TRIBUNES LIBRES
     
 
Remonter ]
TRIBUNE ECOLOGIE 15 octobre 2004

LA DECROISSANCE EST-ELLE SOLUBLE DANS LA REVOLUTION?



Paul Ariès, vient de publier « petit manuel anti-pub : démarque-toi », Editions Golias (15 euros, 192 pages). Il lance, en novembre, un nouveau journal « grand public » « L’Immondialisation » (vente en kiosque, deux euros)

Le terme de « décroissance » connaît un succès grandissant. Il est devenu un point de clivage au sein des altermondialistes. Ce succès est déjà le symptôme que beaucoup de militants ou de membres des couches sociales victimes du « grand bond en arrière » attentent désespérément quelque chose de neuf. Le terme même de décroissance est certes relativement nouveau mais il recycle, en fait, les débats des années soixante-dix. La décroissance est la version moderne de l’An 01 de Gébé. Le terme de décroissance doit en partie son succès à son caractère frontal voire, pour certains, volontairement provocateur. Chacun ensuite en fait une lecture différente et intéressée. On peut tenter de faire un tri parmi les valeurs qu’il charrie. Le grand intérêt du terme de décroissance est d’abord de nous dire que « le monde comme il va » est totalement impossible. Nous n’allons pas seulement dans le mur nous y sommes même si on ne s’en rend pas compte car ce mur est mou. Il y a donc urgence à inventer un autre monde radicalement autre. La décroissance nourrit donc l’imaginaire révolutionnaire. La charge contre la société est forte : aucune croissance infinie n’est possible dans un monde fini ; aucune société ne peut fonctionner durablement en étant fondée sur la seule logique de la consommation car on commence par (sur)consommer des objets, puis on consomme d’autres humains (violences) avant de finir par se consommer soi-même (suicides, drogues).

Les mots d’ordre de la décroissance sont donc porteurs d’espoirs et peuvent servir à nourrir un autre imaginaire : nous voulons « moins de biens mais plus de liens ».

  La décroissance dont nous ne voulons pas

Cette critique de la société de consommation est nécessaire. Elle ne suffit cependant pas à construire un projet politique. Déjà parce que beaucoup d’objecteurs de croissance refusent tout projet politique et aspirent seulement à changer leur vie. Ce thème de la « simplicité volontaire » est intéressant dans la mesure ou il insiste sur la nécessité de vivre en conformité avec ses valeurs et de multiplier les micro-alternatives, bref de ne pas être seulement un « révolutionnaire en paroles ». Ce choix est cependant porteur de contradictions lorsqu’il conduit à prôner le « penser local, agir local » (sic) et non la solidarité. Les décroissants ont raison d’insister sur le fait que notre mode de vie (qui est celui nécessaire au supercapitalisme) n’est pas généralisable puisqu’il faudrait sept planètes pour que tous les humains puissent vivre comme des américains. Ce constat est juste mais il ne suffit pas à faire une politique. S’agit-il de prôner la pauvreté pour les masses pendant que les puissants continueront librement à se goinfrer et à dominer ? La décroissance servirait dans ce cas la même soupe que le Medef en demandant aux salariés de se serrer la ceinture. Certains soutiennent la réforme des retraites et voient d’un bon œil la remise en cause des 35 heures… car avoir plus d’argent et de loisirs permettrait de consommer encore davantage.

Ces limites actuelles de la décroissance ont plusieurs causes. Beaucoup refusent toute analyse en terme de classes sociales : les « humains » seraient tous globalement responsables. On ne pourrait donc qu’espérer dans la pédagogie des catastrophes, faute de croire que les exploités ont intérêt à la décroissance. La société aurait commencé, pour certains, à décliner avec le Judéo-christianisme ou, pour d’autres, avec la révolution des Lumières, bref tout cela serait aussi la faute de 89 et de 17. L’objectif serait de revenir en arrière et non pas de bifurquer. L’idéal n’est-il pas, pour certains, une société de type féodal ? On vivait sous l’autorité d’un Maître en préservant la nature. La mondialisation ne serait pas le résultat d’un choix politique mais l’effet naturel (et presque inéluctable) de la technique. L’économi(qu)e (quelle qu’elle soit) serait le grand ennemi. Nous ne serions pas d’abord orphelins de projet politique mais d’une défaillance du religieux : il faudrait donc travailler à (re)spiritualisation le monde pour aller vers la décroissance. Le mouvement de la décroissance deviendrait, alors, le creuset des partisans du « New-age » et de la « croissance personnelle ». Il participerait à la dépolitisation rampante.

