Ces deux questions (Que et comment) sont complétées par celle, transversale, du modèle de développement.
1 Que produire [1] ?
1.1 nature de la question
Il ne s’agit pas de répondre de façon détaillée à cette question. En effet c’est à chaque fois qu’une décision de court, moyen ou long terme devra être prise que la réponse devra être apportée de façon la plus autogérée possible et par la ou par les instance(s) qualifiée(s). De ce point de vue Benoît (voir la note) a raison. Il nous faut éviter d’être avant-gardistes et naïfs (au différents sens du terme).
Ainsi, dans le cadre de l’élaboration du projet relevant de la révolution longue, une réflexion est nécessaire [2] , pour au moins cinq raisons :
… plus une sixième : éviter l’idéalisme en prenant en compte les difficultés d’un changement radical, sans doute encore plus difficile sur le plan économique que politique.
1.2 Les réponses à construire
1.21 : pour la phase post-capitaliste
Il s’agit de remplacer par des critères d’intérêt collectif les critères de choix capitalistes, principalement fondés sur la maximation, sous certaines contraintes, du profit des détenteurs de capitaux. Cette maximation est plus ou moins directe et à court terme et les contraintes proviennent ou non des pouvoirs publics. En schématisant, il s’agit de passer de choix monocritères d’un seul type d’acteurs en concurrence entre eux à des choix multicritères impliquant diverses structures autogestionnaires qui doivent converger au nom d’un intérêt collectif impliquant la totalité de la communauté du pays et au-delà. Il ne suffit donc pas de se réfugier derrière le paradigme simpliste [3], donc dangereux, de la « production socialement utile », que Benoît critique à juste titre.
Il s’agit en quelque sorte de construire un TEE (tableau économique d’ensemble) répondant de la meilleure façon (définie politiquement et démocratiquement) à la combinaison des critères suivants : satisfaction prioritaire des besoins humains économiques, sociaux et culturels fondamentaux (alimentation, formation, santé, culture) sous contraintes sociales et écologiques et avec des objectifs de niveau de performance et de type de relations internationales, le tout en lien avec comment produire et qui décide. Il faut aussi faire le partage entre les biens d’investissement et les biens de consommation.
Ce TEE « idéal » peut constituer la base d’une démarche de planification démocratique et itérative qui va définir progressivement les types de produits (biens et services) et leur quantité en confrontant les différents critères et objectifs aux contraintes de capacité, aux possibilités d’évolution …
Il doit être là aussi de façon démocratique et itérative, réparti par type et unité de production, par zone …La question de la localisation est en effet importante.
1.22 Pour la phase de transition
Il faut définir quels sont les choix productifs à mettre en avant, en termes de critique et de propositions, pour construire les éléments de la transition (les « ruptures »). Ce choix peut s’opérer en prenant en compte leur côté anticapitaliste, de solidarité internationale, d’écologie, leur capacité à mobiliser les forces populaires, y compris en termes de participation aux décisions. Par exemple, la question du logement peut ici servir d’analyseur.
Cette transition repose aussi sur un travail sur la période actuelle : critique des biens et services produits au regard de la satisfaction quantitative et qualitative des besoins fondamentaux, et détermination des causes des écarts entre situation actuelle et situation souhaitée (profit, politique publique marchandisation, publicité, inégalités….) et leurs conséquences.
Il s’agit donc dans la préparation de la transition, pour dans sa conduite, d’être en capacité, par les critiques et les propositions, de mobiliser afin de construire un rapport de force favorable.
1.23 Quelques exemples de produits « sensibles »
Une réflexion de ce type, à élargir et à approfondir, pourrait être utile, pour les deux phases, de transition et post capitaliste.
Type de bien ou service | Raisons de réduction ou de suppression | Questions posées et cadre du choix |
---|---|---|
Industrie d’armement | Politiques, intérieures et extérieures | Fonction du type de maintien de l’ordre et de défense et de relations internationales dans une situation donnée ; en toute situation, refus complet de ventes d’armes ; Conversion des emplois |
Voitures et camions | Pollutions, dépendance énergétique, urbanisme et aménagement du territoire, fonctionnement social ; | Forte réduction progressive possible avec conversion des emplois et réduction du temps de travail ; politiques de transport et de déplacement de remplacement adaptées aux différentes situations urbaines et rurales et aux différents besoins. |
Publicité | Domination des firmes et incitation à surconsommation et à mal consommation | Suppression possible avec mise en place d’une grande liberté d’expression, y compris sur moyens publics. |
Viandes | Concurrence avec alimentation humaine en produits primaires ; pollutions. | Niveaux de consommation à réduire, d’autres à accroître en fonction d’éléments culturels, nutritionnels et agronomiques |
Energie nucléaire | Dangerosité, technocratie | Est-ce que les critiques développées actuellement resteront valables dans un tout autre contexte économique et politique ? |
2 Comment produire ?
Cette question en contient au moins quatre, également fortement et dialectiquement reliées, par exemple entre technologie et emplois ou conditions de travail :
… et une cinquième : le statut du travailleur autour de la « fin du salariat ? » dans celle, plus globale, des rapports de production traitée dans « qui décide ? »
Comme pour « que produire ? », il ne s’agit pas de répondre à cette question mais de construire un questionnement, en référence au nombre et à la variété des critères à prendre en compte dans la mise en œuvre d’un projet autogestionnaire et écologique. Voici quelques éléments sur les deux premières sous questions et la cinquième.
