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Analyses 16 Mai 2007

PERSPECTIVES A GAUCHE



Libération, le 11 mai - La France n'est pas à droite (par Yves Salesse)
mai - Quelles forces, quelle unité ? (le collectif de Nantes)
le 30 avril - Perspectives (par Yves Salesse)
Politis, le 26 avril - L’unité est une perspective indispensable (par Yves Salesse)






LA FRANCE N'EST PAS A DROITE
Si Sarkozy a été élu, c'est parce que le programme de Royal ne portait pas d'alternative claire.


«L a France est à droite.» C'est, paraît-il, une affaire entendue.

Une telle affirmation rend incompréhensible l'histoire politique et sociale de ces vingt-cinq dernières années, y compris les plus récentes. A droite, la France qui soutient massivement les grèves de 1995 ? A droite, le non à l'Europe libérale ? A droite, la France qui défend les services publics, inflige une cinglante défaite à la droite aux élections européennes et régionales, rejette le CPE ? Non. La réalité est plus complexe et instable. Notre pays est confronté à la violence du capitalisme mondial.

Presque toutes les couches sociales, frappées d'une façon ou d'une autre, sont traversées par des mouvements et des aspirations contradictoires. Il en est de même pour les individus. Ils cherchent une issue, d'un côté et de l'autre. Sarkozy a gagné essentiellement sur une promesse de volontarisme politique et d'efficacité que la gauche lui a laissée. On ne peut dire que cette promesse est de droite.

Si la France n'est pas à droite, elle pourrait le devenir. Elle le deviendra si la gauche s'avère durablement incapable d'apporter une alternative sérieuse et crédible. Là est la question centrale. Le mystificateur de Neuilly, candidat d'un Medef «enthousiaste», a attiré une partie des couches populaires grâce à la faillite de la gauche. Nous avons dit depuis longtemps que le social-libéralisme n'est pas le mieux placé pour battre la droite. La perception de la campagne de Ségolène Royal vient de l'illustrer. Le flou du projet, les renoncements et l'insuffisance des réponses sont vite apparus. Sarkozy a un projet et des mesures. Sa cohérence a fait sa force. Et si la gauche ne défend pas sérieusement la protection sociale, assure que la puissance publique est désarmée face à la mondialisation, une partie des milieux populaires veut qu'au moins on lui promette d'être protégée de l'agresseur, voire de l'étranger.

L'approfondissement de l'adaptation à la mondialisation libérale prônée à l'intérieur et à l'extérieur du PS ne résoudra pas le problème mais l'amplifiera. La faillite de la gauche ne s'arrête évidemment pas à celle du social-libéralisme. Parce qu'il n'apporte par de réponse à la hauteur, la division de ceux qui portent une autre orientation à gauche fait des ravages. La surprise de cette élection n'aurait pas dû être Bayrou, mais la percée de cette gauche alternative. Les directions de la LCR et du PCF en ont décidé autrement.

Alors que faire ? Résister, démystifier, convaincre, construire. Organiser bien sûr la résistance aux coups qui vont tomber, avec toutes les forces disponibles. Mais cela ne peut suffire. Le désarroi exige un travail en profondeur. La mystification sarkozyste doit être démontée, y compris sur le plan idéologique. Il faut nous adresser à ceux qu'elle a ébranlés. Cela ne sera vraiment possible qu'avec la refondation d'une gauche authentique : une gauche de gauche, une gauche de transformation sociale. Il est indispensable d'approfondir le débat sur le projet et les propositions.

Nous héritons d'un siècle tragique qui a connu un double échec stratégique. Les tentatives de transformation révolutionnaire ont engendré des dictatures bureaucratiques et policières. Et les sociaux-démocrates qui prétendaient subvertir le capitalisme par une accumulation de réformes structurelles ont finalement été subvertis par lui. Ce double échec nourrit un doute qui taraude tout le monde : est-il vraiment possible de résister aux puissances financières, de construire «un autre monde» ? A ce doute on ne peut répondre en promettant «les lendemains qui chantent». Depuis longtemps je défends que nous devons être en mesure de proposer une politique applicable dans le monde actuel, avec ses mutations, ses dangers, ses défis.

