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La Villeneuve de Grenoble en état de siège

Témoignages de militants-habitants du quartier

Le quartier "populaire" de Grenoble appelé la Villeneuve est depuis la nuit du 16 au 17 juillet en état de choc. La mort d’un jeune du quartier abattu par la BAC au pied de son immeuble à la fin d’une course-poursuite après le braquage d’un casino a déclenché une révolte violente avec des incendies de voitures, des accrochages avec la police et un quadrillage du quartier depuis quatre jours par 300 CRS et le GIPN appelés en renfort. Nous vous donnons à lire deux réactions d’habitants engagés dans le quartier à méditer après notre Université d’Été consacrée cette année en particulier au thème "Quartiers populaires et « classes dangereuses » dans le collimateur".


 Mes réactions/mon analyse par Jo Briant, militant des Alternatifs

Dimanche 18 juillet- 23H15- Villeneuve : 3ème nuit d’état de siège après la mort de Karim, jeune du quartier de l’Arlequin de la Villeneuve, tué par balle suite à un tir en pleine tête d’un policier, alors qu’il revenait d’une opération de braquage au Casino d’Uriage. Bruit assourdissant d’hélicoptères qui survolent et illuminent le quartier, omniprésence policière avec plusieurs unités de forces mobiles du Raid et du GIPN (ils seraient au moins 300 !).

Venant du centre ville j’ai eu droit comme tous les habitants rentrant chez eux en voiture à un barrage et à une fouille systématique de mon véhicule. Place du marché je croise une famille dont les enfants crient apeurés…

Deux jours durant j’ai sillonné le quartier pour constater les dégâts – voitures calcinées, abris bus caillassés..- mais surtout pour rencontrer et écouter les habitants. Réactions certes contrastées qui vont d’une condamnation sans nuances d’une « minorité de jeunes » qui « foutent la merde » et « empoisonnent la vie » du quartier, en brûlant notamment les voitures de leurs voisins de coursive qui en ont tant besoin, à une condamnation tout aussi catégorique de la police qui « a tué sciemment, par racisme, le jeune Karim », en passant par ceux/celles qui mettent tout sur le dos d’une éducation parentale défaillante… Mais tous sont envahis par un sentiment d’écrasement, d’impuissance et de désespoir face à des événements qui vont enfoncer encore davantage le quartier dans la stigmatisation et la souffrance sociale…

Au-delà des faits, ce que je veux dire, ce que je veux crier, avec d’autres habitants, au-delà de ma colère :

