Les Alternatifs
Accueil du site > Actualités > "Urgence climatique, justice sociale" : le positionnement des (...)

"Urgence climatique, justice sociale" : le positionnement des Alternatifs

Le 18 novembre, le collectif "Urgence climatique, justice sociale" invitait les organisations dites de gauche à se prononcer sur la politique climatique européenne et mondiale, dans la perspective de la conférence de Copenhague. Avec l’appui de contributions des camarades de la commission économie, nous avons préparé les réponses suivantes aux questions proposées.


Les Alternatifs apprécient de participer à la réflexion utile et stimulante qui est proposée par le collectif UCJS. En préambule, nous souhaitons faire valoir notre dû aux analyses diverses du problème, déjà existantes, et notamment celle d’Attac, analyses s’appuyant elles-mêmes sur les résultats et les préconisations du GIEC.

A ce titre, nous voudrions mettre en avant ce qui nous apparaît comme une insuffisante appropriation populaire des questions scientifiques et politiques autour du changement climatique. Cette appropriation nous semblerait un préalable à des réponses véritablement éclairées aux questions posées ici : nous sommes pour le moment tributaires des conclusions des scientifiques (dont le fameux « -40% » des pays développés est une illustration), sans maîtriser très bien le processus de réflexion qui permet d’aboutir à ces conclusions.

Selon nous, il faudrait « ouvrir les boîtes noires » des débats, afin de pouvoir mener une discussion sur des bases solides, dont les pourcentages idéaux de réduction, ou autres indicateurs synthétiques, seraient le point d’aboutissement. Nous croyons donc que la pression indispensable sur les négociations doit s’accompagner d’un processus visant à l’appropriation populaire des enjeux. Tel nous semble être l’une des missions des collectifs constitués autour de l’enjeu « changement climatique/justice sociale ».

Q1 : - Quel serait pour vous un "bon accord" à Copenhague ? et quel engagement de réduction des GES induirait-il pour la France et l’UE ?

Un bon accord à Copenhague porterait sur un engagement ferme des pays «  développés » à réduire de façon significative les émissions de gaz à effet de serre : 40% par rapport à 1990, sans possibilité de report des émissions dans les pays du Sud ou d’Europe de l’Est par des mécanismes de flexibilité.

Il supposerait également une forte implication financière des pays développés pour l’adaptation des pays du Sud au changement climatique. Il permettrait également la coopération technologique entre Nord et Sud, et pas seulement le « transfert technologique », qui suppose que les technologies des pays du Nord sont universellement valables, et portent un modèle idéal pour toute la planète. Un tel cadre permettrait aux pays du Sud d’évoluer vers un modèle peu carboné qui serait décidé par eux et pour eux.

Cet engagement devrait prendre la forme d’un échéancier et d’un contrôle annuel (il ne se ferait pas seulement en référence à une échéance lointaine, de type 2020). Ce processus donnerait lieu à de lourdes pénalités pour les pays qui ne le respecteraient pas, permettant l’adaptation et le dédommagement pour les victimes du réchauffement, et la mise en œuvre de mesures énergétiques alternatives sous l’autorité d’un organisme international de régulation.

Nous ne nous croyons pas en mesure de « ventiler » l’engagement global de 40% entre les différents groupes de pays développés, et les différents pays, puisque nous constatons les incertitudes scientifiques qui existent sur l’impact respectif des différents types d’activités humaines (à titre d’exemple : élevage=18% des émissions mondiales de GES selon la FAO, novembre 2006 / 51% selon le Worldwatch Institute, novembre 2009), et en conclusion, sur les impacts et possibilités des différents pays. Nous préconisons une ouverture plus large des négociations pour traiter de ces questions.

Dans une perspective plus pragmatique, dans l’état actuel des choses, nous prenons acte de la mauvaise tournure que prennent les négociations pré-Copenhague, et nous considérons qu’il vaut sans doute mieux que les décisions importantes soient repoussées à plus tard, sous la pression populaire, plutôt que d’aboutir à un accord inefficace et injuste. Copenhague pourrait donc fixer les lignes d’un processus ultérieur de décision.

