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Esquisse d’un système public de financement


Rôle du système financier

Dans l’économie que nous avons décrite précédemment, l’appropriation collective du capital se réalise à deux niveaux :

  • les entreprises n’ont plus de propriétaires définis mais sont dirigées par leurs travailleurs et leurs clients qui sont en quelque sorte usufruitiers du patrimoine de celles-ci ;
  • il est convenu que ces entreprises ne possèdent pas d’actifs de long terme et que ceux-ci sont détenus par des structures publiques.

Dans le système capitaliste, ce sont essentiellement des individus qui possèdent le capital d’une économie [1]. Cette détention se fait au travers des actions et des créances. Une créance peut prendre la forme d’une obligation d’entreprise ou de monnaie auprès d’une banque. Cette forme de détention ne donne aucun pouvoir économique autre que celui de disposer de son argent aux échéances convenues. La rémunération de cette forme de capital est le taux d’intérêt. La détention d’une action est au contraire un titre de propriété sur une entreprise qui donne un droit proportionnel aux fonds propres (actifs moins dettes). Comme la rémunération de cette forme de capital n’est pas déterminée à l’avance, ce sont les actionnaires qui nomment une direction qui aura en charge de gérer l’entreprise au mieux de leurs intérêts.

On pourrait penser que le fait de donner le pouvoir aux travailleurs et clients de l’entreprise est impossible dans la mesure où ceux-ci, n’étant pas réellement propriétaires, ne sauront pas motivés pour investir. Deux niveaux de réponse peuvent être apportés. Le premier porte sur le fait que les actifs de long terme ne seront pas détenus par les entreprises mais loués par la collectivité à celles-ci. De ce fait, la partie la plus complexe du financement est résolue, ce qui ne laisse aux entreprises que la gestion des actifs à court terme. Le second porte sur l’expérience coopérative. Le mode de détention du capital social dans la coopérative est très original et sort partiellement de la philosophie capitaliste : le pouvoir reste, certes, détenu par les propriétaires mais les parts ne donnent pas droit à rémunération (ou de façon marginale) et le pouvoir ne s’exerce pas au pro rata de la détention mais sur la base d’une voix par individu. Dans le cas où des réserves se réaliseraient en sus de la valeur nominale des parts, celles-ci sont « impartageables », c’est-à-dire qu’elles appartiennent en propre à l’entreprise, sont mises à la disposition des partenaires de l’entreprise mais ne sont en aucun cas, propriété des coopérateurs-associés [Ferreira, 2004, p.90]. Comment interpréter cette construction originale ? Cela ressemble fortement aux fonds propres des entreprises de notre schéma, dirigées par les travailleurs et les clients : ces réserves impartageables sont propriété collective et les partenaires de l’entreprise en ont l’usufruit. Les parts coopératives ne peuvent nullement s’apprécier mais se rembourser sous conditions : n’est-ce pas la définition d’une dette subordonnée [2] ? La coopérative est tout simplement le précurseur de nos entreprises autogérées. On pourra considérer qu’une entreprise qui veut démarrer ou progresser de façon significative aura besoin de financements pour des actifs à court terme, en sus du financement public des actifs à long terme. Les deux fonctions du secteur public de financement seront donc de posséder et louer les actifs à long terme ainsi que de fournir du capital d’amorçage ou de développement aux entreprises qui le demandent pour financer l’accroissement nécessaire de leurs actifs à court terme.

Quelles ressources pour ce secteur financier public ?

Dans le cadre d’un système économique autogéré, il va de soi que la détention de capital ne peut plus donner accès au pouvoir. De ce point de vue, l’action, en tant que titre de propriété va disparaître. De même, la détention de créances sur l’économie ne devra plus donner lieu à rémunération, faute de quoi, une partie de la valeur produite restera accaparée par les détenteurs d’argent. Ceci signifie que le taux d’intérêt versé aux agents économiques (entreprises comme particuliers) n’existe plus. On doit donc s’interroger comment l’équilibre entre épargne et investissement se réalisera dorénavant.

