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L’Education Nationale à un tournant

par Christophe Lemasson de la commision Education des Alternatifs

A la fin de l’année 2010, 2 évènements ont eu lieu dans le domaine de l’Education : En Octobre est lancé l’appel de Bobigny signé par une cinquantaine d’organisations syndicales, pédagogiques, d’associations de parents d’élèves, la quasi –totalité des associations d’éducation populaire, de très nombreuses collectivités locales pour faire de l’Education, la priorité des politiques publiques.


Et quelques semaines après ,est rendu public le pacte pour une société éducatrice décentralisée qui s’inscrit dans le débat lancé par l’appel et y apporteplusieurs contributions importantes .Le congrès des Alternatifs de Rouen a pris la mesure de ces 2 initiatives d’inégale importance en qualifiant l’appel de Bobigny d’ »avancée permettant d’ouvrir un débat sur l’Ecole » et en apportant son soutien au pacte (voir Rouge et vert N°316) ). Il n’est cependant pas inutile de revenir sur ces 2 événements qui apparaissent dans un contexte où se met en place un ordre éducatif néo-libéral dont il ne faut pas mésestimer l’importance

UNE OFFENSIVE NEO-LIBERALE POUR REFONDER L’ECOLE

Sur fond de désengagement de l’Etat qui supprime des dizaines de milliers de postes de personnels dans tous les secteurs de l’Education, un autre type d’Ecole se met en effet en place : Concurrence généralisée entre établissements par le biais de la suppression de la carte scolaire et de la gestion des établissements sur le mode du marché, destruction des ZEP au profit de dispositifs « CLAIR » extrêmement dangereux, contenus d’enseignement aux relents passéistes(morale patriotique avec la lecture de la lettre de Guy Moqûet, remise au goût du jour de la bonne vieille leçon d’instruction civique et morale en Primaire), méthodes pédagogiques archaïques (privilégiant au primaire la parole magistrale et les exercices purement répétitifs). Dans la même lignée, on fait monter médiatiquement les voix d’universitaires qui fustigent « le progressisme pédagogique qui entraînerait un affaiblissement important de la transmission explicite, progressive et structurée des savoirs disciplinaires ».L’institutionnalisation d’une certaine forme de différenciation pédagogique du Primaire au lycée cache à peine la volonté de mettre en place un socle minimal pour les élèves les plus en difficulté et de réserver les approfondissements pour celles et ceux qui « ont du talent ».

Il ne faut pas se tromper : l’école des néo-libéraux, c’est avec la concurrence généralisée l’accentuation encore du caractère de classe de l’Ecole. Le système économique d’aujourd’hui n’exige-t-il pas une augmentation importante des qualifications à un bout et une déqualification tout aussi importante numériquement à l’autre bout ?

Dès lors, politiquement,et c’est une préoccupation très claire des politiques éducatives européennes, « les classes laborieuses » restent « des classes dangereuses », surtout si elles « se vivent » profondément affaiblies et durablement marginalisées. Dans l’institution scolaire, chaque élève suit donc désormais son parcours personnel dont il devient co- responsable avec l’institution sans jamais en être véritablement l’acteur ; les récalcitrants sont invités à suivre « des parcours personnalisés de réussite éducative », dans lesquels, isolés, on leur fait, peu ou prou, constater que, s’il persiste, l’échec scolaire est leur échec personnel, profond ressort pour l’acceptation, une fois adulte, de la domination quotidienne ordinaire.

Sous l’effet du mode de gestion néolibérale qui pilote tout à partir de l’évaluation des résultats, le métier d’enseignant se transforme pour devenir une sorte d’opérateur contrôlé et surveillé du rapport pédagogique, chargé de faire acquérir les compétences nécessaires selon le destin prévisible mais accepté et intériorisé de chacun ; Pour ce faire, on assiste dans tous les secteurs de l’Éducation, à une mise au pas des personnels privés de formation initiale , continue et priés de se conduire en fonctionnaire obéissant c’est à dire de plus en plus soumis aux hiérarchies, notamment la hiérarchie locale.