J'ai formulé des propositions précises sur l'Europe, les relations Nord-Sud, l'importance nouvelle des services publics, l'Etat. Bien d'autres travaux individuels se sont engagés sur cette voie. Mais il faut déboucher sur des propositions collectives, qui font largement accord. Nous avons, dans les collectifs unitaires, élaboré «125 propositions» qui tiennent la comparaison avec celles des «grands» partis, mais sont insuffisantes. Ce travail programmatique doit être approfondi. Ce travail ne prendra véritablement son sens que si apparaît une force capable de porter une telle politique de transformation, d'agir et de poursuivre la réflexion et le débat. Sans une telle force, les meilleures propositions seront incapables de créer une dynamique populaire. Malgré les difficultés, nous devons poursuivre l'effort de regroupement de toutes les forces de la gauche de transformation sociale. Regroupement nécessaire pour que l'alternative au libéralisme devienne majoritaire dans ce pays et en Europe. La catastrophe électorale ne doit pas effacer ce qui s'est passé pendant cette campagne. Des forces existent pour poursuivre cette bataille : collectifs unitaires divers, réseaux, minorités dans le PCF, la LCR, les Verts, le PS.

Sauront-elles résister au découragement et à l'éparpillement ?

Yves Salesse, membre des collectifs unitaires antilibéraux.
Derniers ouvrages parus : Réformes et révolution. Propositions pour une gauche de gauche (Agone, 2001) ; Manifeste pour une autre Europe (Félin, 2004).





QUELLES FORCES, QUELLE UNITE ?


Nous parlons sans cesse d’unité et nous avons raison : la victoire de Sarkozy nous fait encore plus obligation de réaliser l’unité de la gauche antilibérale pour unifier l’ensemble de la gauche et l’ensemble des classes populaires sur une orientation clairement alternative au libéralisme, en rupture avec tout social-libéralisme et politique d’adaptation au capitalisme. Mais, n’en faisons pas un mythe : le chantier de l’unité est à reprendre !

Nous avons dès la victoire du Non au Référendum compris avec raison qu’il y avait une opportunité politique « historique » à saisir ( au sens où ces occasions ne se présentent pas souvent) pour avancer plus rapidement dans un processus d’unité et de refondation politique.

Cette affirmation était sans doute sous-tendue par des présupposés politiques que certains aujourd’hui contesteront (nature hétérogène du Non, surestimation d’une Gauche du Non, etc…) c’est à discuter mais nous avons eu raison d’engager le processus de création des collectifs impliquant des citoyens, des associations, des partis, de la LCR jusqu’à PRS en passant par le PCF

Toute action politique engage des analyses mais aussi un pari sur l’avenir. Même si la lucidité politique permet d’anticiper certaines évolutions, nous ne pouvions savoir avant de l’avoir collectivement expérimenté que la LCR jouerait à ce point la carte de sa seule affirmation au détriment de l’irruption d’une force collective véritablement nouvelle, nous ne pouvions savoir que le PCF instrumentaliserait à ce point les collectifs en leur demandant de se ranger derrière M.G Buffet.

Sur un autre plan et dans une moindre mesure, tous ceux qui ont mené la campagne Bové, ne pouvaient savoir à l’avance que J.Bové, candidat trait d’union de la dernière tentative d’unité, accepterait avec autant de désinvolture ou de cynisme de fragiliser le combat des collectifs en acceptant entre les deux tours une mission sur la mondialisation proposée par S.Royal !

Donc, le processus citoyen et unitaire est à reprendre en comprenant que les résultats des Présidentielles et la victoire de Sarkozy clôt un cycle ouvert par le Non au Référendum !

