existant ou doit-on attendre que la souveraineté se régionalise, ou doit-on encore miser sur la coopération entre les états ?
La réponse n’est pas simple. Des exemples existent de mesures nationales. C’est le cas de celles qu’imposent les Etats-Unis ou encore la Chine. C’est le cas des accords bilatéraux avec la Suisse sur le secret bancaire et l’évasion fiscale qui l’accompagne. C’est le cas de la très modeste taxe Chirac sur les voyages aériens destinée à financer la lutte contre le SIDA et le paludisme. De son côté, le protocole de Rio sur le climat, s’il n’est pas seulement national, n’est que peu appliqué en dehors de l’Europe.
Il est certain que l’interconnexion des économies et la liberté de circulation des marchandises et des capitaux donnent de larges possibilités de contourner ces règles nationales. Il est certain qu’une action concertée, au moins au niveau régional, serait plus efficace et nécessaire. Mais parfois faire le premier pas dans un seul pays peut déclancher une dynamique coopérative. Il est certain aussi, que la taille des économies US et Chinoise ne peut se comparer à celle du plus gros des états européens.
Ce premier pas peut combiner des protections très ciblées, des accords bilatéraux avec des pays « amis », des règles de conduites à imposer aux entreprises multinationales sur la gestion sociale et environnementale de leurs établissements, filiales à l’étranger ainsi que dans leurs contrats de sous-traitance et d’achats. Mais cette démarche coopérative risque elle aussi de soulever des plaintes au sein de l’OMC pour entrave à la libre concurrence.
Reste une autre question : quels sont les critères à prendre en compte pour fonder des protections sélectives et qui les définit ? Sur quelles instances de régulation mondiale s’appuyer ? L’OIT, l’OMS et quelques autres organismes humanitaires peuvent servir de base, mais il est craindre que s’ils devaient acquérir ce rôle, leur structure interétatique en ferait rapidement un lieu de luttes pour le pouvoir, semblable à l’OMC et au FMI. Ce qui a contrario souligne la difficulté à fixer des règles au niveau international.
Quelques pistes et exemples à approfondir Ces pistes sont emblématiques de ce que doivent être des protections ciblées. Leur approfondissement doit permettre de mettre en évidence les problèmes, questions, limites qu’elles soulèvent et la façon d’y remédier :
PRAGMATISME ET REACTIVITE
Il n’est pas certain que ces mesures mettent fin aux délocalisations. D’ailleurs toute délocalisation est-elle à rejeter ? Faut-il continuer à transformer en Europe les matières premières (pétrole, coton, par exemple) ou vaut-il mieux le faire sur le lieu de production ? Faut-il construire en Europe les automobiles destinées aux pays émergents ? Faut-il également rejeter toute division internationale du travail et vouloir tout produire sur place, et à défaut ne consommer que ce que l’on produit soi-même ?
A ces questions, il n’y a pas de réponse univoque
C’est pourquoi il faut savoir rester pragmatique, savoir corriger, savoir décider si possible en coordination avec tous les peuples du monde (et non leurs dirigeants), en gardant en ligne de mire la construction d’un monde solidaire et le respect des peuples et travailleurs du nord comme du sud. Cette politique nécessite d’entreprendre le premier pas vers une véritable démocratie mondiale, et en tout premier lieu, pour nous autres européens, œuvrer à une transformation radicale de l’Union Européenne. Quelles que soient les mesures décidées, elles n’iront pas sans confrontation avec les états libre échangistes et les forces du capital mondialisé.
En conclusion, ces mesures ne doivent être ni un but en soi, ni une politique de repli national. Il s’agit bien de défaire ce que le capitalisme a fait, mais pas n’importe comment. Et si le terme de démondialisation est politiquement sulfureux, à nous d’en trouver un autre.
La tribune de Mediapart reconnaît qu’il faut « réduire les flux de marchandises et de capitaux, relocaliser les systèmes productifs … stopper la concurrence entre travailleurs et paysans du monde …assurer la souveraineté alimentaire … diminuer la pression sur les ressources naturelle et leur pillage ». Mais en même temps elle souligne les risques d’un repli protectionniste (par des droits de douane, des dévaluations ou la sortie de l’Euro) dans lequel pointe le danger de repli nationaliste et de guerre économique au détriment des peuples du nord comme du sud.
Par contre, est mise en avant une démarche coopérative, une « révolution de la maison Europe » en s’attaquant « au pouvoir du capital, en restreignant sa liberté de mouvement, [en refondant] la fiscalité, les services publics, la protection sociale, … [en s’attaquant] au productivisme… »
Pour illustrer leur propos coopératif, ces auteurs s’étendent longuement sur la question de l’Europe et de l’Euro
Ni la sortie de l’Euro (voyez l’exemple anglais) ni les droits de douane ne pourraient permettre de sortir de la crise ni de réindustrialiser les pays du nord.
« Mais c’est cela même la démondialisation économique ! » s’écrie Lordon. Il persifle : « [S’ils] ont en tête un moyen de restreindre cette concurrence autre que, oui, des droits de douanes sélectifs et bien ciblés, surtout qu’ils le disent ».
Harribey fait un pas dans ce sens. Il ne refuse pas les protections douanières mais toute forme de protectionnisme global. Il parle de droits sélectifs et tout en rejetant la démondialisation lui oppose « une forme de déglobalisation … par des coopérations renforcées et une régulation collective » (7 juin).
Querelle de mots ? Les auteurs de Mediapart jugent que la démondialisation n’est qu’ « un concept superficiel et simpliste » (Mediapart) qui « ne dit rien sur le modèle productiviste qui est intrinsèquement lié à la mondialisation du capitalisme » (Harribey 7 juin). Pour Lordon, vouloir s’attaquer à ce modèle sans remettre en cause la libre concurrence, serait faire le jeu des libéraux. Par ailleurs, l’instauration de droits de douane ne saurait dispenser de mesures structurelles. Elle en est simplement, une des conditions.
Entre le protectionnisme sélectif par des « coopérations renforcées » et la démondialisation, s’engage une querelle sur la souveraineté. Pour Harribey, il ne peut y avoir de protection au niveau national sans risque de guerre économique. L’horizon européen lui paraît être le bon périmètre pour une politique coopérative. Lordon engage une longue réflexion sur la souveraineté populaire. Seule le peuple est source de souveraineté, rendant possible toute régulation. Ce sont les peuples qui définissent les nations et non l’inverse. Or, il constate qu’il n’existe pas de peuple à l’échelon mondial. Dans l’Europe des 27 coexistent des peuples trop différents pour constituer un peuple souverain. « Oui, le dépassement des nations actuelles …est une possibilité de l’histoire. Mais non, il ne réussira pas dans les conditions de l’Europe actuelle »
[1] Signée Geneviève AZAM, Jacques COSSART, Thomas COUTROT, Jean-Marie HARRIBEY, Michel HUSSON, Pierre KHALFA, Dominique PLIHON, Catherine SAMARY et Aurélie TROUVE
[2] Le 7 juin 2011 puis, en réponse à Frédéric LORDON, le 16 juin 2011