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LA DECROISSANCE EST-ELLE SOLUBLE DANS LA REVOLUTION?
Le terme de « décroissance » connaît un succès grandissant. Il est devenu un point de clivage au sein des altermondialistes. Ce succès est déjà le symptôme que beaucoup de militants ou de membres des couches sociales victimes du « grand bond en arrière » attentent désespérément quelque chose de neuf. Le terme même de décroissance est certes relativement nouveau mais il recycle, en fait, les débats des années soixante-dix. La décroissance est la version moderne de l’An 01 de Gébé. Le terme de décroissance doit en partie son succès à son caractère frontal voire, pour certains, volontairement provocateur. Chacun ensuite en fait une lecture différente et intéressée. On peut tenter de faire un tri parmi les valeurs qu’il charrie. Le grand intérêt du terme de décroissance est d’abord de nous dire que « le monde comme il va » est totalement impossible. Nous n’allons pas seulement dans le mur nous y sommes même si on ne s’en rend pas compte car ce mur est mou. Il y a donc urgence à inventer un autre monde radicalement autre. La décroissance nourrit donc l’imaginaire révolutionnaire. La charge contre la société est forte : aucune croissance infinie n’est possible dans un monde fini ; aucune société ne peut fonctionner durablement en étant fondée sur la seule logique de la consommation car on commence par (sur)consommer des objets, puis on consomme d’autres humains (violences) avant de finir par se consommer soi-même (suicides, drogues).
La décroissance dont nous ne voulons pas
Cette critique de la société de consommation est nécessaire. Elle ne suffit cependant pas à construire un projet politique. Déjà parce que beaucoup d’objecteurs de croissance refusent tout projet politique et aspirent seulement à changer leur vie. Ce thème de la « simplicité volontaire » est intéressant dans la mesure ou il insiste sur la nécessité de vivre en conformité avec ses valeurs et de multiplier les micro-alternatives, bref de ne pas être seulement un « révolutionnaire en paroles ». Ce choix est cependant porteur de contradictions lorsqu’il conduit à prôner le « penser local, agir local » (sic) et non la solidarité. Les décroissants ont raison d’insister sur le fait que notre mode de vie (qui est celui nécessaire au supercapitalisme) n’est pas généralisable puisqu’il faudrait sept planètes pour que tous les humains puissent vivre comme des américains. Ce constat est juste mais il ne suffit pas à faire une politique. S’agit-il de prôner la pauvreté pour les masses pendant que les puissants continueront librement à se goinfrer et à dominer ? La décroissance servirait dans ce cas la même soupe que le Medef en demandant aux salariés de se serrer la ceinture. Certains soutiennent la réforme des retraites et voient d’un bon œil la remise en cause des 35 heures… car avoir plus d’argent et de loisirs permettrait de consommer encore davantage.
La décroissance dont nous voulons
Le discours de la décroissance est profitable, en revanche, si fort du constat que 20 % des humains consomment 80 % des ressources, on en conclut que 80 % font une majorité qui peut imposer d’autre choix politiques et de nouveaux modes de vie. Les nouveaux Maîtres de ce monde sont en effet convaincus qu’il est désormais possible (faute de menace révolutionnaire) d’abandonner les objectifs de progrès social pour tous. N’oublions jamais que l’idéologie du développement (puis de la croissance) fut inventée, aux Etats-Unis, dans le cadre de la « guerre froide » pour offrir une alternative aux révolutions. Le « socialisme réellement existant » ayant fait faillite, il n’est donc plus nécessaire d’entretenir cette illusion coûteuse. Les nouveaux Maîtres de ce monde savent également que ce rêve de croissance sans fin, donné en pâture, était une illusion. Ils croient pouvoir gagner encore quelques décennies d’enfer climatisé en s’appropriant, seuls, les fruits de la croissance. Le démantèlement des services publics et la fin de la redistribution sociale sont le prix pour que ce système perdure. Le système capitaliste est donc bien dans une nouvelle phase : il est moins que jamais régulable puisqu’il privilégie la production du fric à la reproduction de l’espèce humaine.
Paul Ariès |