Nous ne partons pas de rien…

· Nous partons d’une expérience négative et de la conscience que pour avancer il faudra battre en brèche les politiques sectaires et à courte vue des directions de la LCR et du PCF comme il faudra lutter contre les démagogies et inconséquences de tous les discours anti-partis.

· Nous partons d’une expérience positive, celle d’un travail en commun, travail d’élaboration, de confrontation des différentes sensibilités ( communistes, écologistes, altermondialistes ) l’enjeu étant d’unifier toutes ces exigences dans un projet de transformation sociale. On l’a dit, ce projet devra clairement lier les trois exigences, sociales écologiques et démocratiques , cette dernière étant peut-être la plus centrale puisque la démocratie que nous voulons implique le droit et la possibilité de discuter et de décider collectivement ce que nous produisons, dans quelles conditions et pour quelles fins !

· Nous partons de l’expérience singulière de la campagne Bové qui au-delà de ses faiblesses politiques et organisationnelles a été une vraie campagne militante et citoyenne prenant non seulement en charge ces questions mais aussi la question essentielle du lien durable que nous sommes capables d’établir avec tous les exclus du système, et donc la question centrale de la représentation politique ! Cette campagne fait l’objet d’avis contraires mais son bilan concerne l’ensemble des collectifs !

· Nous partons d’un acquis très fragile, l’existence d’une coordination nationale issue de la réunion nationale de Montreuil qui n’est pas et n’a pas à être une coordination des comités Bové, à condition qu’on la reconnaisse et qu’on la fasse vivre ( signalons que la dernière réunion nationale a été de fait « boycottée» par d’un côté certains « unitaires historiques », C.Debons, C.Autain, etc. et de l’autre Bové lui-même et certains de ses plus proches partisans)

La priorité des priorités, c’est bien sûr de construire une mobilisation contre les mauvais coups de la Droite mais pour cela notre responsabilité de collectifs unitaires est d’abord de reconstruire un processus unitaire autour de la perspective d’Assises fin 2007 /début 2008 (voir le texte « Perspectives » d’Yves Salesse.)

Dans l’immédiat comment aborder correctement le problème des Législatives ?
Comment croire en un travail unitaire sans un minimum d’accord national ?
Comment croire en l’unité quand le PCF présente partout ses propres candidats et la LCR presque partout en acceptant à la marge certaines candidatures unitaires jugées acceptables !


LEGISLATIVES 

Deux questions différentes sont à bien distinguer

A - La première : celle des accords unitaires…

· Première difficulté : ce que chacun pense nécessaire en terme d’unité lors de ces législatives est nécessairement lié à sa façon d’appréhender le bilan des Présidentielles et à sa façon d’envisager les perspectives …or nous n’avons pas eu le temps d’avoir collectivement les clarifications nécessaires.

· Seconde difficulté : l’unité implique des citoyens, des collectifs et des organisations en particulier ici des partis…or la logique des collectifs ne saurait être calquée sur celles d’organisations qui ( à tort ou à raison) institutionnellement ont besoin d’une présence aux législatives pour financer et pérenniser leur activité.

· Troisième difficulté (plus politique) : le sens d’une candidature d’un collectif regroupant par définition diverses forces et sensibilités anti-libérales ne peut être que prioritairement le combat pour l’unité du camp anti-libéral, combat qui ne peut gommer les divisions des Présidentielles comme s’il était possible de reprendre la logique du travail unitaire au moment de la campagne pour le Non au TCE, combat qui ne peut se réduire à un appel commun aux nécessaires luttes contre les mauvais coups de la Droite, combat qui ne peut se réduire à la simple propagande autour des 125 propositions. La volonté d’en découdre tous ensemble contre les politiques de Sarkozy ne peut à elle seule tenir lieu d’orientation politique ! Ce qui doit fonder notre unité, c’est la volonté commune de dépasser les divisions, la volonté commune de construire une alternative anti-libérale, alternative qui ne saurait se faire principalement autour d’une seule sensibilité ou autour d’une seule organisation ! C’est cela qui doit vertébrer notre campagne, même si elle se décline à travers des thèmes ou des exigences où il peut y avoir accord (exigences démocratiques, sociales et environnementales). En toute honnêteté, 15 jours après le premier tour et ses divisions, cette clarté et cette confiance politique existent-elles ? peuvent-elles exister sans avoir tirer les bilans ? Personnellement, j’en doute !

