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Venezuela 4 février 2006

EN DIRECT DU FORUM SOCIAL MONDIAL DE CARACAS


03-02-2006 - BILAN DU FORUM DE CARACAS

C´est bien tard que nous vous envoyons un bilan du forum, mais la clôture a peine achevée, nous enchaînions réunions (politiques, associatives ...) et visites ( entreprises récupérées, rálisations gouvernementales ) etc... ET non seulement ce bilan est tardif, mais en plus, il sera partiel : comment en effet résumer plus de 2000 réunions ?

Les inquiétudes étaient nombreuses avant ce forum, en particulier à cause de la présence du président vénézuéliens que d'aucuns considéraient d´avance comme encombrante pour les altermondialistes. Mais contrairement à ce que pouvait laisser penser des dépêches et articles français, Chavez n´a pas été plus présent lors de ce forum au Venezuela que Lula ne le fût au Brésil. Par contre, la sympathie du gouvernement Bolivarien à l´égard du mouvement altermondialiste s´est traduit par une mise à disposition d´énormément de moyens techniques.

Notons quelques constantes dans les problèmes : le nombre de réunions et la diversité des lieux s´est traduit par des kilomètres de marche, des salles de réunions parfois introuvables et des réunions annulées.

Comme lors des autres forums, la traduction s´est également avérée problématique : si toutes les réunions se déroulaient en espagnol, seules quelques unes bénéficiaient, au gré des intervenants, de traductions en anglais ou en brésilien. Cela était bien sur dû aux limites organisationnelles mais aussi à un effets directement liés à la formule "polycentrique" : Ce forum était moins une partie du Forum Social Mondial qu´un forum des Amériques élargi. Comment en aurait-il pu être autrement ? L´écrasante majorité des participants venaient d´Amérique Latine ( en particulier, outre du Venezuela, de Colombie et du Brésil). Il y avait aussi des délégations importantes états-unienne et des Caraïbes et du Canada ainsi qu'une grosse délégation québéquoise.

Par contre, les européens étaient peu présents. C´est sans doute la tenue du FSM de Bamako la semaine précédente qui explique le très faible nombre de français.

Si les thématiques étaient identiques aux autres sforums, leur importance a largement variée : La critique des médias dominants et les questions d´autogestion et de cogestion bolivarienne ont été particulièrement présentes alors que l´écologie était sensiblement moins abordée. Les débats féministes ont été particulièrement dynamiques et l´assemblée des mouvements sociaux est devenue l´une des principale réunion du forum.

Autres constante du FSM :
- le forum social de l´éducation, celui de la justice, des autorités locales et le campement de la jeunesse ( avec son lot d´expérimentatons autogestionnaires).

- les débats sur une nécessaire lisibilité du forum qui passerait par une diminution du nombre de réunions et les pathétiques tentatives de certaines personnalités de se constituer en élite de l´aletrmondialisme (ce qui se traduit en général par une photo avec "el presidente").

Malgré, ou grâce á ces constantes, ce forum est une réussite : un moment de dynamique plurielle et populaire, de mise en réseau et d´initiatives communes. Une rencontre progressiste internationale, totalement décomplexée par rapport à Davos. Des jeunes, des femmes, de toutes les couleurs. QUi ne se contente plus d´un "autre monde possible" et "nécessaire". Pour reprendre le slogan qui parcourait tout le forum offensif : "Globalisons la lutte!"

Richard Neuville et Mathieu Colloghan





31-01-2006 - L´AFP ET LE PERIL ROUGE

L´AFP a produit le 30 janvier une dépêche particulièrement crapuleuse sur le FSM à Caracas*, à moins que ce ne soit contre Chavez...

Cette longue dépêche décrivait un meeting du Forum Social Mondial Polycentrique à Caracas comme une digne prolongation des cérémonies d´anniversaire pour des petits pères du peuple en Corée du Nord ou en toute autre démocratie populaire. Il s´agit surtout d´une jolie crapulerie. Il serait fastidieux de revenir sur tous les détailles, mais voici quelques éléments relevé de-ci delà :

Les rouges

Le décors est planté: portraits de Marx et de Guévara, drapeaux rouges, Cubains en nombre et " socialisme" plein la bouche, nous sommes chez les pétrosoviets.