L’APPEL DE BOBIGNY, UNE AVANCEE POUR DEBATTRE

Que 50 organisation et associations se rassemblent, surmontant leurs divergences pour réclamer ensemble « un grand projet national pour l’enfance et la jeunesse « , « perspective qui fait défaut aujourd’hui » et en appeler à « la nation » et à ses responsables politiques » pour qu’un grand débat ait lieu dans la perspective de 2012 , est plutôt une assez bonne nouvelle….C’est le signe qu’un front large de l’Education se constitue tant les inquiétudes dans ce milieu sont fortes

Et il y a, dans cet appel, quelques propositions très précises qui s’opposent à la politique néo-libérale actuellement menée. Pour s’en tenir à l’essentiel :

  • La demande explicite d’une loi d’orientation et de programmation pluri-annuelle
  • La demande explicite de création d’un service public de la petite enfance dotée d’une charte à valeur réglementaire et que soit confortée l’école maternelle dans sa mission et sa spécificité dès 2 ans
  • L’accès sans discrimination au service public d’éducation (proposition 13) et donc la critique de la suppression de la carte scolaire

On peut même lire (proposition 14) étonnamment ; « l’égalité des chances repose sur un quiproquo ». On ne peut, selon nous, qu’apprécier quand on connait l’ extraordinaire écho qu’a rencontré dans le monde enseignant et dans la société ,cette fausse bonne idée postulant au départ un principe égalitaire ( droit égal pour tous) mais conduisant en réalité à un processus produisant de l’inégalité ; « l’égalité des chances » c’est en effet le droit (formel ?) à la réussite, la très réelle compétition pour la réussite et au final la légitimation de la réussite pour quelques uns et de l’échec (absolu et relatif )pour le plus grand nombre parce que les individus sont fondamentalement inégaux. Or pas loin derrière cette « égalité des chances « repose l’autre imposture, celle du « handicap socio culturel ». Admettre « le quiproquo » ( pour s’en tenir à l’expression utilisée) n’est ce pas déjà faire la moitié du chemin pour poser la question des contenus enseignés et des méthodes pour y accéder ?

Au-delà, bien sûr il y a , comme dans chaque appel de ce genre, un catalogue de bonnes intentions, des vœux pieux mais aussi quelques remarques non dénuées d’intérêt , sur les rythmes scolaires , par exemple. On peut de plus douter de la volonté d’un certain nombre d’associations et d’institutions d’aller au bout de la démarche, quand on sait par exemple la place prise, dans la démarche de l’appel ,par le réseau des villes éducatrices, ces 80 municipalités parmi lesquelles figure en bonne place la municipalité de Chaumont qui a pour premier magistrat….Luc Chatel.

Mais peut on considérer comme négligeable le fait qu’un débat sur l’Ecole ait lieu pour les Présidentielles ?Doit on appuyer la perspective d’un tel débat (dont rien ne dit qu’il aura effectivement lieu) ou s’en désintéresser ?

Si la refondation libérale doit être dénoncée et combattue, la désormais « vieille » école républicaine ne peut être défendue telle qu’elle est et fonctionne. C’est d’ailleurs une des difficultés majeures à laquelle nous sommes confrontés… Cette école républicaine et laïque est aussi dès ses origines une école de classe, (en plus d’être nationaliste et coloniale) qui trie, sélectionne, reproduit les inégalités sociales et, au final, répond et obéît, en gros à la demande des besoins en main d’œuvre du capitalisme. Les toutes récentes enquêtes sociologiques sont éloquentes et montrent que les inégalités scolaires corrélées aux inégalités sociales s’accroissent en même temps qu’augmentent partout désintérêt et démobilisation des jeunes face aux formes scolaires dominantes.

Au passage, un mot sur la naissance de l’école de J.Ferry qui inspira beaucoup de méfiance au mouvement ouvrier de l’époque. La classe ouvrière, depuis le XVIII éme siècle avait ses propres réseaux d’instruction autour du travail des compagnons et des ateliers et l’idée d’une école gratuite, laïque , obligatoire et étatique lui était culturellement étrangère. « Le travail se présente comme mode universel d’enseignement, écrit Proudhon au 19éme siècle, l’instruction est inséparable de l’apprentissage, l’éducation scientifique de l’éducation professionnelle ». Mais cette unité de la formation vole en éclats avec l’apparition des manufactures et du travail mécanisé, divisé, parcellisé qui ne peut plus être à la base d’une éducation intégrale…Tout le mouvement ouvrier se débat alors entre l’extrême difficulté pour lui d’ assurer l’éducation des jeunes dans le contexte nouveau de l’industrialisation et la défense de l’autonomie du monde du travail, l’autonomie des pratiques populaires et c’est sans doute cette contradiction qui fait écrire à Marx ; »Une éducation du peuple par l’Etat est chose absolument condamnable. Déterminer par une loi générale les ressources des écoles primaires, les aptitudes exigées du personnel enseignant, les disciplines enseignées, c’est absolument autre chose que de faire de l’Etat, l’éducateur du peuple. Bien plus, il faut au même titre bannir de l’école toute influence du gouvernement et de l’Eglise…C’est au contraire l’Etat qui a besoin d’être éduqué de rude manière par le peuple » (critique du programme de Gotha)…Il y a sans doute dans un contexte désormais totalement différent, des éléments d’analyse, le fil d’une réflexion à reprendre là.