  1. L’approche et le traitement exclusivement sécuritaires de ce type de « fait divers sont aberrants, surtout avec tout ce déploiement et cet arsenal « anti-terroriste » et guerrier. Depuis plus dix ans la police dite de proximité n’existe plus à la Villeneuve, les policiers n’ont plus aucun contact avec la population, sa seule apparition, sa seule visibilité étant réduite à ces irruptions aussi brutales, massives, spectaculaires qu’aberrantes qui ne peuvent provoquer que haine et volonté d’en découdre. Un type d’approche et de « traitement anti-criminalité » qui ne peuvent que dégrader toujours plus l’image et la perception de ce quartier.
  2. Les causes ? Il est tentant, et si facile, de désigner une « minorité de jeunes » qui seraient à la base de l’économie parallèle, du trafic de drogue et des incendies réguliers de voiture. Explication réductrice et paresseuse qui évite de se poser les vraies questions : comment expliquer que le quartier de la Villeneuve, dont la création remonte aux années 72 sur la base d’une utopie collective qui a effectivement été essayée et réalisée partiellement jusqu’aux années 90, se soit à ce point« ghettoïsé », appauvri, dégradé à ce point ? Pourquoi cette concentration progressive d’une population de plus en plus précarisée, en grande majorité d’origine immigrée, en état de grande souffrance économique et sociale, notamment les jeunes dont au moins 50% sont sans emploi et sans aucune perspective ? Avec la fuite parallèle d’une proportion significative de la classe moyenne intellectuelle, dont je fais partie, dont beaucoup d’éléments n’ont pu supporter cette dégradation ?
    Les causes sont certes nombreuses, mais pour l’essentiel il faut citer le projet architectural de départ qui, malgré nombre d’équipements socio-culturels d’accompagnement, créait bel et bien les conditions d’un ghetto, la politique urbaine de la Ville de Grenoble qui a privilégié la création en région grenobloise de secteurs d’emploi à « valeur fortement ajoutée » faisant appel à des ingénieurs, cadres supérieurs…ce qui a eu pour conséquence une augmentation notable du prix du m2 et des loyers au centre ville et de raréfier les logements sociaux accessibles aux classes populaires. Avec l’absence d’une politique volontariste de maîtrise du montant des loyers. Il faut ajouter une cause structurelle plus déterminante : la panne de l’ascenseur social, la montée massive du chômage, la précarisation croissante des jeunes, l’accentuation de la ségrégation urbaine, autant d’effets directs du capitalisme néo-libéral, avec des effets particulièrement dévastateurs dans des quartiers populaires comme celui de la Villeneuve.
  3. La solution, même si elle peut être intéressante, ne saurait se réduire, comme le réclame Michel Destot, maire de Grenoble, à un « Grenelle de la Sécurité ». Oui, certes, à un rétablissement de la police de proximité, oui à une rupture avec ces opérations spectaculaires et terrorisantes qui ne font gu’aggraver le mal… Mais l’essentiel n’est pas là. C’est bien à toute une politique économique, sociale, urbaine secrétée par un système capitaliste et un libéralisme destructeurs et profondément inégalitaires, qu’il faut s’attaquer. Ainsi qu’à des logiques sociales et urbaines discriminatoires et, disons-le, racistes. Si un tel fait divers, aussi tragique soit-il ; s’était produit dans un quartier du centre ville, ou à Meylan, ou encore à Seyssinet, aurait-on envoyé tous ces « Robocop », ces centaines de policiers sur-armés, avec hélicoptères, aurait-on procédé à un encerclement systématique de ces quartiers, à des barrages, à des fouilles systématiques des véhicules et des personnes ? On ne pourra pas empêcher les habitants de la Villeneuve de penser que des dispositifs aussi guerriers et terriblement traumatisants, humiliants sont précisément arrêtés pace qu’il s’agit d’un quartier à forte composition immigrée. Je le dis avec colère et conviction : ce type de « traitement » est l’illustration bien réelle d’un rejet, d’une stigmatisation, d’une discrimination qui ne disent pas leur nom. La population de la Villeneuve, notamment les jeunes, comme celle des quartiers populaires, comme celle de Villiers le Bel ou de Saint Denis en région parisienne, sont bel et bien victimes d’une triple discrimination, sociale, économique et raciste. Tant qu’on ne s’attaquera pas à ces racines d’une exclusion terrifiante et dévastatrice, on ne fera au mieux que différer des explosions de plus en plus inévitables.
  4. J’ajoute, pour ne pas terminer sur une note exclusivement négative, que nous sommes un certain nombre de militants qui vivons sur ce quartier, qui apprécions fortement cette richesse sociale et multiculturelle, même si elle est nettement moindre qu’il y a vingt ans, déterminés à y rester, à maintenir à tout prix le contact avec une population en état de très grande souffrance psychologique et sociale, à créer les conditions d’un mieux vivre ensemble, sans oublier les causes socio-économiques et politiques. Un défi qui peut paraître insensé voire suicidaire mais auquel il est hors de question de renoncer.

Jo Briant, 18 juillet 2010


 Villeneuve, la vie sous les hélicos par Alain Manac’h Président de la Maison des habitants de la place des Géants de la Villeneuve (Grenoble)

Y a deux mecs, des bandits, des gangsters, pas des petits voyous mais des gars qui ont de l’expérience, diplômés par les séjours en prison. D’ailleurs ils sont déjà fichés pour des coups tordus, des braquages. Ils sont en manque de quelque chose, sans doute d’une raison de vivre, mais laissons cela : pour l’instant ils manquent de tunes. Comme on dit à cette époque de l’année, il faut assurer les vacances. Ceux-là n’ont pas l’envergure de monter un gros coup. Uriage, un casino, les touristes sont là et donc y a du blé. Ils s’arment en « guerriers », avec des gros trucs méchants. Quand on part ainsi, c’est qu’on est prêt à tout.

