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Logement 7 septembre 2005

LA POLITIQUE DU LOGEMENT BIEN MAL LOTIE

La décentralisation et la tension du marché foncier ne vont pas favoriser les plus pauvres.


Les derniers incendies parisiens montrent avec force la déréliction dans lequel se trouve le logement des «personnes défavorisées». Ceux qu'on n'ose plus appeler pauvres, depuis la loi Besson de 1990, n'ont bien souvent qu'un pauvre logement. Différentes tendances actuelles de la politique du logement font craindre une nouvelle détérioration de la situation des ménages les plus pauvres.

En premier lieu, certaines dispositions de la décentralisation. L'outil principal des plans départementaux pour le logement des personnes défavorisées, le «fonds solidarité logement», est décentralisé aux conseils généraux depuis le 1er janvier 2005. Il était jusque-là principalement abondé par l'Etat et les conseils généraux. Le contingent préfectoral dans le parc social, qui servait à reloger les plus démunis, est transmis aux communes. L'aide à la pierre versée par l'Etat peut-être déléguée aux collectivités locales. Bref, l'Etat se dessaisit d'un rôle actif, pour passer à un rôle de contrôle. Mais a-t-il les moyens de ce contrôle ? Le préfet pourra-t-il tirer les oreilles d'un maire ne respectant pas le quota de 20 % de logements sociaux, si l'Etat ne finance plus rien de sa poche, et si l'édile est aussi ministre ? Ces évolutions seraient concevables s'il y avait des recours juridiques pour forcer les collectivités à construire des logements accessibles. Ce que le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées appelle un «droit au logement opposable». On en est encore loin. En l'absence de tels recours, comment éviter le protectionnisme social, le clientélisme, la ségrégation spatiale ?

Les associations dites d'insertion par le logement risquent elles aussi de pâtir de cette décentralisation, qui renforce leur dépendance aux collectivités locales. Le financement de leur fonctionnement et de l'entretien de leur parc est un problème permanent. Les financeurs publics se soucient souvent plus de produire de nouveaux dispositifs que d'assurer la pérennité des dispositifs existants. Les associations, sommées de justifier le moindre euro dépensé et mises en concurrence, deviennent des «opérateurs» extrêmement contraints. Leur marge de manoeuvre et d'élaboration va s'amenuisant. Leur souplesse et leur capacité d'innovation servent alors trop souvent à combler les béances des politiques publiques.

En matière de démolition-reconstruction, que promeut Jean-Louis Borloo, le ministre de l'Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement, l'équation est simple. Le terrain libéré par les démolitions est insuffisant pour reconstruire autant de logements qu'il en a été démoli. Les reconstructions se heurtent à un problème de foncier disponible.

Actuellement, on ne démolit pas une barre de 600 logements pour reconstruire une barre de 600 logements au même endroit... Les démolitions s'intègrent dans des opérations de renouvellement urbain. Le réaménagement comporte la création de petits ensembles de logements, la percée de rues, etc. Sur le site même de la démolition, le nombre de logements construits est inférieur au nombre de logements démolis. Pour équilibrer les démolitions et les constructions, il faut donc trouver de nouveaux terrains disponibles, à un prix acceptable. La tension du marché foncier et la baisse des budgets disponibles rendent cela très laborieux ­ sans préjudice de l'hostilité des mairies ou des riverains. La logique minimale du «un pour un», un logement reconstruit pour un logement démoli, ne parvient pas à s'imposer. Quand il est déjà difficile de reconstruire autant de logements sociaux que ce qui a été démoli, comment peut-on promettre d'en construire 200 000 autres par ailleurs ?

Enfin, conséquence inattendue des incendies, le Premier ministre parle d'ouvrir le prêt à taux zéro aux ménages touchant jusqu'à 7 000 ? par mois. Comptant parmi les 5 % les plus riches, ces ménages ont-ils tant de difficultés à accéder au crédit ? Cette mesure favorise encore la hausse des prix de l'immobilier. On touche là à un tabou : il ne faut surtout pas entraver le marché privé, au caractère de plus en plus spéculatif. La volonté de ne pas réguler le marché prive pourtant de moyens d'agir plus efficacement. La spéculation exclut de fait nombre de foyers aux revenus modestes de l'accession à la propriété, tandis qu'ils subissent la hausse vertigineuse des loyers, dans des logements souvent inadaptés (1).

Alors que le gouvernement prétend vouloir réhabiliter la valeur travail, 30 % des SDF travaillent et n'ont pas de logement. Difficile de répondre à l'inflation des exigences des propriétaires à l'entrée dans le logement, ou de contracter un emprunt, quand on est intérimaire, en CDD ou en contrat nouvelles embauches.

(1) Insee Première n° 950.

par Louis Bertrand

Doctorant à l'Institut d'urbanisme de Paris (Paris-XII),
membre du collectif des Jeunes Chercheurs contre la précarité.
Membre des Alternatifs Paris 13è

Tribune parue dans Libération daté du 7 septembre : liberation.fr/page.php?Article=321736

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