Q2 : - quelle est la mesure prioritaire à mettre en œuvre pour engager le respect de cet accord nationalement et à l’échelle de l’Europe ?

Il paraît difficile de dégager une unique mesure qui permettrait le respect de cet accord. C’est justement un changement systémique de société, au niveau de l’Europe et des Etats, qui nous semble nécessaire et urgent. Nous ne croyons pas que ce changement ne puisse reposer que sur des mesures fiscales incitatives, comme la bourse du carbone ou les taxes nationales, mais que le changement climatique doit ouvrir à de vastes chantiers de réflexion et de décision, à tous les niveaux géographiques (Etats ; régions ; départements ; villes), pour permettre les réductions de gaz à effet de serre drastiques qui permettraient d’éviter le basculement dans un système climatique chaotique (au-delà de +2°C).

D’une manière générale, nous préconisons :

  • Dans le domaine agricole, mutation vers une agriculture paysanne extensive et autosuffisante en termes d’intrants, qui irait de pair avec une réappropriation des territoires. Cette mutation irait de pair avec une diminution quantitative de l’élevage, et une transformation des modèles alimentaires (qui pourrait reposer sur des politiques concrètes en matière de restauration collective : bio  ; local ; journées sans viande).
  • Dans le domaine énergétique, application du scénario Négawatt avec développement des énergies renouvelables, économies d’énergie et amélioration de l’efficacité énergétique. Sortie du nucléaire. Développement du logement social à faible consommation énergétique.
  • Dans le domaine des transports, relocalisation des activités agricoles et industrielles. Avancée de la gratuité des transports publics. Forte taxation des transports aériens internationaux, pour le moment non soumis au système des permis d’émission.

Q3 - quelle mesure européenne pourrait être considérée comme prioritaire pour l’impact international qu’elle pourrait avoir vis à vis des pays du Sud ?

Là encore, il nous semble qu’il est difficile de dégager une mesure unique. Il s’agit de revoir notre modèle de « développement » dans les pays riches, qui a actuellement des conséquences dramatiques dans les pays du Sud. A titre d’exemple dans le domaine agricole, appropriation des terres et déforestation en Amérique Latine, pour la production de nourriture animale, et d’agrocarburants pour les voitures.

Une transformation radicale de la PAC, vers le soutien une agriculture paysanne extensive et une diminution concomitante de l’élevage industriel, irait dans ce sens : moins d’importations de soja OGM (donc moins de transport) ; moins de déforestation au Sud ; moins d’élevage globalement au Nord (donc moins d’émissions de méthane et de protoxyde d’azote) ; possible réappropriation des terres par les pays du Sud, qui permettrait la souveraineté alimentaire.

Nous sommes bien conscients de nous situer ici dans un discours utopique, en rupture totale avec le modèle dominant néolibéral. Mais si nous devons nous fixer un horizon, alors c’est ainsi que nous nous situons.

Q4 - Comment envisagez-vous la contribution et les mécanismes de réduction et d’adaptation dans les Pays du Sud auxquels se soumettront l’Europe et de la France pour la réalisation des objectifs de l’accord ?

Nous croyons qu’il est nécessaire pour les pays du Nord de reconnaître leur responsabilité dans la situation actuelle et dans les évolutions nécessaires ; et par ailleurs, la très grande vulnérabilité de la majorité des pays du Sud, à une crise qu’ils n’ont pas provoquée. A ce titre, nous croyons que les pays du Nord doivent s’engager financièrement, de manière sérieuse, pour aider à l’adaptation dans les pays du Sud au changement climatique.

En ce qui concerne les pays émergents, nous croyons qu’ils doivent au même titre que les pays « développés » aujourd’hui, évoluer vers un modèle faiblement carboné, qui est incompatible avec la croissance économique qu’ils connaissent actuellement.