· Quatrième difficulté : les collectifs n’ont de sens que s’ils maintiennent leur diversité et que s’ils évitent la logique de cartels. La voie est étroite mais elle est possible à condition d’éviter certaines déviances. Les collectifs ne peuvent être considérés comme une organisation clairement délimitée, constituée. C’est d’ailleurs un des enjeux des Assises de clarifier et peut-être de modifier un mode de structuration et de fonctionnement qui montre ses limites : interprétation vraiment commune des textes de référence, capacité à prendre de manière beaucoup plus claire et démocratique les décisions, etc.

Conséquences :

· Au vu des difficultés énoncées précédemment et au vu de la force réelle des collectifs, je ne pense pas qu’il soit possible en Loire-Atlantique d’aller au delà d’un accord de répartition des circonscriptions ( de fait avec la LCR…vu le silence du PCF.) Cet accord témoigne d’une volonté de non concurrence mais il laisse à chaque entité le soin de déterminer en toute autonomie sa propre campagne.

· Les collectifs unitaires anti-libéraux ne pourront peser sur la situation que s’ils construisent une certaine autonomie et visibilité politique au niveau national. C’est ce à quoi appelle la Coordination nationale de Collectifs en proposant de rassembler les candidatures sous le nom de Gauche Alternative 2007.

· Reste, le problème des soutiens réciproques. Autant, il ne me semble pas réaliste et juste de demander aux collectifs unitaires de soutenir explicitement le vote pour une seule de leur composante (partielle). Pour être plus explicite, si les collectifs ont vocation à regrouper entre autres des militants unitaires de la LCR et/ou du PCF et d’autres ….un accord de répartition ( avec la LCR) de saurait conduire à ce que les collectifs appellent (en retour ?) à voter pour la seule LCR ! A l’inverse, une organisation politique peut accepter de soutenir la démarche des collectifs ( tout en respectant l’autonomie de ce collectif). C’est pour cela qu’a pu être proposé la formulation : Collectif unitaire anti-libéral « Gauche Alternative 2007 » soutenu par telle ou telle organisation !

B- La seconde : nos propres forces et l’état des collectifs

Une campagne des collectifs n’a de sens que si elle relance la dynamique unitaire et citoyenne (en évitant toute fuite en avant et toute campagne contre productive)

Les Législatives, malgré tous nos efforts risquent d’amplifier les tendances des Présidentielles et ce n’est pas en quelques semaines que nous pourrons effacer le discrédit politique du camp anti-libéral dû à la division imposée par les directions du PCF et de la LCR ( au delà de la sympathie qu’a pu rencontrer telle ou telle campagne). La pente sera donc rude à remonter et il faut bien mesurer nos forces. Or que constatons-nous nationalement et localement ?

Des camarades ayant participé à la fondation et au développement des collectifs ( cf. les Assises locales en avril 2007) et partis au moment de la division des Présidentielles ne sont pas revenus et ne reviendront que quand ils estimeront que les conditions politiques d’un véritable travail unitaire (d’action et de réflexion) seront à nouveau réunies. D’autres camarades ayant fait la campagne Bové pour maintenir eux aussi l’exigence de l’unité préfèrent pour le moment prendre du recul et ont besoin eux aussi que les conditions d’une confiance politique soient recréées ! Si on prend en compte les dernières réunions par circonscription, force est de constater une baisse du nombre des participant(e)s

J’entends bien qu’il existe sur le terrain des militant(e)s implantés ayant déjà mené des combats électoraux en 2002 et des forces disponibles pour assumer une campagne que certains présentent (peut-être trop rapidement..) comme n’engageant pas nécessairement beaucoup de moyens…mais cela peut-il crée une dynamique ? Sans preuves suffisantes du contraire, à la date d’aujourd’hui, j’en doute.