Les technologies : il s’agit de la combinaison des techniques et des moyens matériels mobilisés pour la production d’un bien ; le choix d’une technologie va dépendre des objectifs en termes d’emploi (nombre, qualification, …), de la qualité visée, de la productivité attendue par facteur et globale, de l’impact sur les ressources et sur l’environnement, le rapport K/W. La réponse à ces questions va définir des processus de production, eux-mêmes en rapport avec le type d’unité de production choisi. Sur un plan plus concret ce choix va reposer sur un ensemble de critères (« coefficients techniques », pénibilité, cycle de vie du produit …) nécessaires à la prise de décision politique et technique.
Les types d’unité de production : leur choix relève pour un type donné de produit d’une dialectique triangulaire combinant la technologie, la répartition territoriale de la production, le type de gestion (grosse unité à gestion centralisée ou ensemble de petites unités plus autonomes).
Le statut du travailleur : la « fin du salariat ? », présenté, avec « la fin de la marchandise » comme un des résultats majeurs de toute révolution anticapitaliste est-elle le fruit de l’autogestion ? Si oui à quelles conditions ; si non, que faut-il de plus ?? Autant de questions à traiter dans « qui décide ? »
3. Quel modèle de développement ?
Les deux questions du « quoi » et du « comment produire ? » s’inscrivent dans celle plus globale du système productif et de sa finalité. C’est dans ce cadre que peut être en partie examinée la question du type d’évolution de ce système productif (croissance, décroissance, alter développement…).
En repartant du texte adopté au congrès de 2005 et de la littérature, il est possible de distinguer trois points, dialectiquement emboîtés :
chaque point posant en particulier la question des indicateurs [4].
La durabilité sectorielle implique à l’échelle des unités et du secteur (agricole par exemple) le respect de règles en matière économique, environnementale et social et territoriale. Ces règles relèvent du choix politiques à partir de données scientifiques et de souhaits citoyens. Les mêmes critères peuvent s’imposer à l’échelle de différents territoires composant l’espace national.
La soutenabilité globale se situe à l’échelle du pays et englobe, en plus des stricts critères « objectifs » de durabilité, des éléments politiques relatifs au fonctionnement économique (évolution du système de production), social (satisfaction de certaines priorités) et écologique (niveau de pollution). Ces éléments sont par exemple intégrés dans la planification pour une bonne articulation, y compris au niveau local.
L’alterdéveloppement intègre, au niveau international, les conditions politiques, économiques, écologiques pour améliorer la situation des pays les moins bien dotés ou les plus pauvres tout en gérant correctement les ressources de la planète.
4 Idée finale et peut-être farfelue
On pourrait analyser et caractériser les différents éléments constitutifs de notre projet économique à l’aide de la grille régulationniste* :
*R. Boyer, Y. Saillard, « un précis de régulation » pp 58-68, in, RB et Y S dir. Théorie de la régulation, l’état des savoirs, 2ième édition, La Découverte, Paris 2002.
[1] Que produire ? (commentaires de Benoît sur ce point de la grille) En tant qu’autogestionnaires, nous nous devons de ne pas répondre à cette question. Nous ne nous considérons plus comme une quelconque avant-garde autoproclamée et de ce fait, la réponse à cette question ne peut appartenir qu’à la population dans laquelle nous vivons. Nous nous affichons fréquemment et trop facilement comme étant des partisans d’une production socialement utile. Posons-nous humblement la question de savoir si nous avons déjà entendu quelqu’un se prononcer pour une production socialement inutile ? En nous affirmant pour une production socialement utile, qu’est-ce qui nous légitime dans sa définition ? Avec une telle formulation avons-nous réellement rompu avec l’avant-gardisme ? Tout ceci nous amène à la question centrale : qui décide ?
[2] Une telle réflexion peut également paraître vaine ou tout au mieux relever du jeu intellectuel, au nom du réalisme : la révolution même longue n’est pas pour tout de suite et le « on verra plus tard » peut paraître plus adapté à la situation actuelle. Je ne partage donc ce point de vue mais il peut faire débat dans le groupe et plus largement.
[3] Car trop global et à définir en situation et non a priori.
[4] Petite remarque sur les indicateurs : bien sûr le PIB et son taux de croissance ne peuvent constituer une base pertinente. La critique de ces indicateurs est d’ailleurs aussi ancienne (quoique moins vive dans les décennies précédentes) qu’eux, qui n’ont jamais été utilisés seuls par aucun économiste ou technocrates sérieux. C’est ainsi qu’il faut réhabiliter le terme de développement qui n’a jamais été confondu avec la croissance par les courants hétérodoxes (Perroux …). D’ailleurs jusqu’au critère de Développement humain (IDH), ce concept de développement ne bénéficiait d’aucun critère. La mise en place de l’IDH, comme celles des autres de la même famille, si elles présentent une avancée, celle-ci reste modeste. En effet, tout critère établi, même de façon composite, à l’échelle nationale trouve vite une double limite : l’enjeu de la mesure porte davantage sur les disparités intra pays et aucun indicateur et batterie d’indicateurs ne peuvent à eux seuls caractériser une situation et fonder une décision politique.