On notera comment un même mot, dans une autre bouche, prend tout son poids ici : François Hollande balbutie "socialisme", on s´assoupit ; Chavez évoque un "socialisme" ( un socialisme du 21 ème siècle, un socialisme a construire, et même à définir. Bref, une idée encore floue) on panique, on retire tout le liquide possible à la banque, on fait les stocks d´huile et de sucre. Quant à la délégation cubaine, ordonnée, coiffée d´une casquette aux couleurs de la bandera et d´un petit drapeau assorti, si on ne peut nier sa présence, on peut aussi noter que les Colombiens, les Boliviens, les Brésiliens et, évidemment, les Venezueliens, étaient bien plus nombreux ce soir là. Mais manifestement pas pour l´AFP. Portraits et drapeaux : la dépêche oublie de préciser qu´ils étaient comme à Porto Alegre, comme a Mumbai, dans la foule ( moins nombreux qu`au Brésil tout de même).

Et puis quoi. Qui doit s´inquiéter de la présence d´un portrait de Marx et de drapeaux rouges ? Qui blêmit à l´évocation du Socialisme? Les rédacteurs de l´AFP, peut-être.

- Chavez partout, justice nulle part. C´était déjà écrit avant le forum : Chavez serait partout et polluerait les débats du Forum. C´était tellement écrit qu´il était utile de le confirmer dans cette dépêche : Chavez faisait sa première apparition dans le forum, à l`invitation de Via Campesina, et voila Chavez omniprésent là où Lula, en 2001, 2002, 2003 et 2005 était invité en toute logique. Là encore où Delannoé faisait une apparition "par sympathie" ( FSE de Paris-StDenis).

- Chavez en guerre

Autre terrible travers de la prestation de Chavez : un discours anti-US. Car n´est-il pas incroyable qu´un homme politique de gauche en Amérique Latine puisse avoir un seul grief contre les USA?! Y a-il un peuple sud-américain qui n´ait, un jour, subit la politique US ? On jugera sans doute qu´il manque de la pondération dans l´intervention. Que le ton est au discours guerrier. Mais on peut comprendre le ton va-t-en guerre d´un chef d´état ouvertement menacé de mort, et de la victime d´une tentative de coup d´état pour un état dont la participation à la tentative de golpe a été démontrée.

On peut aussi s´offusquer qu´un homme politique si radical somme le Forum de déboucher sur du concret pour ne pas devenir un simple espace de discussion. C´est d´ailleurs la position d´autre dangereux radicaux menaçant la démocratie : Bernard Cassen ou Aminata Traoré par exemple. Finalement, Chavez serait peut-être aussi radical que Cassen, on frémit.

- Chez Castro, y a tout ce qui faut Enfin enfin, Castro est placé! ( je ne vise pas ici à débattre de Castro, mais a souligner qu´il est accolé á une citation sans lien. Qui s´imagine Chavez s´adresser aux altermondialistes ainsi : "Avec Castro, faisons déboucher les forums!" Qui? Mais l´AFP voyons.)

- On ne fait pas d´omelettes sans casser de forums

A y réfléchir, il semble évident que ce nést pas le Forum qui est visé, ou plutôt, pas directement, mais qu´il s´agit bien d´un 2ème effets, la cible principale étant Chavez-le-populiste. Hier, un président légitimement élu provisoirement victime d`un coup de force armé mené par de hauts officiers, la tête du clergé local et le patronat devenait le presque dictateur chassé par la société civile. Il y a peu encore, Adler décrivait Chavez comme un "gorille populiste et antisémite" ( Antisémite puisque soutenu par les altermondialistes qui soutiennent les Palestiniens. Quelle démonstration!)

A la veille du Forum, la Une de Libé titrait sur l´antisémitisme de Chavez suivit d´un article bidonné ( les réactions ont suffisamment circulés, pas besoin d´y revenir.)

Plus grave aujourd´hui : Chavez parle de Socialisme. Faut-il bombarder Caracas? Et que faire de l´AFP ?

Mathieu Colloghan





01-02-2006 - AMERIQUE LATINE

Le FSM à Caracas nous a permis de mieux appréhender la situation en Amérique latine à travers des ateliers et des rencontres avec des représentants de différents pays. Nous avons ainsi pu échanger assez longuement avec Emilio TADDEI, sociologue argentin qui travaille au CLACSO et qui travaille dans ce cadre pour la revue "l'observatoire social d'Amérique latine".