Enfin, une campagne indépendante et autonome politiquement c’est un autofinancement à assumer ! c’est au moins 5000 à 6000 par circonscription. Cela ne peut être également passé sous silence !

Toutes ces remarques ne témoignent d’aucune désillusion ou amertume mais de choix politiques. Il m’importe que nationalement la coordination nationale des Collectifs puisse présenter au moins 70 à 100 candidatures Gauche antilibérales 2007 mais cela n’a de sens qu’en se donnant certaines règles et en n’oubliant pas que la priorité n’est sans doute pas les Législatives mais bien le regroupement de toutes les forces citoyennes disponibles pour préparer les Assises.

A cette date, il existe, des candidatures potentielles « collectifs unitaires » sur 4 circonscriptions. Je ne sais pas ce que l’AG et les collectifs décideront, une, deux, trois , quatre, ou aucune mais personnellement, à la date d’aujourd’hui, je doute que nous ayons les forces pour faire une campagne « Législatives » telle que je la conçois, les conditions politiques et matérielles ne me semblant pas vraiment réunies ! …..ou alors en concentrant nos forces sur une ou deux circonscriptions ? ?

Les Collectifs proposeront et décideront. L’AG de jeudi se déterminera mais il me semblait important que chacun puisse avant jeudi exprimer son sentiment. Certes, chacun a la possibilité individuelle de se retirer et de ne pas faire telle ou telle campagne…mais autant annoncer la couleur avant !

Yves Trihoreau - Collectif de Nantes.







PERSPECTIVES


Il faut prendre le temps de se reposer, de laisser les choses se décanter, avant de prendre des initiatives publiques pour la poursuite de notre combat pour l’unité de la gauche de transformation sociale. Mais nous devons commencer à discuter. Le présent texte reprend l’intervention que j’ai faite lors de la réunion des collectifs à Saint-Denis [1]. Il ne prétend pas à l’exhaustivité et ne constitue qu’une première réflexion. Il me semble toutefois nécessaire d’indiquer rapidement les points qui doivent être clarifiés si nous ne voulons pas bâtir sur le sable.

Malgré la faiblesse du score électoral, la campagne Bové a permis d’assurer une continuité après le désastre de l’échec de la candidature unitaire. Elle a mobilisé de nouvelles forces et fait entendre une voix différente en ne laissant pas le monopole de la parole de la gauche de transformation sociale aux responsables de la division. D’autres n’ont pas mené cette campagne tout en restant attaché à la perspective de l’unité de la gauche de transformation sociale. Si nous voulons que notre combat de plusieurs années ne se termine pas par une disparition complète, dans l’éclatement et la confusion, il faut proposer un cadre de débat et d’action. C’est ce que doivent permettre les assises prévues à l’automne. Celles-ci devraient décider la constitution d’un nouveau rassemblement. Nous savons d’expérience que ce n’est pas facile après une défaite. Et avant de nous lancer, nous devrons vérifier si les forces et un accord suffisants existent. C’est pourquoi il me semble nécessaire d’aborder la réflexion non par le fonctionnement d’un éventuel rassemblement mais par sa définition politique.


1. La poursuite de la bataille pour l’unité de toutes les forces de la gauche de transformation, politiques et sociales.

Parce que cette unité est nécessaire pour peser, pour battre le social-libéralisme, voire le sociallibéralisme tiré plus à droite par le rapprochement avec la droite bayroutiste. Cela se heurtera à l’évolution prévisible des orientations du PC et de la LCR vers le refus de cette unité, du moins tant que des évènements politiques ou sociaux ne viendront pas remettre en cause cette évolution. Comment alors ne pas abandonner une orientation qui risque de se heurter au refus de ces deux partis ? Comment éviter qu’elle ne soit purement incantatoire ?

