TRIBUNE POLITIQUE INTERNATIONALE
Contribution sur les questions internationales en
introduction
au débat de la conférence nationale des Alternatifs |
14 janvier 2002 |
UNE NOUVELLE ÉPOQUE DE CONFLIT
Au lendemain des attentats monstrueux de New York et Washington, en
septembre dernier, s’est ouverte une nouvelle période. Des
orientations, des attitudes, tant des gouvernements que des peuples, se
sont amplifiées et mises en cohérence.
Sous couvert d’une croisade engagée contre Al Qaida, le président
des Etats-Unis d’Amérique prétend ouvertement à la domination planétaire.
Il fait des intérêts du peuple américain tels qu’il les définit
lui-même la règle qui s’imposerait dans les relations
internationales. Il ignore ou dénonce les conventions et les lois
internationales. Il manipule les instances internationales, ONU, FMI,
OMC, au gré de sa politique. Il impose son armée comme police planétaire;
ses tribunaux militaires pourraient juger dans le secret, sans avocat et
donc sans loi, ceux qui lui déplaisent, catalogués comme terroristes.
Beaucoup de ses alliés s’interrogent de façon plus ou moins discrète,
ils ne semblent pas convaincus que la stabilité du système mondial
puisse être assurée ainsi. La démission constante devant les
exigences militaires, économiques, idéologiques, politiques des USA
finit par rendre difficile l’exercice du gouvernement dans chacun des
pays. Les ouvertures des USA en direction de la Chine et de la Russie
sans guère de préalables démocratiques les troublent car elles
esquissent une nouvelle configuration des rapports internationaux
minorant leur propre influence. Cependant face au poids militaire et économique
des USA, sans politique internationale de rechange, les gouvernements
occidentaux finissent par acquiescer ou se taire. Le directoire constitué
par le G7 qui prétendait diriger l’empire en condominium n’a même
plus de raison d’être, le monde a un empereur, Bush le second. Or, à
s’en tenir aux forces politiques et sociales des USA, cette situation
peut durer. A l’échelle planétaire, les choses sont beaucoup plus
contradictoires.
Al Qaida a été vaincue. Cela est positif même si les modalités de
cette défaite sont très contestables. Mais les causes subsistent. Les
Etats pétroliers, nombreux au Proche et au Moyen Orient, restent sous
une étroite tutelle. Les autocrates qui les dirigent doivent se
contenter de jouir de la manne financière et de maintenir l’ordre
dans leur territoire. Toutes les tentatives d’émancipation sont
combattues par les répressions et les crimes orchestrés par les
grandes puissances. L’expression la plus spectaculaire de cette négation
de la liberté des peuples arabes est le soutien sans faille que les
gouvernements américains successifs ont donné à l’entreprise
sioniste.
Toute autre perspective étant systématiquement détruite,
l’affirmation identitaire et l’hostilité profonde à l’égard de
la tutelle occidentale ne peuvent s’exprimer qu’au travers des idéologies
et des structures religieuses, voire fondamentalistes. En ignorant les
causes et en réprimant les effets, la rancœur s’accumule et génère
la révolte. Ben Laden dans son linceul ou dans sa cache peut demain
triompher. Les protestations hypocrites peuvent se poursuivre, les
conditions d’une «guerre des civilisations» sont réunies.
Les Marches de l’Empire et donc les méfaits ne se limitent pas au
Moyen-Orient. La catastrophe économique et sociale qui frappe l’Argentine
en est une nouvelle et dramatique illustration. Voilà un gouvernement
qui a cru devoir accepter les règles du libéralisme prêché par les
USA et les institutions internationales qu’ils manipulent. Il est allé
jusqu’à lier étroitement sa monnaie au dollar. Les spéculateurs en
ont fait leur profit. N’est-ce pas précisément une des règles
essentielles du jeu capitaliste! Pour autant, prétextant que la crise
ne risque pas de faire tache d’huile, le FMI avec l’appui du
gouvernement américain se refuse à des aides nouvelles. Les conditions
sociales et économiques des divers Etats indo et latino-américains
peuvent ne pas conduire à une immédiate révolte générale mais en
tout cas à des tensions croissantes avec le pays dominant. Nombre de
gouvernements du sous-continent devront d’ores et déjà tenir compte
de cette politique d’étranglement économique. Seules les dictatures
pourraient ignorer les pressions populaires en faveur d’orientations
rompant avec le libéralisme et ses dramatiques conséquences. Certains
militaires semblent d’ailleurs se préparer à un nouveau rôle
politique.
En Europe aussi la nouvelle donne internationale et ses logiques
contradictoires vont avoir de profondes conséquences sur le panorama
politique.
