TCE : un régime quasi-dictatorial.
Dans un texte qui circule actuellement sur internet,
Etienne Chouard, professeur de droit, indique, sous la forme de 5 points,
qu'il développe ensuite, comment, avec le Traité établissant
une Constitution pour l'Europe, les fondements du droit constitutionnel
sont bafoués, ce qui rappelle au premier plan cinq principes
"transmis par nos aïeux dans ce domaine" dit-il :
1. Une Constitution doit être lisible pour permettre un vote populaire
: ce texte-là est illisible.
2. Une Constitution doit être politiquement neutre : ce texte-là
est partisan.
3. Une Constitution est révisable : ce texte-là est verrouillé
par une exigence de double unanimité.
4. Une Constitution protège de la tyrannie par la séparation
des pouvoirs et par le contrôle des pouvoirs : ce texte-là
organise un Parlement sans pouvoir face à un exécutif
tout puissant et
largement irresponsable.
5. Une Constitution n'est pas octroyée par les puissants, elle
est établie par le peuple lui-même, précisément
pour se protéger de l'arbitraire des puissants, à travers
une assemblée constituante, indépendante, élue
pour ça et révoquée après : or ce texte-là
entérine des institutions européennes qui ont été
écrites depuis cinquante ans par les hommes au pouvoir, à
la fois juges et parties.
De ces 5 caractéristiques, je voudrais surtout m'attacher aux
conséquences de la seconde et de la troisième.
Il est de fait que, loin de se limiter à proposer un simple fonctionnement
institutionnel, cette
Constitution institue un contenu politique : c'est un texte qui prend
parti et qui impose le parti qu'il prend. On peut qualifier de différentes
manières ce contenu politique, le qualifier de libéral,
ou néo-libéral, ou de capitaliste, le résultat
est là. Dès lors que le contenu d'une
politique, défini dans la quasi-totalité des "domaines"
de la vie sociale, est imposé dans un texte ayant la force d'une
Constitution, et l'assise juridique d'un Traité international,
l'effet est clair et sans contestation possible : on tue la vie et le
débat démocratiques.
On enlève toute légalité aux alternatives possibles
à cette politique. Seuls resteront des
variations et développement possibles de la politique néo-libérale
telle qu'elle est exposée dans le texte du Traité et qui
n'est pas autre chose que l'expression politique et institutionnelle
du capitalisme à l'ère de la mondialisation et de la financiarisation.
Bref : ce texte enlève aux citoyens tout pouvoir d'élaboration
politique, toute capacité à proposer des politiques alternatives
à celle affichée par la nouvelle Constitution, tout exercice
possible de la citoyenneté, et, on peut le dire, toute capacité
légale à développer une pensée à
la fois critique et propositionnelle.
Bien entendu, il n'est dans le pouvoir d'aucun texte d'empêcher
les citoyens de penser, de
résister, de contester, d'élaborer des alternatives et
d'étouffer leur aspiration à la liberté. Mais la
situation créée par ce Traité, s'il est adopté,
sera totalement inédite. Puisque, tout à la fois, il associe
le fonctionnement des institutions de l'Union Européenne - et,
par défaut, la forte réduction du champ de validité
des institutions nationales - avec un contenu politique partisan, impose
ce fonctionnement et ce contenu pour une durée "illimitée",
et réserve le privilège de l'élaboration des lois
à la Commission et, dans certains domaines importants de décision,
au Conseil, donc fournit l'interprétation de ce contenu politique
à ceux-là même qui l'ont promu et le défendent
depuis des dizaines d'années.
Il n'existera aucune possibilité pour les partisans d'une politique
différente de s'exprimer dans le cadre de la légalité
démocratique. S'il est vrai que le Parlement Européen
aura plus de pouvoir qu'actuellement, il lui manquera le pouvoir législatif
essentiel : celui de proposer des lois. Il aura moins de pouvoir que
l'actuelle Assemblée Nationale en France, ce qui n'est pas peu
dire!
On se retrouverait dans une situation très proche de l'exercice
d'une dictature, même si les
apparences de légalité (mais non de légitimité)
resteront sauves. Toute critique, toute pensée différente,
toute expression de liberté et d'invention, tout exercice d'une
démocratie véritable, ancrée dans la légitimité
du peuple, seront institutionnellement rejetés, car contraire
au contenu partisan que ces institutions doivent, selon le Traité,
promouvoir.
Résultat : ne resteront, pour les citoyens de base que nous
sommes, comme modes d'expression, que la révolte et l'insurrection.
Et il deviendra légal, pour les nouveaux pouvoirs en place, d'écraser
ces révoltes, au nom du texte qui aura été voté,
pour une durée illimitée, au cours d'un seul vote : le
referendum (du moins pour les pays qui ont choisi cette voie d'adoption).
Comme les causes d'opposition, de résistance, de révolte
contre cette politique, ne disparaîtront pas, et auront, au contraire,
toutes chances d'augmenter, l'adoption de ce Traité nous mettrait
dans une situation d'insurrection potentielle permanente, et chacun
sait que ces situations entraînent inévitablement une tournure
de plus en plus répressive de la part des pouvoirs en place.
Il n'est pas sûr que, dans le débat actuel entre partisans
du Oui et du Non, on mesure la gravité du problème. Au
fond, cette proposition de Constitution est une illustration directe
de la fameuse expression de l'économiste américain Francis
Fukuyama : "l'histoire est finie". Il n'existe plus d'alternative
(du moins légalement).
On en a déjà eu, au plan national, des petits avant-goûts
dans la manière dont ont été traités les
différents mouvements sociaux ces dernières années,
à commencer par la répression actuelle du mouvement lycéen.
Mais ce sera pire car les politiques autoritaires, sécuritaires
et répressives seront désormais soutenues et impulsées
par des centres de pouvoir "européens", beaucoup moins
sensibles qu'aujourd'hui aux manifestations de l'opinion publique, centres
de pouvoir aptes à se réclamer d'un texte constitutionnel
adopté par 25 pays.
Voici donc ce à quoi l'adoption éventuelle de ce Traité
nous conduirait inexorablement. C'est de l'instauration d'un régime
quasi-dictatorial qu'il s'agit.
On peut éventuellement admettre que ceux qui sont, sur le fond,
ouvertement d'accord avec le contenu de la politique avancée
par ce Traité votent Oui, quitte à mettre un mouchoir
sur leur idéal démocratique. Mais il est totalement incompréhensible
que puissent appeler à voter pour l'adoption d'un tel Traité
ceux qui, dans leurs discours, s'affichent à la fois en désaccord
avec le contenu politique néo-libéral et qui tiennent
à ce qu'une vie démocratique reste possible. Sauf à
signifier par cet appel à voter "Oui" qu'ils ont abandonné
toute perspective d'alternative au système actuel et tout droit
à l'expression d'une telle alternative.
Philippe Zarifian.