Mais de manière générale, nous ne croyons pas que ce soit aux pays du Nord, auxquels nous appartenons, de prendre ces décisions qui impliquent les pays du Sud. Nous pouvons nous positionner en faveur d’un soutien financier, mais pour le reste, il s’agit aux pays du Sud de décider de leur modèle de « développement », en lien avec les enjeux climatiques. Ici encore, nous sommes conscients de prononcer de belles paroles en rupture avec le système actuel et qui participent d’une utopie, sans offrir les leviers nécessaires pour permettre à cette utopie d’advenir !

Q5 : - Jugez vous nécessaire de mettre en place une fiscalité du carbone au niveau des états et de l’Europe ? Si oui sous quelle forme la jugeriez vous la plus efficace pour le climat et le soutien aux pays du Sud.

Sur le principe, nous sommes favorables à une fiscalité du carbone, à condition qu’elle soit décidée démocratiquement, et pensée pour être écologiquement efficace et socialement juste. Une telle fiscalité devrait prendre en compte les diverses sources d’émission de GES : industrie mais aussi agriculture ; transports et notamment transports aériens ; déforestation. Dans notre mouvement, la question de la taxation écologique fait débat et nous n’avons pas encore dégagé d’éléments de fort consensus sur le sujet.

D’ores et déjà, quelques pistes :

* sur son prélèvement

  • une fiscalité assise sur les revenus, plutôt que sur la consommation.
  • une taxation progressive, qui prendrait en considération les émissions contraintes liées au cadre de vie (exemple : transport automobile en zone rurale) et porterait sur le « mésusage » (consommation « nécessaire » non taxée, consommation superflue taxée)

* sur sa réaffectation

  • le financement de fonds contre la déforestation, ou de fonds d’adaptation et d’aide à la mitigation pour les pays du Sud (en cela, la taxe constituerait un soutien, comme l’énonce la question)
  • le renforcement des services publics existants dans les pays «  développés » (transport ; énergie ; habitat) et le développement de nouveaux services publics, à inventer dans le cadre d’une reconversion écologique des modes de vie (AMAP ; formation aux techniques d’agro-écologie…). Ces services publics pourraient être conçus sur une base décentralisée et participative.

Q6 : Etes vous favorables à la financiarisation du carbone telle qu’elle a été initiée dans le cadre du processus de Kyoto et si non, quelles mesures proposez vous si vous jugez opportun de donner un coût au carbone ?

Dans notre mouvement, il n’y a pas consensus sur la pertinence d’un tel dispositif. De manière globale, nous ne sommes pas favorables à la financiarisation du carbone telle qu’elle a été initiée dans le cadre de Kyoto, puisqu’elle permet une spéculation sur les biens essentiels de l’humanité comme l’atmosphère ou la forêt, et qu’elle a jusqu’ici montré une grande inefficacité pour réduire les émissions de GES.

Nous sommes par ailleurs tou-te-s critiques des mécanismes de flexibilité comme les MOC ou les MDP, qui permettent la poursuite de l’évolution délétère des pays du Nord sans aucune remise en question, sur une base néocoloniale qui digère les enjeux écologiques à son service.

En conséquence, nous soutenons comme alternative l’élaboration d’un système juridique contraignant, fixant des normes d’émission à ne pas dépasser, supposant des pénalités lourdes en cas de dépassement. Un tel système supposerait la mise en place d’une nouvelle agence internationale chargée de le gérer. Nous approuvons la proposition d’Attac de la mise en place d’une « Organisation Mondiale de l’Environnement » à la mesure de l’enjeu climatique, qui permettrait d’administrer un tel processus.

Pour celles et ceux d’entre nous qui ne sont pas opposé-e-s à la financiarisation par principe, cette « financiarisation » devrait être conçue comme un simple outil dans le cadre d’une politique écologique globale, qui supposerait politique publique, délibération citoyenne et transformation du modèle occidental productiviste, et pas comme le socle ultime de la transformation du monde.


N.B. : L’intégralité des contributions des partis est publiée sur le site de Mediapart, www.mediapart.fr, avec la possibilité pour les internautes de débattre sur le sujet.

Portfolio



SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0 Hébergement infomaniak