Indubitablement, la situation politique et sociale a beaucoup évolué ces dernières années en Amérique Latine. S'il y a peu de perspectives de changement en Amérique Centrale, hormis les possibles victoires du FSLN au Nicaragua et du PRD avec Lopez Obrador au Mexique en 2006 (sur laquelle nous reviendrons dans Rouge et Vert), la situation est différente en Amérique du Sud. La mobilisation sociale à Mar del Plata (Argentine) et le veto des dirigeants du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay et Venezuela) ont permis de mettre en échec le projet de l'ALCA à la fin de l'année 2005. Il s'agit d'une victoire importante contre la domination des EUA. Certes, le gouvernement américain n'a pas dit son dernier mot et il négocie des accords bilatéraux mais cette victoire partielle intervient dans un contexte politique inédit en Amérique du Sud.

La victoire d'Evo Morales en Bolivie, les possibles victoires du centre gauche au Mexique et d'Ollanta au Pérou, la possible consolidation au Brésil (en cas de réélection de Lula en novembre) en Argentine et plus que probable au Venezuela (où l'opposition est laminée) modifient sensiblement les rapports de force vis-à-vis de l'impérialisme américain. Néanmoins, les situations sont variables :

- Au Brésil, le cycle d'accumulation des forces sociales s'est achevé et les mouvements sociaux (MST et CUT), bien que critiques, appuie le gouvernement et s'engageront dans la campagne pour la réélection de Lula. Cette campagne sera menée par la gauche du PT et Lula possède des chances sérieuses d'être réélu. Pour une partie des mouvements sociaux, rien ne serait pire qu'un retour de la droite au pouvoir.

- En Argentine, Kirchner a remporté les élections législatives et a également de fortes chances d'ètre réélu. La gauche (en Argentine, entendre l'extrême gauche) reste extrêmement divisée. Kirchner poursuit une politique d'équilibre entre la défense des intérêts de la bourgeoisie (en particulier les entreprises exportratrices) et une partie du mouvement social de tradition péroniste comme les syndicats (y compris la CTA). Il mène une politique de division au sein du mouvement social. Il est parvenu à diviser les mouvements de piqueteros (chômeurs) et des entreprises récupérées en négociant avec certains et en réprimant les plus radicaux. Sa politique extérieure est plus audacieuse. Il s'est aligné sur Chàvez par rapport à l'ALCA et développe les relations commerciales avec le venezuela.

- En Bolivie, la victoire d'Evo Morales est un évênement mais il va être sous la pression constante des mouvements sociaux. Il béneficie d'un soutien très important de Chàvez. Comme ce dernier, Evo Morales va convoquer l'assemblée constituante et le travail de celle-ci va être très important. Pour la gestion des hydrocarbures, sa marge de manoeuvre va être étroite. Il n' engagera pas de nationalisations sans indemnisation comme le réclame certains mouvements sociaux mais il va négocier avec les multinationales pour que les ressources restent la propriété du peuple bolivien et pour que l'Etat obtienne des participations importantes dans l'exploitation. Reste la question de l'accès à la mer qui fait l'objet d'un conflit avec le Chili. La Bolivie aura besoin d'un engagement du Brésil et de l'Argentine pour parvenir à une solution.

- Au Pérou, le militaire nationaliste Ollanta béneficie également du soutien de Chàvez. Sa progression dans les sondages et son ralliement à un programme social laisse entrevoir une victoire. Ce serait un changement important dans un pays où le mouvement social est très affaibli.

Quant au projet de "integraciòn", il reste à construire. L'opposition à l'ALCA ne suffit pas pour élaborer une alternative.

Nous reviendrons plus longuement sur tous ces aspects dans Rouge et Vert en abordant également la situation de la Colombie.

Richard Neuville





27-01-2006 - LE FEMINISME, CA MARCHE

Un grand plaisir de ce forum : la vitalité du mouvement féministe!

Comme à Porto Alegre l´année dernière, le cortège féministe lors de la manifestation d´ouverture a été très impressionnant par sa vitalité. Il était plus imposant cette année. Quant aux réunions : alors qu´elles étaient très peu présentes au début du Forum, elles sont nombreuses dans cette 2e partie. De plus, alors que la fatigue commence à faire des victimes (il y a manifestement moins de monde en réunion que les premiers jours) les réunions féministes font le plein dans de grandes salles. Et elles sont riches. Outre le contenu, il y a pratiquement systématiquement un mini-spectacle ou un cortège dans la rue pour inviter les gens à rejoindre le lieu de réunions, puis un mini-spectacle, une chanson, un témoignage ou une procédure inhabituelle pour lancer la réunion. Avec aussi des tentative (pas toujours réussies) pour briser le rapports tribune-salle.

