Grève générale le 24 novembre dernier, à l’appel commun des deux grandes centrales syndicales CGT-P et UGT, contre la politique d’austérité décidée par le gouvernement socialiste de José Socrates, soutenu par la Droite, élection présidentielle le 24 janvier prochain, le Portugal est au coeur de l’actualité sociale et politique européenne. Nous avons demandé à Francico Louça*, député du Bloc de gauche, et porte-parole de son groupe parlementaire, de répondre à nos questions.
Rouge
et Vert : Le Portugal est actuellement touché de plein fouet par la crise
économique et le gouvernement socialiste est totalement à l’unisson de ses
homologues européens en matière de généralisation d’une politique d’austérité
musclée contre les salariés et le peuple. A ton avis, où va le Portugal et
comment expliques-tu cette situation ?
Francisco
Louça : Le Portugal est aujourd’hui le
pays le plus inégalitaire de l’Union Européenne, et aussi le plus touché par le
chômage. A cela il faut ajouter que 20% des travailleurs sont précaires et que
la pauvreté frappe 20% de la population du pays.
Dans ce contexte, suite à la crise bancaire et la récession
provoquée par la spéculation financière en 2007 et 2008, les mesures
d’austérité adoptées aujourd’hui conduisent à une nouvelle récession. En
augmentant les impôts et en baissant les salaires, le gouvernement de José
Socrates (PS) s’est mis d’accord avec la droite pour appliquer les recettes du
FMI, ce qui aggrave encore la crise économique.
Parallèlement, le gouvernement et la droite ont refusé les
propositions concrètes du Bloc de gauche pour corriger les injustices fiscales
et sanctionner les spéculateurs, ou encore pour promouvoir une politique en
faveur de l’emploi, de la revalorisation des salaires et des retraites. Le Bloc
de gauche a dénoncé ces injustices, en démontrant que l’adoption d’une
politique économique rigoureuse contre les profits pourrait permettre de
récupérer l’investissement public et défendre les services de santé et
d’éducation. Pour illustrer, prenons l’exemple du plus important rachat
d’entreprise de l’histoire du Portugal, et parmi les plus importants au monde
en 2010 : en vendant l’entreprise Vivo, Portugal Telecom a rélaisé une
plus-value de 6,5 milliards d’euros, net d’impôts. La taxation de ces profits a
été refusée par l’alliance entre le PS et la droite.
Rouge
et Vert : Quelle orientation défend
aujourd’hui le Bloc face à l’Union Européenne et notamment face à la crise
financière ?
Francisco Louça : Le Bloc
a toujours défendu la nécessité d’affronter les politiques et institutions
européennes et de combattre les orientations libérales de l’Union Européenne.
Une refonte démocratique pour une Europe sociale est fondamentale, pour avoir,
aujourd’hui, une cohérence économique dans la lutte contre le chômage et une
protection contre la spéculation. En réponse à la crise, nous défendons la
création d’une Agence européenne de notation, la mise en place d’un système de
compensations entre les Etats et d’un système d’emprunts, que la BCE devrait
s’engager à prêter aux Etats et pas seulement aux Banques. Un plan européen de
récupération des entreprises et de lutte pour l’emploi devrait être la priorité
de l’Union.
Les grandes grèves organisées en France, Espagne, Grèce et au
Portugal nous montrent que l’Europe qui doit prendre ses
responsabilité c’est celle de la solidarité entre les travailleurs.
Rouge et Vert : La grève
générale du 24 novembre, appelée conjointement par la CGTP et l’UGT,
annonce-t-elle un changement profond de la mobilisation sociale et populaire
contre l’austérité ?
Francisco
Louça : La grève a connu un succès
important, avec plus de la moitié des salarié-e-s mobilisés, et une unité
syndicale que nous n’avions pas connue depuis 20 ans. Les services publics des
Transports, de l’Education et de la Santé, ainsi que les grandes entreprises,
se sont arrêtés. De nombreuses actions de masse ont été menées par les
syndicats et la gauche politique, qui ont démontré la nécessité d’une riposte
croissante à la politique du FMI, qui s’applique au Portugal avant même les
recommandations du FMI.
Rouge et Vert : Le 24
janvier prochain, le Portugal va élire son président de la République. Depuis
de nombreux mois, le Bloc de Gauche a décidé de ne pas présenter de candidat et
de soutenir la candidature de l’ex-socialiste Manuel Alegre, aujourd’hui également
soutenu par le PS. En totale opposition sur la politique conduite par le
gouvernement PS, Bloc de Gauche et PS soutiennent le même candidat tandis que
le PCP présente Francisco Lopes. Une telle situation apparaît bien difficile à
comprendre vu de France, peux-tu nous expliquer votre choix ?
