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Immigration choisie

Le mot d’ordre de Sarkozy en faveur d’une immigration choisie indigne tout le monde. Comme si c’était une chose nouvelle. Parce qu’on ne tient pas compte du choix des personnes qui émigrent, parce qu’on ne tient pas compte des pays d’émigrations. Pourtant il en a toujours été ainsi. Il n’innove pas, il assume. Il proclame. Il veut aligner tout les pays de l’Union européenne. En réalité la tare fondamentale de « l’immigration choisie » ? C’est une déclaration purement idéologique qui ne marche pas. Mais c’est un facteur aggravant de la situation des « sans papiers », de leur famille et de tous ceux qui leur ressemblent. Et rien ne ressemble plus à un « sans papiers » qu’un « avec papiers » ou même pour être plus précis de quelqu’un qui a la nationalité française mais qui est « un peu trop coloré pour être honnête ».


L’idée que l’arrivée d’immigrés devrait correspondre aux capacités d’accueil du pays n’est pas en soi scandaleuse. Malheureusement, elle est toujours utilisée dans le même sens : limiter le nombre d’arrivants sans développer la capacité d’accueil. Dans sa complexité : logement, égalité de droits de tous les travailleurs. Et donc l’espace entre ces deux données ne peut que croître.

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On est tous immigré de quelque part
(cc) Gilles Klein

Par exemple, il n’est pas scandaleux de penser que les immigrés doivent s’intégrer à la société française. Ce qui ne veut pas dire qu’ils doivent renoncer à tout ce qu’ils étaient avant d’arriver. De se mettre nu à la frontière et de revêtir le complet trois pièces cravate ou de mettre le béret et de prendre la baguette. Surtout qu’on ne leur fournit pas.

Il n’est pas scandaleux de penser qu’il est nécessaire que les résidents étrangers en France doivent apprendre le français. Sans parler la langue française, ils ne pourront pas s’intégrer correctement à la société, ils n’auront pas les armes nécessaires pour se défendre’ Ce qui est scandaleux et impossible à réaliser, c’est d’exiger que les immigrants connaissent le français avant de venir. C’est à la société d’accueil de leur donner les moyens de l’apprendre et non la société de départ.

A travers cette exigence, connaissance de la langue française, il y a la reconnaissance implicite que les immigrés ne sont pas de passage mais sont destinés à rester plus ou moins longtemps et peut-être définitivement. C’est un progrès. C’est bien différent de l’époque où le gouvernement confiait l’enseignement scolaire des « langues d’origine » à des enseignants venant des « pays d’origine » et payés par eux ! L’idée sous-jacente était qu’ils devaient repartir avec leurs parents quand ceux-ci ne seraient plus utiles. C’était déjà de l’immigration choisie et même de l’émigration souhaitée.

Car le vieux rêve qui persiste encore, était l’immigration de rotation. Vous venez, vous restez quelque temps avant de repartir chez vous sans vous incruster ici, muni du petit pécule que vous aurez constitué et qui vous permettra de vivre au pays. Il faut reconnaître que cela correspondait un peu à la vision qu’avaient les immigrés eux-mêmes. Passer quelques années, accumuler quelques économies et revenir au pays monter un commerce, gérer un café, faire le taxi. Cela a l’avantage de mettre l’élevage, l’éducation à la charge des pays de départ, d’exploiter la personne pendant sa productivité maximale, de la renvoyer au pays sans avoir à supporter les charges du vieillissement, de la maladie’ Ce n’est pas que l’immigration choisie. C’est aussi le choix de la partie la plus productive de la vie de l’immigré. Le reste est à la charge du pays d’origine.

Mais les choses ne tournent pas toujours comme les uns et les autres le souhaitaient. Comme l’a dit un jour un immigré espagnol : /« J’étais venu pour deux ou trois ans et j’ai rencontré une rouquine, cela fait 17 ans que je suis ici »./

Par ailleurs, il est difficile de vivre loin des siens. De faire face aux dépenses ici et là-bas. De voir que les amis vivent ici en famille’ Et on fait venir la famille. Femmes et enfants. C’est l’engrenage. Les enfants grandissent. Ils sont finalement d’ici. Font leur vie ici’ Ne veulent pas repartir.

Mais si cet enchaînement est fréquent. S’il faut s’y préparer. S’il faut que la société s’y prépare, cela ne veut pas dire que tout doit reposer sur le candidat à l’immigration. Et exiger que lui, sa famille parlent français avant de venir. C’est exiger que le travailleur, le gouvernement du pays de départ prennent en charge la formation du travailleur, de sa famille avant qu’il ne vienne ici. Exemple parfaitement concret de l’aide du sud au nord.