Dans notre système économique actuel, la banque centrale gère le niveau des prix par le pilotage de l’émission de monnaie par les banques commerciales. C’est, entre autres, grâce au taux directeur que la banque centrale conditionne l’émission de monnaie [Bordes, 2007] et par effet de ricochet, les différents taux d’intérêt pratiqués sur le marché. D’une façon générale et hors conditions exceptionnelles, les taux d’intérêt ont tendance à croître en fonction de la durée des prêts : plus l’argent est prêté sur le long terme, plus celui-ci se doit d’être rémunéré car l’engagement du créancier augmente [Vernimmen, 2000, p. 472]. Le taux directeur est le taux d’intérêt au jour le jour autour duquel les banques commerciales se refinancent auprès de la banque centrale. Si le niveau des prix est jugé trop élevé par la banque centrale, elle aura alors tendance à resserrer le taux directeur, ce qui poussera tous les taux d’intérêt à la hausse ; inversement elle aura tendance à le baisser ce qui poussera les taux d’intérêt à la baisse.

Dans le cadre d’une économie dans laquelle la possession d’argent n’est pas rémunérée, la notion de terme n’aura alors plus d’incidence : les comptes bancaires des ménages comme des entreprises, qui représentent des créances sur l’économie, ne seront plus que des comptes à vue qui peuvent être dépensés immédiatement. En contrepartie, le service financier public devra consentir des lignes de crédit à long terme, pour financer notamment les actifs matériels et immatériels de long terme. Comme dans nos économies contemporaines, les prêts et achats du secteur financier public se feront par création monétaire [3]. La question alors posée est celle du niveau des prix. Si les agents économiques se mettent à vouloir dépenser la totalité de leurs avoirs en banque, nous risquons de nous trouver face à une inflation galopante. En effet, une partie de la monnaie existe en contrepartie d’actifs qui ne peuvent être consommés immédiatement : cela provoquerait une forte hausse du prix des produits disponibles. D’une façon moins catastrophiste, si les agents économiques se mettent à dépenser plus que prévu, l’argent déposé en contrepartie de l’argent créé destiné à financer des actifs risque de baisser, ce qui provoquera une hausse des prix. Comme il n’y aura plus de comptes à terme et de rémunération par les taux d’intérêt influant le comportement des agents économiques, comment se réalisera l’équilibre ?

La réponse viendra de la fiscalité. Nous avions envisagé précédemment la mise en place de prélèvements sur les Flux Trésorerie d’Activité des entreprises [4]. Si les agents économiques ont trop tendance à dépenser, on relèvera les prélèvements d’un mois par rapport à l’autre, ce qui calmera la propension à dépenser. Ainsi se formera une épargne publique qui permettra d’équilibrer l’investissement. Inversement, si les agents économiques ont trop tendance à épargner, on pourra relâcher cette épargne publique, cette épargne privée compensant l’investissement des entreprises.

Il est possible de faire un parallèle avec l’économie capitaliste. Comme nous l’avons dit précédemment, le financement de celle-ci se fait par des dettes et des titres sur les fonds propres (actions). Les dettes seront maintenues mais ne seront plus rémunérées, ne seront plus émises par des entreprises ou banques privées mais détenues sous forme de monnaie liquide dans un établissement bancaire unique. Par contre, les actions disparaitront totalement et seront remplacées par de l’épargne publique financée par de la fiscalité. Dans l’économie capitaliste, les actions sont la forme variable de détention des actifs : leur valeur est incertaine. Dans notre économie autogérée, celles-ci étant remplacées par une épargne publique et l’absence de besoin de valorisation au jour le jour signifie que la volatilité propre aux actions aura disparue.

Même si l’épargne privée ne porte plus intérêt et ne permet plus d’accéder à une quelconque forme de pouvoir, on doit quand même s’interroger pour savoir jusqu’à quel niveau cette épargne est tolérable. Il est clair que nous ne connaîtrons pas les excès d’accumulation privée de la période capitaliste mais le fait que des individus puissent épargner peut, si nous n’y prenons pas garde, ouvrir la voie à une demande de restauration de pouvoir ou de rémunération. Là encore, la réponse est double : à la fois économique et politique. Si la discipline monétaire est de rigueur et que l’épargne est correctement garantie, ces demandes seront moins pressantes. De même, si nous veillons à ne pas faire naître une nouvelle couche sociale d’épargnants, ce risque sera amoindri.

Comment le secteur financier public interviendra-t-il ?

