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Un profond ébranlement du capitalisme


La référence à la crise est sur toutes les lèvres. Les gouvernements et les experts en tous genres, relayés par les médias, nous indiquent que la crise est grave, appelant des mesures fortes.
Mais quand on examine avec précision ce qu’ils proposent, on voit que :

  • l’analyse de la crise reste complètement superficielle. Elle serait née d’un excès de placements de "titres pourris" au sein des marchés financiers, et, après diffusion dans l’économie dite "réelle", elle prendrait le caractère d’une simple crise cyclique de courte durée. On nous dit que l’année 2009 sera difficile, mais que la reprise sera amorcée dès 2010, sous l’impact, en particulier, des plans de relance. Une crise sévère, mais qui n’est pas profonde : voici ce que l’on cherche à nous faire croire. Bien entendu, en indiquant qu’elle est sévère, on justifie à l’avance tous les effets sociaux de la crise et des plans de relance : aggravation brutale du chômage, appauvrissement des populations, forte montée des impôts, etc. Mais en indiquant qu’elle sera courte, on laisse croire qu’il ne s’agira que d’un moment difficile à passer…
  • le contenu des plans de relance est sidérant : rien qui concerne les fondements et le fonctionnement du système économique actuel. On se contente, pour l’essentiel, d’une relance quantitative : davantage de dépenses publiques, une aide conjoncturelle directe aux entreprises et secteurs les plus touchés, une "touche écologique" pour faire bien, aux Etats-Unis, un coût de pouce (très coûteux) au revenu de 90% des Américains pour relancer temporairement la consommation et une énorme garantie donnée pour que le secteur bancaire et financier ne s’écroule pas. En clair : strictement rien qui modifie le fonctionnement du système économique actuel. Rien qui ne s’attache aux causes de la crise. Alors que des sommes colossales sont mises en jeu.
  • ces plans de relance se paient d’une montée inédite des déficits publics, qui, dans les toutes prochaines années, vont peser très lourd dans la montée obligatoire de la fiscalité et dans la réduction drastique des possibilités d’action des Etats. Avec comme perspective une grande crise financière des Etats (qui, déjà, pour les plus fragiles d’entre eux, peut se traduire par un écroulement brutal de la valeur de la monnaie, retrouvant les pires moments de la crise de l’entre deux guerres).

Donc : aucune analyse sérieuse de la "crise" et des décisions prises qui vont se révéler dramatiques.
Il y a une sorte de folie dans la fuite en avant dans des dépenses publiques considérables, simplement destinées à maintenir à flot un système économique profondément malade, que l’on garde pour l’essentiel intact en vertu de la croyance aveugle dans le caractère cyclique – donc rassurant – de la crise !

1. Les causes de cet ébranlement.

La réalité est très différente de ce qui est dit. Nous sommes engagés dans un véritable ébranlement de tout le système économique et social mondialisé, tel qu’il s’est mis en place et développé depuis les années 1983-84, c’est-à-dire depuis un quart de siècle. Voilà ce que les gouvernements et experts refusent de voir. C’est bien davantage qu’une crise, même si ce mot reste commode pour en parler.

La cause centrale : depuis le début des années 80, deux processus ont été initiés puis largement développés, inscrits en profondeur dans la nouvelle structuration du capitalisme mondial. Deux processus, largement opposés, qui sont, actuellement, entrés en brutale collision.

Le premier, le plus connu et évident, a été une véritable flambée du capital, que le capitalisme n’avait jamais connu auparavant, tant dans son ampleur que dans ses modalités. Cette flambée a concerné toutes les formes de capitaux : celui des grandes firmes en voie de mondialisation, celui du capital bancaire, celui, enfin, du capital financier, qu’il est plus rigoureux d’appeler : capital de placement. Elle a été soutenue, depuis un quart de siècle, pour tous les gouvernements successifs, quels que soit les pays et les couleurs politiques. Très rapidement, le grossissement spectaculaire du capital mondialisé, sous toutes ses formes, a posé problème : il s’est formé un excédent de capitaux les plus liquides possible et en attente de très hauts rendements, tel, qu’au lieu de soutenir la croissance économique, il l’a affaibli.

Le second grand processus est lui aussi largement connu : la compression du revenu salarial, qui débouche actuellement sur un appauvrissement des salariés et sur une montée inquiétante de la pauvreté proprement dite, montée en intensité et nombre de personnes concernées, et ceci dans les pays centraux les plus développés. Progressivement, la " modération salariale" prônée en dans les pays capitalistes les plus développés, s’est orientée, ces deux dernières années, vers un appauvrissement absolu, retrouvant la tendance qui affecte déjà, de longue date, la situation de la majorité de la population du globe.
Tout laisse à penser qu’à partir de ces dernières années, la digue a commencé à se rompre. Les personnes en sont conscientes : quand on fait des enquêtes à ce sujet, on voit nettement grandir l’inquiétude de chacun de basculer dans la pauvreté.

Quand on monte en parallèle le processus de flambée exceptionnelle du capital et du profit et celui d’une tendance de fond à l’appauvrissement, d’abord relatif, puis absolu, on voit se dessiner le choc qui s’est produit, fin 2007 et en 2008 : le capital a étouffé, par sa masse énorme et son avidité, la base qui lui est nécessaire, à la fois pour engendrer un profit durable, ancré dans l’usage de la main d’œuvre salariée, et pour soutenir la demande solvable. Le choc a été et est d’une grande brutalité. Il s’est créé une énorme disproportion entre la masse énorme des capitaux demandant des taux élevés de rentabilité (dont une large partie n’était plus que des capitaux financiers) et les possibilités de plus en plus limitées de travail et de rémunération des salariés, à l’échelle mondiale.
La forte croissance des pays émergents (Chine, Brésil, Russie, Inde) n’a fait que différer le clash. Ces pays sont désormais rattrapés par l’ébranlement que nous connaissons.
Le reste : la forte montée de l’endettement des "ménages" pour tenter de maintenir leur niveau de vie, la crise des subprimes, la chute de la demande, etc., ne sont que la conséquence logique de ce choc.

