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TRIBUNE EUROPE 5 juin 2004

L’EUROPE SANS LA SOLIDARITE, CE N'EST PAS L'EUROPE
Intervention devant les manifestants rassemblés à Bruxelles

  Pour la deuxième année consécutive, un autre front commun se concrétise, celui qui rassemble organisations syndicales, avec la formidable légitimité que leur confère une représentativité considérable et mouvement associatif, avec le volontarisme qui le caractérise. Et même, aujourd’hui, avec, à nos côtés, des représentants d’organisations mutualistes. Face au pouvoir de l’argent, un contre pouvoir se construit. Il est en marche.

Nous sommes rassemblés pour exprimer une exigence et formuler un rejet.

Notre exigence, c’est celle d’une Europe fidèle à ses valeurs. Des valeurs qui s’appellent, bien entendu, liberté, mais aussi, et tout autant, solidarité.

Notre exigence, c’est celle d’une Europe qui ne s’intègre pas seulement sur les plans commerciaux, économiques et financiers, mais aussi, et avec la même intensité, une Europe qui existe dans le social, l’environnemental et le fiscal.

L’Europe sociale. On nous la promet à chaque scrutin. On nous la promet à chaque traité. En 1992, il y a douze ans déjà, Jacques Delors affirmait : « adoptez le traité de Maastricht et nous ferons l’Europe sociale tout de suite après ». On attend. Encore et toujours.

Mais entre-temps, ils ont fait l’Europe de la finance avec une Banque Centrale sur laquelle le pouvoir politique, c’est-à-dire le pouvoir qui tire sa légitimité de la souveraineté populaire, a perdu tout contrôle.

Nous voulons l’Europe sociale parce que l’Europe sans la solidarité, ce n’est pas l’Europe, c’est une société fondée sur l’inégalité, c’est la copie du modèle de société américain. C’est une société du chacun pour soi où l’éducation, l’accès aux soins de santé, la culture, les sports et un certain nombre de services auxquels tous ont droit ne sont accessibles qu’à ceux qui peuvent les payer.

Mais, et nous en sommes parfaitement conscients, nous n’aurons l’Europe sociale que si nous nous battons pour l’arracher à ceux qui la refusent comme à ceux qui la promettent sans jamais la réaliser. L’Histoire nous l’apprend : les avancées sociales ne sont jamais des cadeaux ; ce sont toujours des conquêtes.

Nous voulons l’Europe sociale, et c’est parce que nous la voulons que nous rejetons le projet de Constitution européenne qui renforce, légalise et pérennise l’Europe des marchés et des marchands. Et c’est parce que nous voulons l’Europe sociale que nous rejetons ce projet de directive présenté par le Commissaire libéral Bolkestein et adopté par tous ses collègues, y compris les neuf sociaux démocrates et l’unique écologiste.

Cette proposition, qui entend libéraliser les services dans l’espace européen, est exemplaire de l’Europe que nous ne voulons pas, de l’Europe qui est uniquement au service de l’argent et des intérêts privés, de l’Europe qui réduit peu à peu le champ démocratique, de l’Europe qui organise la casse sociale, de l’Europe qui nous soumet chaque jour un peu plus à la mondialisation néolibérale.

Cette proposition, qui émane de l’institution la moins démocratique d’Europe, est une véritable agression contre la démocratie parce qu’elle entend, je cite, « mettre fin au pouvoir des autorités locales », c'est-à-dire mettre fin au pouvoir communal, au pouvoir de l’institution la plus proche des gens. Elle agresse aussi la démocratie parce qu’elle constitue une machine de guerre contre les services publics et parce qu’elle viole le droit européen existant.

Ce projet de directive n’est pas amendable, parce que toute la philosophie qui sous-tend chacun de ses articles est celle de l’Etat minimum cher aux néolibéraux. Nous sommes ici pour exprimer une même volonté : que ce projet soit retiré.

Je terminerai en m’adressant aux représentants des partis politiques qui ont tenu à être présents, cet après-midi, à nos côtés.

Votre présence, mesdames et messieurs qui avez vocation à nous représenter, souligne quelques contradictions :

- certains d’entre vous appartiennent à des partis politiques dont les représentants au Parlement européen adoptaient, le 13 février 2003, une résolution dont le point 35 demandaient l’application du « principe du pays d’origine », une des dispositions les plus contestables de la proposition Bolkestein ;

- tous, en tout cas je m’adresse aux partis qui, à un moment ou un autre, ont participé au gouvernement du pays, tous, vous soutenez ce projet de Constitution européenne que nous rejetons et qui va rendre quasiment irréalisables la plupart des promesses que vous êtes en train de faire aux électeurs.

Votre présence ici ne peut donc que nous inciter à une vigilance accrue à votre égard. Etre ici, aujourd’hui, vous engage. Soyez persuadés que nous surveillerons la manière dont vos élus se comporteront au Parlement européen si par malheur la proposition Bolkestein leur est soumise. Et nous en rendrons compte. Le double langage peut tromper un temps. Il ne peut pas tromper tout le temps.

On ne peut pas, en même temps, servir les patrons et le peuple. A vous de choisir. Notre choix, quant à nous c’est celui d’une Europe des citoyens, par les citoyens, pour les citoyens.

Raoul Marc JENNAR (OXFAM)

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