Amérique latine |
9 juin 2005
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DE BOLIVIE AU PANAMA
Une jeune Bolivienne de passage à Montauban eut la surprise de découvrir
dans le journal Point Gauche ! un écho sérieux des luttes de son peuple.
Aujourd'hui les événements démontrent que cette attention était largement
justifiée pour ceux qui cherchent à en finir avec le vieux monde.
Pour ma part il m'arriva de faire connaître le héros et le anti-héros de la
grande bagarre d'aujourd'hui 8 juin 2005. Le héros, Abel Mamani responsable
des comités de luttes de la ville de El Alto et en face le président de l'
Assemblée nationale Horacio Vaca Diez, celui qui fit tirer sur un mineur en
colère qui osa entrer dans la Chambre des députés avec un bâton de dynamite
à la main.
Pour la joie d'Abel Mamani c'est aujourd'hui une immense foule bolivienne
qui occupe La Paz et pour le plus grand désagrément du grand Horacio, alors
que, constitutionnellement, il pourrait s'auto-désigner comme président du
pays après la démission du président, il va devoir opter pour une autre
combine. Ce n'est pas un mineur qui occupe un lieu mais des milliers qui
sont partout dans la ville avec des camionnettes de dynamite.
Cette insurrection s'est radicalisée de jour en jour. Carlos Mesa aura
presque tout tenté pour l'éviter : le faux référendum, la fausse démission,
l'appel à l'Eglise, la menace militaire, la négociation secrète, la pression
internationale. Il aura cependant été fidèle à sa parole : il n'a pas fait
tirer sur la foule. Il préfère partir mais qui va le remplacer ? Et pourquoi
faire ?
Les insurgés décident, de jour en jour, en assemblée générale, des mesures à
prendre. Ils veulent à présent un gouvernement des ouvriers et des paysans.
Le mot d'ordre est le suivant : pas de succession, pas d'élection, de suite
le gouvernement pour le peuple. Or, au départ, il y a eu mobilisation à la
fois pour la nationalisation et pour l'élection d'une assemblée
constituante, ceci contre le projet des riches de Santa Cruz cherchant avec
leur grand chef Horacio Vaca Diez, la sécession. Le leader électoral des
insurgés, Evo Morales, a indiqué qu'il se plierait aux revendications des
assemblées générales. Il tente depuis deux ans de jouer les modérateurs (il
fit alliance pendant un temps avec le président démissionnaire) mais il est
dépassé par la base. Pour le contexte international j'indique que Lula a
tout fait pour sauver Carlos Mesa (l'essentiel du gaz brésilien vient de
Bolivie) et Chavez tenta de jouer les intermédiaires. Déjà pour la révolte
précédente de Mars, le Congrès bolivarien du peuple se refusa à relier cette
révolte alors qu'il est très rapide dans d'autres cas. Et si Evo Morales s'
est donné une dimension internationale, elle n'a aucun intérêt pour les
insurgés. En clair, cette insurrection dérange tout le monde aux Amériques.
Sa radicalité peut faire boule de neige en particulier au Pérou d'abord, où
le risque insurrectionnel est du même ordre, et en Equateur où le nouveau
président vient déjà de s'aligner sur les USA après une arrivée au pouvoir
provoquée par la révolte inter-classiste de Quito. Mais allons plutôt dans
ce beau pays qu'est Panama.
Le 30 mai au matin, le peuple de ce pays n'avait pas les yeux fixés sur le
résultat du référendum français mais sur l'ultime décision que venait de
prendre les députés : « l'organisation d'un des vols les plus grands qu'a
connu le peuple panamén » d'après un journaliste de la Estrellla. De quoi s'
agit-il ?
Allons voir Andrés Rodriguez, un de ces militants extraordinaires qui ne
passent jamais les barrières médiatiques. Il anime le Front pour la Défense
de la Sécurité Sociale, un Front qui a décrété depuis plusieurs jours la
grève générale dans le pays. Lutte phénoménale puisque le gouvernement est
un gouvernement de gauche et que c'est lui qui a organisé ce vol affreux
dans le portefeuille des Panaméens. Dans ce gouvernement de Martin Torrijos
siège un artiste que j'ai déjà présenté, l'homme qui me fit comprendre la
salsa : Ruben Blades. Que pense-t-il des émeutes qui traverse sa capitale ?
L'âge de la retraite était de 57 ans pour les femmes et il passe à 62 tandis
que pour les hommes il était de 62 et il passe à 65. Comme il se doit les
femmes payent la note plus que les hommes et comme il se doit, l'âge de la
retraite est reculé en même temps que les cotisations sont diminuées !
Intolérable répond le peuple. Tout à fait intolérable dans un pays où le
chômage est si grand. Qui veut répondre que les émeutes sont donc celles de
« privilégiés » car beaucoup ne touchent même pas de retraite ? Je suis
fatigué par ces discours style CFDT qui culpabilisent les soi-disant
privilégiés pour éviter de montrer du doigt les vrais seigneurs. Si nous
étions en Bolivie nous dirions, la forte présence du gaz crée un tel enjeu
que la bataille est rude. Mais le Panama n'a ni pétrole, ni gaz, ni or, ni
rien. Alors que se passe-t-il ? Tristesse, le Panama a un canal (c'est d'
ailleurs pour ça qu'il existe) dont il a accédé à la propriété, les USA
ayant fini par céder cette injuste souveraineté, mais être propriétaire du
canal c'est un fil à la patte. En effet, ce canal a besoin de grands travaux
(sinon les USA en construisent un autre ailleurs) et pour des grands travaux
il faut l'appui des banques et pour obtenir l'appui des banques, il faut d'
abord des politiques sociales. Première mesure du gouvernement Lula accédant
au pouvoir : la réforme des retraites que le pouvoir précédant n'avait pas
pu réaliser. Première réforme du gouvernement Torrijos : la même réforme des
retraites ! Un hasard ?
Pour Andrés Rodriguez et son Front uni, gouvernement de gauche ou pas, l'
intolérable est intolérable. Alors c'est la grève générale. Les enseignants
surtout sont en pointe dans cette action, comme chaque fois que le peuple se
révolte aux Amériques. Que va-t-il se passer ? Des centaines de personnes
ont été arrêtées (384) avec un peu partout des blessés. Une première
rencontre a eu lieu avec quatre ministres qui voulurent amuser les insurgés
avec des salades. Reynaldo Rivera, le ministre du travail indiqua sur un ton
conciliant que la grève n'est pas le meilleur moyen pour engager la
discussion sur ce thème sensible et d'ailleurs est-elle vraiment légale ? Le
représentant des patrons indiqua qu'il était impossible de discuter sous la
pression d'une action aussi extrémiste (inutile de préciser que si les
caisses de la sécurité sociale sont vides c'est que les patrons ne versent
plus rien ou si peu). Pour la confusion des genres ce chef s'appelle aussi
Rodriguez mais Felipe et non Andrès. J'aurai voulu vous en dire plus sur le
Andrès en question mais je sais seulement qu'au moment des accords
économiques avec les USA (le TLC), il était déjà sur la brèche, en 2004,
pour annoncer que la conséquence de tels accords seraient dramatiques pour
les travailleurs. Avec son Front il avait raison.
Jean-Paul
Damaggio