Le pire serait de « faire du vieux avec du neuf » lorsque ce qui « résiste » au Système-Monde Occidental est aussi le produit de cette même globalisation-occidentalisation. N’est-ce pas ce qui menace ceux qui, faute de pouvoir se projeter dans un futur capable de mettre en branle les jeunes générations, se replient dans un passé-composé en oubliant ses infamies et ses crimes et se recroquevillent dans la nostalgie ? Notre futur n’est pas derrière nous ni écrit en aucun lieu.

  La décroissance dont nous voulons

Le discours de la décroissance est profitable, en revanche, si fort du constat que 20 % des humains consomment 80 % des ressources, on en conclut que 80 % font une majorité qui peut imposer d’autre choix politiques et de nouveaux modes de vie. Les nouveaux Maîtres de ce monde sont en effet convaincus qu’il est désormais possible (faute de menace révolutionnaire) d’abandonner les objectifs de progrès social pour tous. N’oublions jamais que l’idéologie du développement (puis de la croissance) fut inventée, aux Etats-Unis, dans le cadre de la « guerre froide » pour offrir une alternative aux révolutions. Le « socialisme réellement existant » ayant fait faillite, il n’est donc plus nécessaire d’entretenir cette illusion coûteuse. Les nouveaux Maîtres de ce monde savent également que ce rêve de croissance sans fin, donné en pâture, était une illusion. Ils croient pouvoir gagner encore quelques décennies d’enfer climatisé en s’appropriant, seuls, les fruits de la croissance. Le démantèlement des services publics et la fin de la redistribution sociale sont le prix pour que ce système perdure. Le système capitaliste est donc bien dans une nouvelle phase : il est moins que jamais régulable puisqu’il privilégie la production du fric à la reproduction de l’espèce humaine.

La décroissance n’est pas faire la même chose en moins. Il s’agit d’inventer ensemble, pas à pas, un autre type de société. Il y certes urgence car nous nous cognons déjà dans le mur ; mais la décroissance n’ira pas sans plus de démocratie participative. Les seules lois qui valent sont les lois votées démocratiquement, pas celles de l’économie ou de la nature.

La décroissance est aussi une façon de tirer la leçon que les expériences des ex-pays « socialistes » ont fait tout autant, sinon plus, la preuve de leur incapacité à préserver la nature. Il ne s’agit cependant pas de devenir les soutiers de la pire réaction et de laisser dire que « c’était mieux avant » ou qu’il faudrait « toujours moins » pour « les gens de peu ». La décroissance c’est, au contraire, le choix des pauvres, celui des exploités sur les exploiteurs et des dominés sur les dominants. Ne laissons pas renvoyer, dos à dos, la « défense des avantages acquis » des milieux populaires et les privilèges des puissants. Admettons cependant que le peuple n’a rien à gagner à croire encore dans l’idéologie de la croissance. L’alternative n’est plus entre croissance et décroissance mais entre récession pour le grand nombre ou décroissance pour tous. Nous ne voulons pas de cette société des 20/80, où 20 % de la population mondiale consommera 80 % des ressources. J’ai l’espoir que la décroissance apporte aussi sa petite pierre aux retrouvailles des frères ennemis du socialisme, qu’elle dépasse l’opposition funeste entre Marx et Proudhon, qu’elle permette, aussi, de lier intimement la résolution de la question sociale et de la question environnementale ou écologique. L’humanité pas plus que la terre ne peuvent attendre.

Paul Ariès

haut