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Les Alternatifs, Commission économie et social 25 juin 2012

Note d’information sur l’actualité économique pour la coordination du 1er juillet

par Michel Buisson


Paradoxes électoraux : en Grèce, ce n’est pas Syrisa, battue de peu, qui est aux commandes mais les deux partis qui ont conduit, avec l’aide de l’Europe, le pays dans la situation catastrophique où il est ; en France, c’est à un PS, doté de tous les pouvoirs politiques de régler une note dont il n’est pas directement responsable, mais une note heureusement moins lourde que celle des Grecs.

Mais dans quelle crise est-on ? La crise européenne, financière, politique et institutionnelle, s’inscrit, en l’amplifiant, dans la crise globale et structurelle de l’hégémonie financière du système capitaliste dans sa phase néolibérale. L’issue de cette crise nécessiterait un "nouvel ordre social", (Duménil et Levy, Actuel-Marx n° 51). Encore d’ordre secondaire, la crise européenne (1) peut avoir des conséquences mondiales plus graves dans un système fragilisé (2), d’autant que l’effet-retard du "sursis keynésien" est épuisé. C’est dans ce contexte que la gauche arrive au pouvoir en France avec un programme et des moyens très insuffisants, alors que l’avancée vers un programme de rupture(3,4) reste difficile. 1) L’Europe : la crise jusqu’au bout ?

1.1 Confirmation de l’échec de la politique européenne de Merkozy depuis la crise de l’euro au nom du libéralisme pour faire payer les peuples. De plus en plus, cet échec est admis avec le fait qu’il conduit l’Europe économique et institutionnelle à la catastrophe, sans parler de la montée des extrêmes droite.
Mais le traité est toujours soumis à adoption par les 27 pays (vote oui en Irlande, le seul avec référendum) et l’Allemagne persiste en refusant tout (pas "d’euro bonds", pas d’augmentation des ressources du MES, pas de soutien collectif au système bancaire, pas de réduction de l’austérité budgétaire …), y compris contre ses intérêts. L’Allemagne semble viser l’asphyxie des pays en difficulté soit en les poussant vers la sortie de la zone euro, soit vers une forte "dévaluation intérieure" par baisse des salaires et autres revenus et services publics.
Tancée de toutes parts, y compris au G20, l’Allemagne va-t-elle céder. Les contrepropositions sont encore floues et modestes faute de financement suffisant, y compris pour celles de la France avec les project bonds et une coordination bancaire qui depuis peu se rajoutent aux euros bonds de la mutualisation des emprunts.

1.2 Cette politique met l’Europe et plusieurs pays en difficulté extrême au double point de vue de l’Etat et du peuple :
Grèce, jusqu’à la lie ? Les élections de mai ont marqué un refus des politiques imposées par la troïka et acceptées par les précédents gouvernements, dont les responsables sont à nouveau aux commandes pour poursuivre la même politique, à un ajustement de calendrier près. L’espoir, né du résultat de mai que ce refus se traduirait en alternative avec les secondes élections, s’est envolé. Comment parvenir à ce que l’Europe reconnaisse son échec et la nécessité d’offrir d’autres perspectives au peuple grec, c’est-à-dire du temps pour d’autres réformes à la suite de celles engagées (fiscalité, organisation de l’Etat) et d’autres types d’appui lui permettant de rester dans la zone euro et de remonter la pente : récession de plusieurs années, chutes de moitié des revenus et des emplois, crise sociale avec destruction des services publiques. Alors que la Grèce doit consolider son Etat et son économie, l’Europe les détruit et verse de l’argent qui sert à financer les financiers prédateurs.
Espagne : la crise bancaire due à un fort endettement privé, est ouverte sans solutions en vue, dans une situation économique et sociale catastrophique (éclatement de la bulle immobilière, taux de chômage de 25 %, financement de la dette à plus de 7 % en pleine récession, …). A quoi sert l’argent accordé ? Le syndrome grec n’est pas loin qui aurait des conséquences très graves pour l’Espagne et pour la zone euro.
Italie : la rigueur s’installe mais ici la dévaluation interne peut éventuellement conduire à un rebond du fait du potentiel industriel, si l’explosion de la zone euro est évitée.
France : entre plans sociaux et contraintes européennes et internes, le gouvernement prend quelques mesures symboliques et économiques ; on ne perçoit pas une ligne bien nette (rencontre avec Merkel) avec cependant une tendance vers la rigueur ; est-ce pour ça que, malgré l’incertitude, les taux d’intérêt des emprunts français sont au plus bas (2,41 % sur le marché secondaire) ? Les déclarations de Montebourg ("sauver les emplois qui peuvent l’être"), de Bricq (écologie, à l’époque), sont bien modestes en lien avec une politique d’accompagnement dans un contexte de faibles marges de manœuvre, (déficit budgétaire accru de 10 milliards, faiblesse record depuis 25 ans des taux de marge des entreprises, absence de croissance) . Un texte de l’Inspection des finances (non diffusé) est très critique sur la situation des finances publiques et propose encore davantage d’économies que Sarko.