Francisco
Louça : Manuel Alegre est un dirigeant
historique du PS qui a toujours pris des positions indépendantes et sur une
ligne de gauche. Il y a 5 ans, il était candidat à la présidentielle contre
Mario Soares, le candidat officiel du PS, qu’il a largement devancé. Alegre a
donc démontré qu’il est l’unique candidat que la gauche peut présenter pour
battre la nouvelle candidature de l’actuel président, et leader historique de
la droite, Cavaco Silva.
Ces dernières années, Manuel Alegre ne s’est pas contenté de
voter contre le gouvernement de son parti sur des questions essentielles comme
la défense de l’école publique ou du service public de la santé, il s’est aussi
opposé à lui dans la confrontation décisive concernant la loi sur le travail.
Pour cela il s’est engagé publiquement pour la convergence avec les autres
secteurs de la gauche, ce qui ne s’était jamais produit auparavant au Portugal.
Pour
toutes ces raisons le Bloc de Gauche soutient sa candidature à l’élection
présidentielle. Parce que la gauche a besoin de convergences. Ce candidat a une
position très claire : soutien à la grève générale contre le gouvernement PS et
sa politique économique avec la droite, soutien aux manifestations étudiantes,
dénonciation des privatisations en cours et rejet de la réduction des salaires.
Il est un candidat de gauche qui aujourd’hui bénéficierait de 30% des
intentions de vote, contre près de 5% au candidat du PCP présenté pour des
raisons d’« affirmation partisane ».
Rouge et Vert : Le Bloc
de Gauche est sans doute aujourd’hui l’exemple le plus abouti de construction
d’un pôle anticapitaliste en Europe. Quels ont été, selon toi, les
principaux obstacles que vous a fallu dépasser pour y parvenir et quels
sont aujourd’hui, par delà l’élection présidentielle, vos perspectives
…. Et les rapports du Bloc avec le PCP ?
Francisco
Louça : Le Bloc de Gauche représente
aujourd’hui près de 10% de l’électorat et organise les travailleurs dans de
nombreuses grandes entreprises du pays.
La publication par Wikileaks de nombreux télégrammes de
l’Ambassade américaine à Lisbonne montre la crainte de Washington face aux
pressions du Bloc de Gauche pour empêcher les vols aériens secrets de la CIA .
Cette force est issue d’une convergence, unique en Europe, entre
dirigeants de gauche qui ont voulu se concentrer sur l’essentiel : former une
gauche socialiste, de combat, qui refuse de perdre son temps à défendre des
programmes aux effets limités, ou à afficher des divergences aux résultats garantis.
C’est en étant très clair sur un programme de lutte que nous
avons grandi.
Nous savons que nous connaitrons des victoires et des défaites
mais la gauche se doit d’être insoumise et courageuse. Le courage c’est de
créer une gauche forte, capable d’unité politique, capable d’être une
alternative concrète pour la majorité de la population, capable d’organiser la
lutte sociale, capable de diviser le centre et d’empêcher que la
social-démocratie continue d’être la référence organisée de l’électorat de gauche.
La lutte anticapitaliste exige la capacité d’affronter et de vaincre le
capitalisme. C’est la stratégie du Bloc.
Les relation du Bloc avec le PCP sont correctes. Au Parlement il est rare
que le PCP n’approuve les initiatives du Bloc et réciproquement. C’est arrivé
quand le PCP refusa de voter la parité hommes femmes par exemple. Dans ses
publications, le PCP a l’habitude d’être agressif contre le Bloc : il nous a
accusé récemment de ne pas soutenir le régime de Pékin, ce qui est entièrement
vrai. Mais dans le mouvement social et syndical l’unité d’action est une
réalité.
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Pour connaître les propositions concrètes du
Bloc pour répondre à la crise et suivre son actualité politique
http://www.esquerda.net/sites/defau...
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Le Bloc de gauche a été constitué en 1999, dans le cadre d’un front
politique entre les deux principales forces d’extrême gauche l’UDP, maoïste, et
le PSR, section de la Quatrième Internationale, et Politica 21, issue du PCP.
Le Bloc s’est assez rapidement construit dans tout le pays, dépassant largement
l’influence et l’histoire de ses composantes initiales. 10 ans plus tard, il
est devenu la force politique majeure de la gauche portugaise, avec un groupe
parlementaire de 16 député-e-s et une influence croissante dans les luttes
sociales, démocratiques, féministes et écologistes.
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Francisco Louça a été le candidat du Bloc à l’élection
présidentielle de2006 où il a recueilli 5,3% des voix, plaçant le Bloc devant
le PCP. Aux élections législatives de septembre 2009, le Bloc a obtenu plus de
570 000 suffrages dans tout le pays et 16 députés.
Propos recueillis, traduits et mis en forme par Rémy
Querbouet, Sylvie Da Silva et François Préneau