La nouvelle configuration internationale augurée par le rapprochement
des USA avec la Chine et la Russie doit faire craindre aux gouvernements
et aux Etats européens des exigences croissantes du gouvernement américain
et une minoration de leur propre influence dans le monde. Or les remises
en cause des conventions et des obligations internationales par le
gouvernement Bush se multiplient. Qu’il s’agisse d’institutions ou
de droits, des armes nucléaires ou biologiques, de l’énergie, du
climat, de la bio-sécurité, de la santé, de la culture, le
gouvernement américain prétend s’en tenir aux intérêts américains
réduits en fait à ceux du capital et au court terme. L’unilatéralisme
devient la règle. Quelques gouvernements européens peuvent sans doute
se satisfaire ou s’accomoder de certaines de ces exigences, mais ni
totalement, ni durablement. Les contestation s et les luttes populaires
assez rapidement mettraient en question les stabilités politiques et
institutionnelles des pays considérés.
Une Union européenne, démocratique, structurée, pourrait dégager des
orientations et des moyens contrebalançant la domination américaine.
Cette communauté reste à construire; elle suppose même sans doute une
réorientation rompant avec le libéralisme économique et la
technocratie politique. Ainsi l’Europe réellement existante ne peut
ni vraiment suivre la «Maison Blanche» ni rompre avec elle. La
persistance d’un tel dilemme, les atermoiements et les demi-mesures
qu’il risque d’entraïner vont créer des incompréhensions, des
incertitudes profondes des peuples européens. Les gouvernements et les
Etats seront tentés pour faire face d’encadrer plus strictement la
représentation et l’expression politiques. L’ordre public
deviendrait leur première justification idéologique avant la «démocratie»
jusqu’alors constamment invoquée. Les intérêts du capital
transnational comme les peurs de certaines couches moyennes et
populaires peuvent se retrouver dans une telle politique. La
globalisation, les mutations du capital et du travail opérées sans ménagement
ni transitions marginalisent, ou tout au moins menacent, nombre de
travailleurs, de patrons petits et moyens. Cette nébuleuse, cette
poussière sociale ne peut trouver un semblant d’unité que dans le
repli xénophobe et sécuritaire, dans la quête de l’homme
providentiel.
La «morale» de Bush qui veut ignorer l’humiliation, la domination,
l’exploitation que subit la majorité des peuples de la planète, pour
s’en tenir à réprimer leurs effets, va faire des émules, va rendre
avouables le cynisme et la stupidité. En Autriche, en Italie, au
Danemark, cette logique est déjà en place. La droite a convié
l’extrême droite au gouvernement. Elle croit ainsi pouvoir la
maitriser, elle est déjà entraînée.
Cette régression n’a pourtant rien d’inexorable. La droite ne doit
ses succès qu’aux carences de la gauche, des gauches anciennes ou
nouvelles, modérées ou radicales. La majorité de la société européenne
est pourtant impliquée dans les contestations syndicales, féministes,
écologistes, humanitaires, démocratiques. Mais dès qu’il s’agit
de choix politiques, une part croissante de l’électorat populaire se
réfugie dans l’abstention. La gauche plus ou moins satellisée par le
parti social-démocrate s’est installée dans l’électoralisme et le
parlementarisme. Elle court sans cesse vers d’improbables compromis
que le capital refuse. Car, comme toujours, les avancées sociales,
politiques, écologiques sont à la mesure des mobilisations, le cas échéant
relayées dans les institutions. Mais la mondialisation autorise la délocalisation
du capital, de la production, voire des marchés. L’espace des luttes
aujourd’hui, c’est le continent parfois la planète. De surcroit la
démocratie de délégation est insuffisante; elle ne peut répondre ni
à la complexité, ni à l’autonomie que réclame l’individu social.
Nous le savons et d’autres plus nombreux qu’hier le savent: il faut
reconstruire. Il faut dans le même mouvement produire, dans la
confrontation des expériences et des propositions, un projet de société,
une stratégie construisant un nouveau bloc social, et pour cela des
structures, des espaces où se croisent et se multiplient les
initiatives et les rencontres, et encore un parti-mouvement, articulé
aux mouvements sociaux, sans tentative de domination ni de manipulation.
Qu’adviendra-t-il des partis sociaux-démocrates, vont-ils s’épuiser
dans le social-libéralisme, c’est-à-dire perdre leur base populaire?
Que peuventdevenir les partis communistes ou ce qu’il en reste?
Seront-ils capables dans leur majorité ou par pans significatifs de se
joindre à la reconstruction nécessaire? Que vont faire les partis écologistes,
vont-ils se perdre corps et âme dans le parlementarisme? Y a-t-il une
sortie possible du ghetto soigneusement maintenu par les trotskystes? On
peut par contre d’ores-et-déjà augurer qu’ici et là-bas, à la
montée fort probable de cette droite autoritaire, vont répondre de
nouvelles mobilisations, de nouvelles luttes. Cette reconstruction, que
nous n’avons pas pu ou pas su faire à froid, c’est à chaud peut-être
qu’il va falloir la mener à bien.
Michel FIANT