Et surtout surtout, ces militants sont combatifs. Il y a une vraie volonté d´en découdre (et ça tombe bien, parce qu´il y a du boulot, en particulier en Amérique Latine).

Y a-t-il un seul pays de ce continent a avoir légalisé l´avortement ? Une poignée seulement l´ont dépénalisé. Les chiffres sur les mariages forcés, les viols, les violences domestiques, les inégalités sociales... le portrait sud américain n´est guère reluisant.

Cependant des avancés apparaissent et les espoirs sont nombreux après les derniers résultats électoraux. Mais la route sera longue. Dommage qu´il n´y ait quasiment aucunes militantes féministe européennes. Je pense que ce forum leur aurait donné la pêche pour longtemps.

Mathieu Colloghan




27-01-06 : A LA MOITIE DU F.S.M .

Nous sommes à la moitié du FSM. Hasardons nous à effectuer un premier bilan.

Coté participation, il est difficile d'évaluer précisément. Néanmoins, nous savons que, outre les Vénézuéliens, venus en nombre de tout le pays, (y compris des représentants de communautés indiennes de l'Est, tout près de la Colombie) se sont les Brésiliens les plus nombreux avec 6 000 participants ; viennent ensuite les Colombiens -dont certains sont venus à vélo- avec 2 000 participants et les représentants des États-Unis d'Amérique (2 000). On relève également la présence de représentant-e-s de toute l'Amérique latine mais aussi du Canada et de la belle province, venus en grand nombre. Et, ce qui est nouveau, une présence significative de l'Amérique centrale et des Caraïbes. La proximité géographique et le processus révolutionnaire bolivarien auront été des facteurs mobilisateurs pour ces peuples. Mais, nous avons le sentiment de plus assister à un forum des Amériques qu'à un FSM. De toute évidence, la dimension planétaire n'y est pas. L'option de forums polycentriques a généré cette situation. La présence des européens est faible, elle se limite aux Italiens (mais beaucoup moins présents qu'il y quelques années) des Espagnols, des Français, d'ATTAC Allemagne et de Britanniques. L'organisation est tout à fait correcte, le gouvernement bolivarien a mobilisé de gros moyens. La dispersion des lieux de débats est cependant préjudiciable car elle implique de nombreux déplacements en métro. La qualité des lieux de débats a été privilégiée. Cependant, il y a un gros problème de traduction, il y a très peu de traducteurs. Ici, il est préférable de maîtriser l'espagnol et l'anglais. Ce FSM est marqué de l'empreinte du gouvernement bolivarien. Chaque ministère a son stand pour diffuser sa propagande. Elle n'altère cependant pas l'esprit du FSM. Via campesina, le congrès des peuples bolivariens, Caritas, le Brésil et les peuples des EUA ont chacun leur stand et proposent des débats. La situation colombienne est extrêmement présente. Il est très facile de communiquer avec les colombiens qui recherchent toutes les opportunités pour exprimer leur souffrance et faire connaître la répression dont le peuple de gauche est victime. Le gouvernement d'Alvaro Uribe ne s'attaque pas aux paramilitaires et ne peut vaincre les guérillas, il s'en prend très clairement au peuple : Nous avons eu des contacts et nous devons rencontrer samedi une sénatrice de l'opposition.

La victoire d'Evo Morales en Bolivie est un autre événement : sa prise de fonctions dimanche dernier avec Chàvez à ses cotés est tout un symbole. Le Venezuela a clairement décidé d'apporter tout son soutien à Evo et d'y mettre les moyens. De nombreuses réformes en cours au Venezuela devraient s'appliquer en Bolivie. La convocation d'une assemblée constituante ne devrait pas tarder. Mais E.Morales va devoir composer avec l'armée qui depuis toujours est sous l'emprise de l'École des Amériques. La décision de radier 28 hauts responsables de l'armée peut être source de tensions. L'ambiance du FSM est donc bien marquée par la situation globale de l'Amérique du Sud. Une situation qui suscite de grands espoirs de transformation sociale et dans laquelle Hugo Chàvez est incontestablement identifié comme le leader compte tenu de son aura auprès des peuples.

