Article à paraitre dans Rouge et Vert n° 383
Les poussées indépendantistes en Ecosse ou en Catalogne ont réactivé les débats autour des revendications des peuples sans Etats.
A dire vrai, ces débats n’ont jamais disparu dans un certains nombre de régions européennes, mais la donne a changé dans plusieurs domaines. En Irlande du Nord puis au Pays Basque Sud, les organisations indépendantistes révolutionnaires ont évolué de la lutte armée aux processus politiques non violents.
Des aspirations autonomistes radicales on indépendantistes perdurent voire s’accentuent dans d’autres régions . Si l’on excepte l’Italie du Nord ou une construction identitaire hasardeuse camoufle mal la xénophobie et le refus des solidarités interrégionales, les revendications régionales ont toutes pour substrat des oppressions politiques et culturelles anciennes ou plus récentes ( (Flandre, Ecosse, Euskadi, Catalogne, Tyrol du Sud…).
Mais aucun des mouvements n’est univoque. Se mêlent aspirations culturelles, politiques, et volonté de conserver une situation économique plus favorisée que celles d’autres régions d’un ensemble étatique commun, de ’ne plus payer pour les autres".
En Ecosse le paysage était encore plus contrasté, puisque s’exprimait dans le camp indépendantiste la volonté de résister à l’ultra libéralisme de la City comme de pouvoir gérer sans partage les ressources énergétiques de la nation écossaise.
La complexité des revendications interroge donc les courants comme le nôtre, favorables à la fois aux droits des peuples et aux solidarités.
EN FRANCE
Le débat sur la réforme territoriale et le nouveau découpage des régions a réactivité des aspirations régionalistes, notamment en Bretagne autour de la question de la réunification des cinq départements et en Alsace contre la fusion avec la Lorraine et Champagne-Ardenne.
Si dans aucune région la perspective indépendantiste n’est majoritaire, des revendications s’expriment en Corse, ou le passage de la lutte armée à la construction d’un processus politique est une avancée, au Pays Basque Nord et dans d’autres régions.
Le modèle français d’unification culturelle et linguistique a très largement réussi. Les quelques concessions apparues dans les années 80 (notamment dans le système éducatif) ont été consenties dans un contexte ou la normalisation linguistique etait déjà irréversible (Occitanie, Bretagne), ou largement engagée (Pays Basque, Alsace, Corse) C’est probablement au Pays Basque que le recul de la langue a été le plus efficacement enrayé par le développement des classes bilingues ou en immersion.
Des courants comme le LCR et le PSU, et leur successeurs ont porté des orientations positives en regard des aspirations culturelles et linguistiques, et parfois autonomistes, exprimées dans plusieurs régions.
Le paysage a évolué depuis de nombreuses années, à la fois en raison du recul de la pratique des langues des régions (qui ne s’est cependant pas accompagné d’un affaiblissement des revendications culturelles) mais aussi de l’émergence, comme ailleurs en Europe, de revendications remettant en cause les solidarités économiques interrégionales.
Le mouvement des Bonnets rouges en Bretagne, par son caractère interclassiste et une partie de ses revendications, a ainsi placé en porte-à-faux la gauche alternative et radicale.
La plupart des régionalistes (notamment au sein de Régions et Peuples Solidaires) et beaucoup de Verts défendent, au nom de l’altérité, une vision a-critique d’une Europe des régions sans s’interroger sur les risques qu’elle comporte.
De larges secteurs de la gauche de gauche, le PG mais aussi une bonne partie des autres forces du Front de Gauche, défendent au nom de l’égalité et de la solidarité une vision étroite de la citoyenneté, ou une forme réductrice d’économisme.
Une autre voie est possible combinant respect de l’altérité et construction des solidarités.
Nous devons défendre l’extension de services publics (nationaux, régionaux ou locaux selon les cas) et les péréquations nécessaires pour contrebalancer la pression libérale à la compétition entre les territoires comme entre les individus.
Et, dans le même temps, appuyer les revendications culturelles et linguistiques qui, bien au delà des locuteurs, s’expriment dans un certain nombre de régions et témoignent d’une "communauté de destin".
Face à un projet gouvernemental de réforme territoriale étroitement technocratique et imprégné d’une vision libérale de l’organisation des territoires, le premier enjeu est la libre détermination des populations concernées.
Jean-Jacques Boislaroussie