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La dérive libérale de l’UE vue à travers les négociations sur le projet de traité avec les USA

Contribution de Michel Buisson

Ce projet vise l’établissement d’un grand marché transatlantique (GMT, ou TAFTA ou TTIP). Comme le dit le texte du Front de Gauche "il faut refuser le GMT". Il s’agit ici en complément, d’analyser les stratégies à la base de ce projet, notamment celle de l’Union Européenne qui veut ainsi pousser au maximum envisageable le libéralisme en matière de commerce et d’investissement. Il s’agit aussi de préciser les conséquences de ce projet pour faciliter le débat, électoral entre autres, et la mobilisation.


La stratégie de l’UE peut se résumer ainsi : ne pas se laisser distancer par les USA, qui en parallèle et avec le traité avec l’Asie Pacifique (14 pays), plus avancé, veulent se remettre au centre et contrer la Chine, contrer les émergents et les tendances à relocalisation, en profitant de l’échec du multilatéralisme à l’OMC, échec auquel ils ont contribué. Avec des nuances (quelques réticences en Europe du côté de la culture et de l’agroalimentaire), il s’agit d’une stratégie impulsée par le business (les sociétés transnationales, STN) qui sont à l’initiative et forces dominantes dans les négociations. Les USA et l’UE convergent pour ce grand marché représentant 30 % du commerce mondial, 50 % du PIB, 820 millions d’habitants les plus riches de la planète. Sous couvert du mantra libéral, "favoriser les échanges améliore la situation de tous", il s’agit de favoriser les plus forts et la compétition, avec de nouvelles règles taillées pour et par eux, leur caractère de nouveauté ajoutant à leur avantage car ils seront les mieux placés pour les valoriser. Si ce projet aboutit ce sera la victoire du modèle productiviste et libéral pour les deux ensembles USA et UE, qui aura encore plus de facilité à s’imposer à l’ensemble du monde.
On se demande bien pourquoi la Commission a emboité le pas et encore plus pourquoi la France joue le bon élève, comme François Hollande lors de son voyage. On comprend mal, alors que les négociations sont le plus possible tenues secrètes, comment l’Europe va pouvoir faire reculer les USA. Seules une nette opposition antilibérale dans le futur parlement et une forte mobilisation citoyenne, pourraient faire échouer ou au moins affaiblir ce projet. Il est possible qu’un renfort provienne des USA avec une opposition des républicains qui n’ont pas l’intention de faire de cadeaux à Obama et la montée de la mobilisation citoyenne autour de la relocalisation et de la contestation du modèle dominant qui, pour de nombreuses forces a atteint ses limites.

En Europe, pour les citoyens, pour une partie des consommateurs et des producteurs de l’agriculture et de l’agroalimentaire, les raisons de s’opposer fortement ne manquent pas :

  • la première concerne le risque d’arasement total des normes, notamment en matière alimentaire ;
    Avec comme conséquences : arrivée des OGM, du bœuf aux hormones, des viandes traitées, avec dans le même temps, la remise en cause des appellations d’origine comme obstacles à la concurrence … Cette remise en cause aboutirait progressivement à la disparition de certaines spécificités alimentaires qui ont pu être maintenues jusqu’à présent et plus globalement, la part de l’agriculture et de l’artisanat dans l’alimentation. Sur ce point, l’unité avec les Italiens serait bénéfique. Mais cette question des normes concerne tous les secteurs : santé, écologie, industrie chimique, OGM, fracture hydraulique … Cette négociation est cependant très compliquée pour au moins deux raisons : aux USA, un produit est jugé sain tant que sa consommation n’a pas été démontrée nocive ; en Europe, en raison du principe de précaution, c’est l’absence de risque qui est nécessaire et on voit mal l’UE abandonner ce principe ; l’autre raison tient à la nature de la négociation qui ne vise pas du donnant-donnant mais la suppression de toutes les normes qui réduisent les échanges, suppression beaucoup plus avancées aux USA qu’en Europe. Un petit appui peut être éventuellement attendu par certaines entreprises de l’agroalimentaire qui espèrent développer la vente aux USA de fromages au lait cru ou autre spécialités à base technologique. Mais cette perspective a peu de poids.
  • la deuxième raison concerne le "règlement des différends" (conflits) avec recours à des procédures arbitrales, hors justice publique (formes privées réunissant des avocats des deux partie et un arbitre, voir l’affaire du Crédit Lyonnais) permettant de faire condamner tout décideur, privé ou public, Etat ou collectivité local … dont le choix pénalise une entreprise par non respect du libre commerce ou par imposition de certaines règles, par exemple en cas d’appel d’offres d’une collectivité locale en matière de restauration. Il s’agit d’un point particulièrement dangereux, fondamentalement dérogatoire au principe de l’Etat de droit et en raison du montant des pénalités encourues. Un tel choix représenterait une menace permanente risquant de bloquer de nombreuses innovations techniques et sociales.
  • la troisième raison concerne la protection des données personnelles déjà bien mise à mal - enfin, la question de la suppression des droits de douanes, présentée à tord, comme mineure compte tenu des abaissements progressifs dans le passé. Cette attitude, largement reprise par la presse, constitue un moyen de protection de la part des négociateurs qui ne souhaitent pas que la question des droits de douanes sur les produits agricoles, sujet sensible, soit discuté. En réalité, l’UE dispose encore de droits de douanes importants pour les produits agricoles et alimentaires pour : la viande bovine, les produits laitiers, la minoterie, le sucre … La suppression de ces droits entrainerait notamment la remise en cause des systèmes bovins herbagers (avec un fort usage de l’herbe) donc des types de produits, de nombreux emplois et l’équilibre de nombreux territoires. Cette suppression soumettrait totalement le système agricole et alimentaire européen à la plus forte compétitivité de l’agriculture et de l’agro-industrie des USA.

Expliquons et résistons.

Si ces négociations débouchaient sur un résultat proche des orientations de départ, ce serait la remise en cause de pans entiers du système européen en matière économique, sociale et écologique, déjà bien mis à mal par les processus précédents de libéralisation. Avec les changements sensibles en matière agricole, alimentaire et technologique, ce serait la perte de ce qui reste de souveraineté alimentaire en Europe. Plus globalement, ce serait le renforcement du pouvoir des STN au détriment de celui des Etats et des peuples, avec moins de place pour les alternatives. Oui, il faut refuser le projet de grand marché et, pour cela, amplifier la mobilisation et en faire un sujet central dans la campagne des européennes et pour une refondation écologique et solidaire.

Michel Buisson 10/04/14
Avec l’appui des contributions de : Aurélie Trouvé, Claude Girod, Gérard Choplin, Jacques Berthelot

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