Les interventions du secteur financier public consisteront à :

  • fournir du capital d’amorçage aux entreprises-services publics ;
  • acheter et louer des actifs de long terme.

La première forme d’intervention reste classique et s’apparente au prêt bancaire. Dans notre conception de l’entreprise de service public (qui se substitue à la société de capitaux), celle-ci dispose de fonds propres qui, comme les réserves impartageables des coopératives, n’appartiennent à personne en propre. Cependant, pour les former initialement, il a bien fallu que quelqu’un apporte de l’argent, du capital d’amorçage. Cela pourrait se faire sous la forme de parts coopératives que travailleurs comme usagers pourraient apporter et qui auront vocation à être remboursées. Mais, l’expérience nous l’a amplement montré, ceci ne sera probablement pas suffisant pour financer tous les projets. Voilà pourquoi un relai sera nécessaire sous forme de prêts remboursables avec intérêts fixes ou variables en fonction des résultats, ces intérêts permettant de payer les frais de structure du système financier ainsi que d’éventuelles pertes.

Comme nous l’avons vu précédemment, les actifs à long terme qu’utiliseront les entreprises ne seront jamais acquis par ces dernières mais loués auprès du système financier public. Ces actifs sont de deux catégories bien distinctes dans leur mode d’appropriation :

  • les actifs matériels ;
  • les actifs immatériels.

Alors que les actifs matériels (bâtiment, machine de production…) ne peuvent être utilisés que par une entreprise à la fois, les actifs immatériels (savoir-faire, programme informatique…) ont la particularité de pouvoir être partagés.

Le rôle du secteur financier public est d’acheter ces actifs et de les mettre à disposition sous forme de contrat de location aux entreprises qui le demandent, un peu de la manière dont le leasing se pratique aujourd’hui. L’achat de ces actifs peut se faire de façon simple, notamment en ce qui concerne les actifs matériels : le secteur financier public achètera des biens spécifiques (bâtiment, machine de production sur mesure) ou plus courant (automobile, machines de production en série) pour les louer ensuite à une entreprise (qui peut être l’entreprise fabricante ou demandeuse). Dans le cas des actifs immatériels, cette activité ressemble plutôt au capital-risque d’aujourd’hui ou à la banque d’affaires : l’objectif est d’évaluer la faisabilité du projet ainsi que son potentiel d’utilisation. Le rôle du secteur financier public est alors d’offrir des revenus aux travailleurs qui réaliseront cette recherche, de financer les intrants de production relatifs et de rechercher le maximum d’entreprises désireuses d’utiliser cette recherche. Les actifs immatériels sont sans doute le meilleur exemple de la supériorité de la coopération sur la concurrence : alors que dans la philosophie capitaliste, l’objectif de la recherche et développement est d’obtenir un avantage compétitif et d’en maximiser ex ante le revenu, dans notre approche, la recherche et développement répond à un besoin exprimé directement ou indirectement par la population, l’objectif du secteur financier public étant d’en faire bénéficier le plus grand nombre.

Pluralité des opinions dans le système financier public

Il est fréquemment objecté qu’un monopole public sur le système financier ne permet nullement d’offrir aux agents économiques une pluralité d’opinions : si le système refuse de financer un actif, alors, ceux-ci n’auraient aucune alternative. Cette objection n’aurait de sens que si ce système financier public n’avait qu’un seul organisme. Les opinions relevant de l’humain, il serait en effet ahurissant que les agents économiques ne soient pas face à plusieurs établissements dirigés par plusieurs équipes.

Si les dépôts sont collectés par une banque unique qui ferait aussi office de banque centrale, il est important qu’existe une multitude d’établissements dont la fonction est d’accorder des financements sous forme de prêts monétaires aux entreprises (pour la constitution des fonds propres impartageables) et de location d’actifs matériels et immatériels. Comme le rôle de ces entreprises est de préserver la valeur des capitaux, on peut donc imaginer conserver la forme d’entreprise de capitaux à ceci près, que leur propriété sera 100% publique. Les travailleurs de ces entreprises seront alors des salariés qui seront directement intéressés aux résultats de leur entreprise.