2. La rencontre avec la crise écologique.

L’ébranlement actuel du capitalisme englobe une autre dimension incontournable : la gravité de la crise écologique et l’urgence qu’il y a à y faire face.
Cette crise se développe selon une double modalité :

  • les systèmes de production capitalistes ont été développés, depuis plus de deux siècles, sur une exploitation intensive de la Nature, considérée comme pure ressource : exploitation des matières premières, de l’énergie, des terres, des forêts, etc. Non seulement ces ressources s’épuisent, deviennent et deviendront de plus en plus chères, attisant la crise économique, mais rien n’a été fait pour qu’elles puissent se renouveler. Plus grave encore : l’exploitation intensive et massive de ces ressources, sur longue durée, a généré la détérioration du climat, des eaux, des terres que l’on connaît actuellement.
  • On a "déifié", pour écouler les marchandises nécessaires à la réalisation des profits, la "consommation". Consommer toujours plus, avec un renouvèlement rapide des produits pour alimenter ce désir ! Or la consommation n’est pas autre chose qu’une destruction rapide de biens produits pour… relancer la machine économique, la machine à produire du profit ! Actuellement, nous assistons, du fait de l’appauvrissement des populations mondiales, à une nette chute de la consommation. Mais que nous disent les gouvernements et dirigeants d’entreprise ? Qu’il faudrait la relancer telle qu’elle, et, comme ils ne veulent pas céder sur le niveau des salaires –c’est devenu un sujet tabou -, c’est à l’Etat, à travers des "grands travaux" et des "primes" à l’achat de biens, de financer cette relance !

Bref : on relance la crise écologique, sans rien modifier à la dimension sociale de la crise économique ! On perd sur les deux tableaux à la fois.

3. Quelques pistes de solution.

Proposer des solutions à l’ébranlement du capitalisme est en lui-même un vaste sujet.
Nous nous contenterons de poser des jalons :

  • la gravité de la situation est telle qu’il faut proposer des politiques applicables immédiatement, au sein du capitalisme actuel, tout en ouvrant sur une perspective post-capitaliste,
  • il faut des propositions aptes à être portées par une forte mobilisation. Les gouvernants actuels ne changeront pas sans être soumis à un rapport de force.

3.1. Le redressement des revenus salariaux.

Faire face à l’appauvrissement et modifier en profondeur et durablement le rapport entre profit et salaires est un impératif incontournable. Rappelons que font partie du salariat, non seulement les salariés actifs, mais les chômeurs, les retraités et la jeunesse qui se prépare à entrer sur le marché du travail. Rappelons que le salaire n’est pas uniquement constitué par le salaire direct, mais aussi par le salaire socialisé, par la redistribution associée à toutes les formes de prestations sociales, en revenu et en nature. Le redressement des revenus salariaux est donc un chantier énorme, multiforme, mais d’autant plus urgent. Il doit faire l’objet d’une seule et même politique pour en garantir la cohérence.

3.2. La promotion de la valeur d’usage et la sortie de la consommation.

Redresser durablement le revenu des salariés ne peut pas signifier une relance de la consommation, sauf à retomber dans les errements du passé. Il convient de considérer désormais les projets de développement de la production, matérielle ou servicielle, non pas sous l’angle de "produits à consommer", mais sous l’angle de biens et services améliorant positivement, sur le plan social et écologique, les conditions du vivre commun et individuel. Bref : non pas produire pour produire, mais produire pour améliorer la qualité de la vie sous tous ses aspects, et cela ne peut pas se faire sans délibération démocratique, associant producteurs (comme travailleurs et citoyens), usagers et Etat.

3.3. L’ouverture sur le dépassement du salariat.

Nous voyons à de nombreux signes que la condition salariale, donc la soumission à un employeur pour avoir un emploi et un revenu, est devenue un cadre dépassé, désuet.
Cela comporte nombre d’aspects, en particulier :

  • reprendre la réflexion et la mise en œuvre d’un revenu universel d’existence, déconnecté de la détention d’un emploi salarié, quitte à préciser les contributions, sous des formes potentiellement très diverses, que tout un chacun peut apporter à la vie en société, dans des conditions écologiquement saines (et ce ne sont pas les activités à développer qui manquent !)
  • développer largement les contrats de travail semblables au modèle des intermittents du spectacle (avant qu’il ne soit attaqué), permettant d’assurer la continuité du versement d’un revenu, tout en alternant les périodes de "travail" au sens classique du terme et celles de ressourcements personnels libres dans la formation, la création, la culture, la connaissance…
  • enfin garantir des formes d’emplois publics, décentralisés, dans lesquels les personnes s’investissent, non pas principalement pour "gagner leur vie", mais pour manifester leur sens de la générosité envers autruis et leur contribution au bien être collectif.

3.4. Vers l’autogouvernement.

Ces orientations ne peuvent être promues que si l’on commence à modifier les structures de la propriété et du pouvoir. Que si l’on commence, à travers des débats démocratiques, orientés vers des prises de décision concrètes et rapides, à promouvoir la faculté de chacun et de tous d’être organisateurs et décideurs de choix décentralisés, tant en matière de production que d’usages des biens et services. Il n’existe pas de contradiction, mais simplement une exigence, à replacer ces choix décentralisés dans une vision mondiale (ce qui, au plan écologique, sur le plan de la solidarité avec les plus pauvres et sur le plan de l’ouverture à l’apport des autres cultures, est une exigence incontournable).



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