1.3 Trois orientations pour une autre Europe face à la crise :

  • aller vers une réelle coopération économique et monétaire avec une réforme bancaire : BCE en capacité de prêter aux Etats ; séparation des deux fonctions des banques et contrôle plus strict ; réelle mutualisation économique (fiscalité, budget, coordination interbancaire), avec un peu d’inflation contrôlée et avec maintien du pouvoir d’achat. Une telle réforme, radicalement opposée au dernier projet de Merkel qui renforce l’institution pour davantage de rigueur …, suppose évidement de nouvelles conditions politiques et institutionnelles,, notamment pour plus de démocratie.
  • abandon du traité et souplesse budgétaire encadrée autrement,
  • nouvelles formes de soutien aux pays en crise (Grèce, Espagne …).

2. Economie mondiale et capitalisme : vers une "digestion" de la crise ? (serait à développer) :

La crise des pays du centre (faible croissance, voire récession comme pour une partie de l’UE) est en partie compensée par la croissance des pays "émergents" qui cependant commencent à être touchés par la perte de débouchés au centre, d’où leur pression au G20 de cette semaine pour une politique européenne moins restrictive. L’aggravation de la crise européenne constitue en effet une menace sérieuse de récession.
Les récents G8 et G20 montrent que la "stratégie du bord du gouffre" (on ne fait pas de réformes fondamentales tant que le système résiste) a toujours cours. La crise financière est au contraire utilisée pour faire pression sur les salaires, restructurer … La crise écologique n’est toujours pas prise en compte sérieusement : au contraire les USA gagnent beaucoup d’argent et d’emplois en développant l’extraction de gaz de schiste et le sommet de RIO ne débouche sur aucune décision. Heureusement "l’économie verte", projet des pays riches et de la Banque mondiale, n’a pas été retenu comme axe central.
Parmi les faits marquants on peut noter :

  • l’accord monétaire entre le Chine et le Japon, pouvant accroître l’affaiblissement des USA et accroître la montée d’un bloc oriental à base technologique et financière.
  • la fragilisation des USA ;
  • la crise sociale et politique en Chine, mais le système semble en capacité de tenir.
  • la poursuite, notamment en Asie, des délocalisations au sein des pays de grande taille et entre pays, vers des zones à coûts de production inférieurs.
    Les forces sociales semblent osciller entre indignation avec quelques mouvements significatifs ("indignados, "occupy") et sidération (impression ou conviction qu’il n’est pas possible de faire autrement). Exemples : les collectifs sur la dette n’ont pas réellement pris de l’ampleur, contre-révolutions en Tunisie et en Egypte, difficultés du sommet des peuples de Rio.

D’où ce qui n’est qu’une hypothèse sous forme de question (iconoclaste ?) : le système va-t-il sortir de la crise actuelle (ou continuer de s’y complaire) sans se transformer avec un léger réformisme en matière financière et institutionnelle, un report du traitement de la crise écologique qui avec le capitalisme vert et l’économie verte permet un rebond, une pression renforcée sur les couches populaires ?? Le titre de notre université d’été n’est-il pas un peu optimiste ??

3. Quelle politique économique de gauche en France ?

3.1 orientations
Les questions difficiles ne manquent pas :

  • comment créer des emplois non aidés et hors fonction publique et faire baisser rapidement le chômage en hausse depuis 12 mois ?
  • comment en même temps améliorer les minima sociaux et le SMIC et lutter contre les différentes formes d’exclusion ?
  • comment engager la transition énergétique et écologique ?
  • comment se libérer de la pression financière ?

Le tout en cohérence systémique et non par mesures séparées, pour justifier chaque ministère et occuper les médias, le tout dans une UE contraignante. Il faut aussi prendre en compte, vue la situation budgétaire, les différences de temporalité entre les nouvelles dépenses et la disponibilité des ressources ou des économies liées à ces dépenses. La question est surtout comment dépasser les faibles marges de manœuvre de départ (voir 4).

Dans l’hypothèse où la majorité PS serait bousculée par un mouvement social fort (?), cette cohérence pourrait se construire autour de deux axes :

a) la finance avec

  • report d’une partie des dettes,
  • emprunt(s), y compris "citoyen(s)" plus ou moins obligatoires (donc bien au delà des annonces) pour financer des investissements productifs et créateurs d’emplois et à portée écologique. Les ressources de ces emprunts viendraient accroître les moyens de la nouvelle banque publique ;
  • forte réforme fiscale ;
  • élaboration d’une stratégie financière et son application avec contrôle des banques et constitution du pôle public dans une perspective de socialisation du système bancaire.
    NB : ce quatrième point, encore davantage que les trois autres, implique une réforme des règles européennes actuelles ; sinon d’y déroger nettement.

b) en lien avec la hausse des ressources :

  • amélioration du pouvoir d’achat et des conditions de vie des couches populaires,
  • renforcement des services publics,
  • engagement d’une autre politique économique à finalité sociale et écologique.