De nombreux débats traitent du projet de "integraciòn" (intraduisible en Français car il s'agit plutôt d'un concept, mais qui peut se résumer comme étant un projet d'unité de l'Amérique latine face à l'emprise des yankees)

Le Venezuela vient d'intégrer officiellement le Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay) et entend proposer un projet alternatif aux seuls échanges commerciaux, un projet politique. Le gouvernement bolivarien propose de créer une banque de développement du Sud, une université du Sud, une sécurité commune, etc. Chàvez profite actuellement de l'ínfluence auprès des peuples et du contexte politique favorable pour accélérer les réformes au niveau continental. En tant qu'autogestionnaires, nous sommes un peu surpris par l'adoption du terme de "cogestion" par les bolivariens. Renseignement pris, il s'agirait d'une étape intermédiaire vers l'autogestion. Nous allons creuser la question la semaine prochaine lors de nos rencontres avec des syndicalistes et de travailleurs d'entreprises récupérées. Ce qui est sûr, c'est que se sont des milliers de coopératives qui se créent aujourd'hui au Venezuela. Dans la deuxième partie du FSM, on observe que de nombreux débats sur l'écologie et le féminisme sont programmés, ce qui rééquilibre les thématiques.

Il serait très fastidieux d'aborder toutes les thématiques, mais bien évidemment la question de la réforme agraire est beaucoup traitée, ce d'autant plus que les avancées dans ce domaine sont rares que ce soit au Brésil ou même au Venezuela. La question des médias alternatifs est également très présente (TV Sur, radios et TV communautaires) Un forum alternatif se déroule également, dans lequel Holloway continue d'affirmer qu'il est possible de changer le monde sans prendre le pouvoir. Il aura quelques difficultés à convaincre les Vénézuéliens. Nous ne manquerons pas de vous tenir informé de la suite. Comme toujours, il y aura beaucoup de choses à raconter.

Richard NEUVILLE






27-01-06 : PROGRAMME

Nous sommes plongés dans le programme, une grosse brochure de la taille d´un tabloïd, de 140 pages tout de même, qui détaille les activités des deux premiers jours du forum.

Depuis ce matin, la circulation est cosmopolite dans le centre ville : Le forum est étalé sur toute la ville et les participants circulent dans le métro (gratuit avec sa carte de délégué) d´un centre à l´autre : un ancien aéroport, l´hippodrome, des tentes géantes dans des parcs, des immeubles officiels et même le Hilton. En fait, l´hôtel a été partiellement racheté, ce qui explique cette ouverture militante. C'est d'ailleurs un plaisir de voir de jeunes latinos chevelus, en tong et portant beau leurs T-shirt Che Guevara se promener dans cet hôtel de luxe. Comme pour chaque début de forum, ce qui prime, c´est le désordre, les réunions déplacées, annulées, sans traducteurs ou avec trop de traducteurs. Impossible pour l´instant de tirer un quelconque bilan de ce désordre, si ce n'est pour souligner le nombre de réunions et de participants.

Deux trois remarques déjà possible :

- 1. Le peu de débat sur le féminisme. Alors que le cortège féministe avait été durant la manifestation de la veille impressionnant par son dynamisme et son nombre (et aussi par la jeunesse des manifestants) les débats sur les questions féministes sont très peu nombreux. Il semble que cela soit dû à un raté de taille sur un projet de "village féministe" qui n´aurait finalement pas vu le jour. C´est non seulement problématique car un pan entier du mouvement altermondialiste est ainsi occulté (je rappelle qu´il s´agit pour l´instant de la moitié seulement du programme, le pire n´est pas certain).

- 2. L´écologie timide. Le nombre de réunions sur les questions écologiques est lui aussi proportionnellement plus faible qu`à Porto ALegre. C´est d´autant plus dommage que les premiers débats, par exemple sur le pétrole, étaient d´un très bon niveau.

- 3.La question de l´autogestion a pris beaucoup d´importance depuis le dernier Forum (moins quant au mode d´organisation du Forum qu´en tant que sujet d´actualité) mais le débat n´est pas sans ambiguïté. Par exemple, les Vénézuéliens privilégient-ils "la cogestion comme étape vers l´autogestion". Autre exemple : "Autogestion","cogestion" et "économie solidaire " subissent, à la traduction, des sorts très divers, suivant la langue. Cela révèle à quel point le concept reste ouvert.

Le "socialisme du XXIe siècle" est aussi en débat, et sans les pudeurs européennes quant aux vocabulaires marqués. Enfin, le soutien inconditionnel à Cuba, consensus entre sud-américain, nous met fortement mal à l`aise.

Voici donc quelques remarques, au fil du programme. Il faut maintenant que nous nous y remettions avant que le 2e volume du programme ne sorte.