Ceci est en partie inclus dans les contrats d’accueil et d’intégration. Sauf que là encore, les contrats sont asymétriques. Un contrat se passe entre parties qui ont des droits et des devoirs. Mais les termes du contrat sont établis par l’Etat, qui est le seul garant et le seul juge. La personne est soumise à des exigences qui risquent d’entraîner le non renouvellement de ses titres de séjour. Il n’y a aucune exigence pour l’Etat qui ne risque rien à ne pas remplir ses devoirs. Le contrat devient un filtre pour trier les immigrants. Pour les choisir. Pour les renvoyer éventuellement faute d’adaptation, de respect du contrat.

Dans un excellent article paru dans Plein droit de juillet 2007, Alexis Spire montre bien à quel point cette politique n’est pas nouvelle : en 1932, Georges Mauco opposait /« immigration voulue » /et /« immigration imposée »./ Et Alexis Spire montre comment cette politique a été appliquée après-guerre. /« De ce point de vue, la période immédiatement postérieure à 1945 est particulièrement riche d’enseignements car c’est à cette époque qu’a pu être mis en ’uvre le projet, élaboré durant l’entre-deux-guerres, d’une planification de l’immigration par nationalité et par secteur d’activité »./

Et pour que les chose soient bien claires, il suffit de rappeler le texte signé par le général de Gaulle sur les naturalisations qui recommandait : /« de subordonner le choix des individus aux intérêts nationaux dans les domaines ethnique, démographique, professionnel et géographique’ Sur le plan ethnique, limiter l’afflux des méditerranéens et des Orientaux’ » /(Patrick Weil « Qu’est-ce qu’un Français ? Histoire de la nationalité française depuis la Révolution », Grasset, 2002). De ce point de vue les choses ne semblent pas avoir beaucoup changé (Migrations société n°57 mai-juin 1998 et n°77, septembre-octobre 2001).

De toute façon, cette politique d’immigration « voulue » ou « choisie » a toujours été un échec. D’où l’idée de renforcer les moyes de coercition pour aboutir. Ce qui se fait toujours aux dépens de la démocratie et de l’intégration.

De la démocratie parce que cela conduit à renforcer les mesures répressives et à criminaliser des comportements et des rapports humains.

De l’intégration, car cela conduit au contrôle au faciès et à la stigmatisation d’une population « d’apparence étrangère » qui est française quelquefois depuis plusieurs générations et qui se sent donc exclue, complètement à part. Ce qui ne peut qu’éloigner de la société des gens, notamment les jeunes, qui ne sont que d’ici et qui peuvent se sentir rejetés.

Et qu’est-ce que l’immigration « subie » ? Les entrées clandestines ? Mais en quoi est-elle subie ? La politique gouvernementale de l’immigration est une des rares politiques qui n’est pas approuvée chaleureusement pas le patronat. Elle lui donne satisfaction. L’appel d’air vient du patronat. L’étranger quel que soit le chemin qu’il a pris pour venir sait qu’une fois arrivé ici, surtout sans papiers, il trouvera du travail. Et le patronat est satisfait d’avoir une main d’’œuvre qu’il peut payer bien au dessous du smic. Dont les moyens de défenses sont très affaiblis. Cette « délocalisation sur place » lui est parfaitement utile.

Il n’est pas de barrière qui empêchera l’arrivée de ceux qui veulent venir. Cela leur coûtera plus cher, sera plus dangereux, permettra le développement de filières d’immigration soumises au banditisme. Ce n’est certainement pas un facteur d’intégration.

Et à coup de 30 000 expulsions réalisées chaque année, il faudra 10 à 15 années pour expulser toutes les personnes en situation illégale suivant les chiffres du gouvernement. Entre temps, les entrées ’

L’immigration subie, c’est au-delà de l’installation définitive des travailleurs, l’arrivée des familles. Mais pourquoi subie ? C’est la France qui a signé la Convention européenne qui protège le droit de vivre en famille. Si elle est opposée au droit de vivre en famille, elle peut très bien dénoncer cette convention. Elle ne le fait pas, elle reconnaît donc le droit de vivre en famille. Qu’elle s’en donne les moyens. Ce sont les « mauvaises » familles qu’elle ne veut pas, celles qui s’installent sans l’autorisation. Mais comment peut-on attendre l’autorisation quand pour faire venir la famille, il faut avoir un logement et que pour avoir un logement, il faut avoir de la famille.

Comme souvent, la grande victoire de Sarkozy n’est pas ce qu’il fait mais ce qu’il dit. L’immigration choisie n’est pas une invention de Sarkozy et elle a toujours été un échec. Elle sera encore un échec. Mais elle lui a servi pour capter les voix de l’extrême droite et arriver au pouvoir.



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