DES INITIATIVES CONCRETES CAPITALES POUR TRANSFORMER RADICALEMENT L’ECOLE DES MAINTENANT

A coté de cela, dans le système scolaire actuel ou en dehors, se mettent en place des alternatives concrètes, des expériences, des projets ; A l’intérieur du Service Public d’Education, des équipes font vivre des classes, des établissements ou une partie d’établissements qui « fonctionnent autrement » : Un nombre non négligeable d’écoles, de collèges, de lycées alternatifs existent. Ces projets, ces expériences, dont le pacte pour une société décentralisée , ont en commun la volonté d’aider les enfants à construire leur savoir à travers leurs activités, de développer la coopération, de redonner à tous le désir d’apprendre. Les activités nées des besoins, des projets collectifs permettent aux élèves d’obtenir un nouveau statut. Certaines expériences posent et portent explicitement la question essentielle du pouvoir dans l’institution scolaire et là, l’élève co décide et autogère son établissement scolaire. Ces expériences , ces projets, ces propositions qui entreprennent de changer contenus, méthodes, de donner un nouveau statut à l’apprenant forment ce qu’on pourrait appeler une nouvelle pédagogie politique qui englobe toutes les pédagogies actives (prises dans toutes leurs diversités et comprises comme s’appuyant sur les activités des élèves pour donner du sens au savoir) en lien avec les recherches en sciences de l’éducation, part du postulat indispensable du « tous-tes capables » , et travaille à l’émancipation de la personne humaine et de sa réalisation (en lieu et place de la séparation aliénante du « citoyen » (au demeurant « peu actif »), du « consommateur » (peu libre de ses choix)et du « salarié » (soumis de fait à son employeur).

Cette pédagogie est politique, parce que, loin de se résumer à un ensemble de techniques,

  • Elle pose la question de la transmission du savoir et la question de l’appropriation du savoir par le plus grand nombre
  • Elle ambitionne de réaliser et radicaliser la démocratie dans l’institution scolaire. Elle remet donc en cause le cadre scolaire traditionnel, les finalités éducatives du passé et permet de commencer à entrevoir ce que pourrait être » une école autogestionnaire »

Mais il n’y a aucune raison pour que les initiatives alternatives s’ignorent selon le fait qu’elles sont dans ou hors le service public. A notre sens, il faut rompre avec cette idée apparue dans certains « courants « pédagogiques dans les années 80-90 que les réformes de structure globales sont désormais impossibles à l’intérieur du service public d’Education. Le « bas » et « le haut » doivent s’articuler et s’épauler

C’est bien en s’appuyant sur les pratiques alternatives qui ont déjà lieu, sur les projets, en observant et analysant ,dans les luttes, en particulier mais pas exclusivement celles menées par la jeunesse et les personnels de l’Education Nationale, comment les questions collectives sur l’Ecole sont posées ,que les Alternatifs pourront participer, avec celles et ceux qui le souhaitent, à l’élaboration d’un projet politique alternatif de formation.

Nous ne partons pas de rien : Comme nous l’avons déjà dit, des pratiques existent déjà, même peu nombreuses. Les autogestionnaires ont une tradition de réflexion dans ce domaine entreprise dès les années 70 et 80. Le livre « l’autogestion, hier, aujourd’hui, demain » en est la preuve la plus récente. Nous ne partons pas de rien mais il y a urgence. L’Ecole est à un tournant : Libéralisme ou autogestion, l’alternative est désormais posée.

Janvier 2011 Christophe LEMASSON



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