Ils ont sorti 20 000 euros, autant dire rien, une fois qu’ils auront payé les faux frais de ce genre de connerie. Bon. Et puis de toute façon, rien ne marche. Ils sont pris en chasse par la police. Pas la gendarmerie ni la petite police, NON, c’est la BAC (Brigade anticriminalité). Les mecs sont dangereux, la BAC aussi. Le reste est un jeu vidéo mais réel. Je n’y étais pas, mais je vois la scène. Evidemment, nos deux gros cons de braqueurs rentrent au quartier, les flics font des barrages et je vous passe les détails du rodéo. Après avoir blessé un flic, l’un des deux se fait descendre d’une balle dans la tête au pied de chez lui. Dans une tour de mon village urbain.

Les flics savaient qu’ils étaient armés, prêts à tout, à mettre en jeu quinze ans de trou pour un braquage. Pourquoi ne pas faire plus classique, plus fin ? On piste, on suit et on interpelle, on calme le jeu. Pour 20 000 euros, prendre le risque de mettre le feu aux poudres dans un village si compliqué ? Eh bien, si. Ce mort a foutu la merde dans mon village. Pour moi les flics n’ont pas fait correctement leur travail, ce ne sont pas des bons professionnels ou alors ils ont des ordres. Ils ont réussi à faire bouger une soixantaine de jeunes, ni bandits, ni gangsters, mais qui aiment s’affronter aux flics. Les dealers, pas fous, ne veulent pas se faire piquer pour une bagnole en feu.

Les jeunes de mon village, eux, sont trop heureux d’en découdre, d’avoir des ennemis. Ils mettent le feu, quelques-uns qui ont des armes les sortent et tirent. Cela fait combien de temps qu’on dit qu’il y a des armes dans les maisons ? Voilà, on y est : les gars de la BAC ont fait la liaison entre le grand banditisme et les jeunes de mon village. La petite racaille est contente. La presse est contente. Monsieur Hortefeux est content. Il bombe le torse, rajoute 150 CRS, puis le GIPN puis des hélicos avec des gros projos qui tournent au-dessus de mon village. Le temps qu’il faudra ! Et voilà maintenant, mon village, c’est Kaboul ! J’exagère évidemment, mais comment on va « soigner » ça après. Pauvre éducation populaire.

Et alors maintenant ? Comment on fait ? Les enfants du centre de loisirs de la Maison des habitants ont entendu, cette nuit encore, les hélicoptères. Ils voient les 300 mecs postés aux frontières du quartier. Les animateurs du centre de loisir, qu’on a de plus en plus de mal à embaucher, subissent la pression de leurs parents (qu’est-ce que tu fous dans ce quartier ?) et celle des gamins hyper tendus ! Qu’est-ce qu’on fait ? Qu’est-ce qu’on fait du projet éducatif qu’on développe ? Qu’est-ce qu’on fait de la batucada qu’on monte avec les gamins ? Quid des jeux éducatifs, des activités de découverte nature ? Des camps machins, et des ateliers artistiques bidule ? Quid du travail avec les mères de famille, quid des « sorties vacances » avec les familles qui ne sortent jamais ? Quid de la rencontre avec les jeunes adultes, avec leurs pères désemparés ?

Cela fait des années et des années qu’on montre notre désaccord sur ce qui se passe sur ces « villages » et qu’on hurle qu’il faut mettre des animateurs, des éducateurs en nombre et formés. Mais aussi, et cette voie n’a jamais été tentée sérieusement, qu’on soutienne d’une manière ou d’une autre l’engagement des habitants, l’engagement bénévole. Tiens, ce bon vieux machin qu’il serait bon de ressortir des tablettes du passé. Je sais que c’est difficile. Il faut prendre cet engagement pour ce qu’il est, accepter la complémentarité si nécessaire entre les professionnels de tout ordre, oui, et la police aussi, évidemment. Mais s’il vous plaît : pas d’opération de communication. Cela fait des années qu’on nous rétorque qu’il n’y a plus de moyens et que le socioculturel sera en franc constant. Pas un centime de plus : nous, comme des crétins, on est content car il n’y a pas de centimes en moins.

On voudrait appeler à la raison, au bon sens, aux bons choix. Qu’on cesse par exemple de déverser des tonnes de neige dans le centre de Grenoble pour une manifestation idiote, mais qui se voit bien. Et qui coûte au bas mot le prix de 40 animateurs pendant un an.

Alain Manac’h, 19 juillet 2010



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