Mathieu Colloghan







27-01-06 : L'ECUME POPULAIRE

Caracas n'est pas vraiment ce que l'on appelle communément "une belle ville". Elle s'est construite rapidement dans le creux des montagnes avoisinantes, comme une coulée d`immeubles blancs, une coulée dont l´écume se compose des barrios, des quartiers très populaires, nichés sur les hauteurs. Ces fiefs chavistes s´accrochent aux montagnes. De petites maisons de taule et de briques brutes, suspendues au dessus des quartiers riches. Et cette coulée de béton est partie dans tous les sens, dans chaque interstice qu`offrait la nature. Du coup, le plan de la ville est particulier : ni concentrique, ni linéaire, ni en damier, il s´approche plutôt... d´une racine de gingembre. La ville est innervée de bretelles d´autoroute la traversant de l´Est riche à l' Ouest pauvre. Ajoutons de grands parcs (et même trois terrains de golf). Tout autour, des montagnes enserrent la ville. De nuit (et la nuit arrive très vite sous ses tropiques) le centre est déserté et les barrios brillent de millions de petites lampes sur les collines, formant une constellation d´astres populaires veillant sur la révolution bolivarienne jusqu´à l´aube.

Nous avons à peine trouvé nos marques (ce qui a été facilité par le fait que Richard soit déjà venu et ait gardé des contacts, mais aussi par la présence de Témir Porras, ancien membre des Alternatifs, devenu secrétaire d´état à l´enseignement supérieur et recteur de l´université Bolivarienne) que le Forum débutait.

"El pueblo, unido..."

La manifestation d´ouverture aurait, au premier coup d´œil, déçu les habitués des ouvertures de forum au Brésil. Ici, peu de cortèges organisés, encadrés, avec la sono à fond, mais plus un désordre joyeux, plutôt calme, mais finalement regroupant énormément de monde. La composante principale de la manif était, ô surprise!, les Vénézuéliens, venus en couple ou en petits groupes, rarement en nombre derrière une banderole unitaire. Le cortège féministe était relativement conséquent avec de nombreuses délégations représentant les différents pays d'Amérique latine.

Côté délégations étrangères nord américaine, les États-uniens sont venus en nombre (surtout des centres sociaux, des fondations, des centres culturels...) et surtout les Québécois, très nombreux - avec comme à chaque forum, un nombre important de militant d´Alternatives-. Un touchant cortège Mexicain s´est aussi fait remarqué : Il regroupait, côte à côte des centres sociaux autonomes, une coalition d´organisations de gauche et l´EZLN. Le reste de l´Amérique latine était irrégulièrement représentée :

Du Brésil, les délégations du PT et du PSOL se faisaient concurrence (avec victoire numérique de ces derniers).

Le cortège argentin regroupait toute les sensibilités impliquées dans les derniers mouvements sociaux, mais d´une façon plus modeste qu´à Porto Alegre. Colombiens et Boliviens étaient eux aussi venus en nombre ( Ces deux pays occupent une place importante dans le Forum). Et tous les pays sud-américains avaient, peu ou prou, une délégation dans la manifestation. On ne peut en dire autant du reste du monde. Côté asiatique et africain, seuls quelques individus avaient fait le déplacement, et côté européen, ce n´était pas non plus le raz-de-marée : quelques Espagnols, des Italiens (quelques drapeaux des Cobas, un de Rifondazzione), quelques Grecs (proximité du FSE oblige) et peu de Français : un autocollant de la FSU comme seul témoignage syndical, trois drapeaux de la LCR, ceux des Alternatifs, une quinzaine de personnes pour le CRIID (en particulier de France-Amérique latine) et un Vert.

Il faut ajouter des délégations importantes de Via Campesina (surtout les Vénézuéliens et les Brésiliens)et de Carritas (de plus en plus impliqué dans les rendez-vous altermondialistes).

A noter aussi, une faible présence d´Oxfam, si présente à Mumbai durant le FSM 2004.

Bref, cette manif d´ouverture - sous la pluie- est à l`image du forum qui commence : vivante, numériquement importante, très centrée sur l´Amérique Latine, ou les partis politiques sont peu présents, mais ou la politique l´est énormément : je n´ai jamais entendu aussi souvent "socialisme" en une journée. Mais aussi des manifestants profondément optimiste : l´arrivée au pouvoir de plusieurs dirigeant de gauche (et en particulier Morales) et l´espoir de voir cette vague continuer (Au Nicaragua, au Mexique, etc.) donne un autre sens au slogan du Forum. On serait tenté de le prolonger : "un autre monde est possible, et ça a déjà commencé ici".

Mathieu Colloghan


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