La banque centrale et de dépôt sera à la disposition de ces entreprises financières pour créer de la monnaie destinée à être prêtée (financement des fonds propres des entreprises) ou dépensée pour acheter des actifs (afin de les louer). Alors que dans le système capitaliste, l’allocation des investissements ne se réalise que sur la seule base de la rentabilité des capitaux, nous allons voir que ce système financier est autrement plus souple et permet d’orienter l’économie dans le sens voulu par la population.

Planification budgétaire et indicative

Dans nos économies, le principal levier dont dispose la Banque centrale est le taux directeur : il permet de restreindre ou au contraire d’inciter les banques à prêter. Comme nous l’avons vu, dans notre système, ce ne sera plus le taux d’intérêt qui égalisera l’épargne et l’investissement mais les prélèvements fiscaux nécessaires à la constitution d’une épargne publique. Dans cette optique, la question posée est de savoir comment déterminer la part de la production destinée à la consommation et celle destinée à l’épargne-investissement.

À l’inverse de l’économie capitaliste où le niveau de la production comme de sa répartition entre consommation et investissement est laissé à l’appréciation des détenteurs de capitaux, cette décision peut relever d’un véritable débat démocratique (qui pourrait avoir lieu d’année en année comme pour un budget public). Comme le débat ne porte alors plus sur un style de pilotage mais sur des montants budgétaires, il devient alors possible d’avoir un débat exhaustif sur l’orientation des investissements : on pourra définir des enveloppes budgétaires sectorielles (bâtiments, infrastructure, moyens de locomotion, alimentation…) qui pourront, pour certains secteurs, être subdivisées géographiqument. Ce débat démocratique permettrait alors à la population de définir ses priorités d’investissement et d’orienter l’économie selon ses besoins.

Une fois voté le budget d’une année, la banque centrale et de dépôt sera alors en charge de « mettre en musique » ces orientations. Cela signifie que, pour chaque budget voté, celle-ci se chargera de sa dépense en affichant pour chaque enveloppe des montants à disposition accompagnés d’un taux d’intérêt avec lequel les entreprises publiques de financement pourront obtenir de la monnaie [5].

Bibliographie

BORDES Christian, La politique monétaire, Paris : La Découverte, Collection Repères, 2007

FERREIRA Nathalie, Économie sociale et autogestion, entre utopie et réalité, Paris : L’Harmattan, Collection L’esprit économique, 2004

PLIHON Dominique, La monnaie et ses mécanismes, Paris : La Découverte, Collection Repères, 2001

VERNIMMEN Pierre, Finance d’entreprise, 4ème édition par Pascal Quiry et Franck Ceddaha, Paris : Dalloz, 2000

Notes

[1] Une partie de cette détention est aussi publique du fait de l’existence de l’État qui possède son patrimoine propre et qui peut aussi détenir des participations dans des sociétés de capitaux.

[2] Une dette subordonnée n’est pas prioritaire vis-à-vis de la dette ordinaire (dite « senior ») : en cas de liquidation de la société, cette dette ne sera remboursée qu’après toutes les dettes ordinaires.

[3] La création monétaire moderne est basée sur l’octroi de crédit : à l’actif, on place la créance sur l’agent économique et au passif la monnaie correspondante nouvellement créée. Le remboursement du prêt donnera alors lieu à destruction monétaire : en remboursant, l’emprunteur diminue sa dette (donc la créance à l’actif de la banque) et la banque détruit son argent disponible sur son compte en banque (au passif) [Plihon, 2001, p. 18].

[4] Définies comme étant la différence entre les encaissements des entreprises (factures clients + subventions) et les décaissements de factures fournisseurs et d’impôts, ce qui protège bien évidemment l’investissement des entreprises.

[5] Un peu comme la Banque centrale européenne pratique ses opérations d’Open Market à l’égard des banques commerciales [Plihon, 2001, p.91].

1 Message

  • Esquisse d’un système public de financement

    9 mars 2009 04:42, par Gilles Quiniou

    Pourquoi vouloir continuer à valoriser les actifs immatériels ?

    Le modèle du libre qui peut s’étendre bien au delà du seul logiciel libre est beaucoup plus efficace et plus coopératif que la société coopérative qui reste une société de capitaux.

    De plus en termes de transition il est beaucoup plus facile d’amener des entreprises à libérer des brevets ou des marques que de transférer la propriété de leur capital.



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