Ces priorités supposent

  • la construction d’un large compromis social et politique autour d’un programme répondant progressivement et de façon cohérente aux quatre urgences de l’emploi, de la justice sociale, de la transition écologique, de la finance, plus sur un plan politique, l’urgence démocratique. Ce compromis est indispensable pour construire un front de rupture et pour affaiblir les forces dominantes, économiques et politiques ;
  • l’émergence d’une autre Europe, en lien avec toutes les possibilités de convergence (Grèce, Indignés espagnols etc.), y compris en dérogeant aux règles.

3.2 : deux questions concrètes immédiates (parmi d’autres)

  • la hausse du SMIC : faut-il aller au-delà d’un coup de pouce significatif de 5 % ? Compte tenu que le problème des bas salaires et des bas revenus (temps partiels …) n’est qu’en partie réglé par le niveau du Smic, cette hausse devrait rester modérée dans un premier temps et accompagnée d’autres mesures sur les minima sociaux …. De plus, une hausse forte du Smic (les 1700 €) devrait s’inscrire dans une politique globale, y compris de protection de l’emploi (adaptation des structures de production) avec suppression des exonérations de charges sur les bas salaires ;
  • que faire face aux plans sociaux ? Difficile d’avoir une réponse identique dans tous les cas. Que peut faire une politique dite de "Redressement productif" ??

4. Marges de manœuvre vs ruptures :
La gauche de gauche ne peut faire l’impasse sur cette question : non posée de façon explicite, elle conduit aux propositions "kénésiano-optimistes" des économistes atterrés pour 2012 (voir une note précédente) ou à l’idéalisme de Mélenchon : "l’économie c’est de la plomberie" (grosso modo il suffit de fermer le robinet des profits pour les capitalistes pour ouvrir celui des salaires pour les travailleurs et pour celui des ressources publiques). Ces deux positions constituent des fautes politiques avec soit un manque, soit un excès d’ambition, tous deux démobilisateurs, soit par insuffisance d’effets positifs soit par échec.
Sans répondre à la double question des niveaux précis de marges de manœuvre et une liste des possibles ruptures, voici quelques réflexions :

  • côté marges de manœuvre sociale-démocrates, c’est-à-dire sensiblement au-delà du programme de Hollande, les possibilités sont les suivantes :
Volet Projet Hollande Possibilités supplémentaires Modalités pour les valoriser
Déficit budgétaire Le ramener à 3% en 2014 Le garder au niveau actuel voire l’accroître Consensus* social fort pour une autre politique économique et fiscale rigoureuse et juste
Dettes publiques Les rembourser Report d’une partie, contrôle des banques et pôle public Idem sur consensus avec conditions de financement pour éviter des taux abusifs
Fiscalité et emprunt Augmenter un peu les recettes par une fiscalité plus juste et banque publique Réforme fiscale plus radicale et emprunt Idem sur consensus
Dépenses supplémentaires Hausse smic (+ 2% ?), pas de hausse des emplois dans le public Hausse plus forte à CT et hausse des minima sociaux Idem sur consensus avec politique de l’emploi

* il faut aussi critiquer, de façon justifiée et crédible, les propositions du PS, assez largement admises comme seules possibles.
Un tel usage des marges de manœuvre paraît économiquement et politiquement possible malgré l’Europe actuelle (mais en désobéissant sur certains points aux traités donc avec une forte incertitude sur les conséquences) et malgré les forces capitalistes qui veillent au grain. Mais deux conditions sont impératives : être rigoureux sur le plan économique (au-delà et différemment de ce que l’on enseigne à l’ENA) et politique (consensus social). Pour cet usage maximum des marges de manœuvre, la gauche de gauche a une tâche difficile : dépasser la seule critique et participer à l’élaboration de contre propositions avec le mouvement social .

Aller au-delà en engageant des ruptures ? Les choix économiques de rupture sont contraints par deux cercles forts et une contrainte de base :

  • le cercle Europe en tant qu’institution et en tant qu’espace commercial pour une grande part de nos échanges, pour la circulation des capitaux, pour la monnaie. Par exemple, il est difficile de demander plus de solidarité vis-à-vis des pays en difficulté sans renforcer certaines règles ; il est difficile de mener une réforme fiscale encore plus radicale, de relever les bas salaires sans conséquences en termes d’investissement, de coûts, conséquences qui demandent du temps et des politiques rigoureuses pour être compensées. Par exemple, le développement de la recherche publique pour l’évolution du système productif, implique plusieurs années de dépenses publiques avant de porter ses fruits.
  • Le cercle du capitalisme, lui aussi avec deux composantes : le système avec ses structures (syndicats patronaux, lobbys…) et les entreprises, elles-mêmes très diverses, d’où la question : jusqu’où cet ensemble est-il réformable par des décisions réglementaires sur les plans de l’emploi (interdiction des licenciements boursiers, suppression des contrats précaires, cotisations interentreprises…), du financement … Les leçons des 35 h ne doivent pas être oubliées.
  • La contrainte de base, tout à fait triviale : la richesse distribuée doit avoir été produite ; certains décalages dans le temps sont possibles (endettement, inflation), mais doivent rester modérés.

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