En ne prenant pas la division comme un fait irréversible. En maintenant la perspective unitaire et en la traduisant chaque fois que possible en propositions concrètes sur les terrains politique et social. Ce que nous avons fait en proposant des initiatives unitaires de la gauche anti-libérale contre Sarkozy ou des accords pour les élections législatives. Nous nous sommes heurtés à des fins de non-recevoir des directions de la LCR et du PC. Il faut chaque fois le faire savoir et continuer.


2. Les responsabilités de la division

Nous avons tenté d’amplifier la dynamique créée lors de la bataille du Non en prolongeant pour les élections présidentielle et législatives l’unité des forces politiques et du mouvement social qui s’y était réalisée. Je pense que c’était juste et la seule voie qui pouvait être alors tentée, tout en la sachant très difficile. Le présent texte n’est pas le lieu du bilan de cette tentative. Nous devons au moins tirer de son échec la nécessité de changer la méthode.

Voilà pourquoi j’étais en désaccord avec les camarades qui souhaitaient maintenir le collectif national après la rupture du PC et qui ont prolongé cette tactique en proposant que l’on reprenne avec le PC et la LCR le fil cassé pour la présidentielle. Qui ont commencé dans leurs textes à diluer les responsabilités et mis sur le même pied les candidatures Besancenot et Buffet avec celle de Bové. On pouvait trouver cette dernière inopportune et critiquer les défauts de sa campagne sans opérer cette égalisation : en désignant les candidatures responsables de la division. Le rappel de la décision des directions de la LCR et du PC de saboter une occasion dont on ne sait si elle se représentera n’est pas une crispation rancunière. Il fait nécessairement partie des bases de notre futur regroupement parce que c’est elle qui impose une organisation séparée.

Notre nouveau rassemblement ne peut être la reproduction de cette tentative brisée. La perspective maintenue de l’unité y compris avec le PC et la LCR ne doit pas conduire à les inviter à participer au nouveau rassemblement. Il est nécessaire pour pouvoir mener une politique indépendante et construire un rapport de forces vis à vis de ces organisations. Nous ne devons pas confondre la perspective et le rassemblement immédiat.


3. Un rassemblement de tous ceux qui ont mené et veulent poursuivre la bataille pour l’unité.

En revanche nous devons tenter de regrouper tous ceux qui ont combattu la division et continuent de défendre la perspective unitaire. Il faut rassembler les communistes qui ont combattu la candidature Buffet même s’ils ont finalement appelé à voter pour elle, les membres de la LCR qui ont eu une attitude semblable, les collectifs unitaires qui laissé passer l’élection présidentielle, les nombreux syndicalistes qui se sont finalement retirés des collectifs, les nouvelles forces qui se sont investies dans la campagne Bové. Construire un tel regroupement est indispensable pour ne plus être une poussière face aux organisations existantes et mener la politique que nous aurons décidé. Nous pourrons poursuivre notre activité sans l’accord des organisations.

Il s’agirait donc d’un rassemblement d’individus dotés du droit de double appartenance. Sa base politique ne se réduirait évidemment pas à la bataille pour l’unité. Nous avons les 125 propositions et le texte « stratégie ». Les deux sont susceptibles d’évolution. Ce sera au rassemblement d’en décider.


4. Ni découpage politique ni prolongement des comités Bové

Cette approche du nouveau rassemblement a deux conséquences.

La première est qu’il ne saurait se définir comme un nouveau courant politique contre ou à côté des partis existants. Des camarades proposent que nous procédions à un découpage politique dans ces forces unitaires. Certains opposent la « gauche écolo-fédéraliste » à la « gauche sociale et nationaliste ». On invoque des projets de société incompatibles. Il est clair que la proclamation de ces incompatibilités conduisent à autre chose qu’au rassemblement des forces unitaires. C’est d’autant plus erroné que ces oppositions sont largement artificielles. Des désaccords existent évidemment sur des questions très importantes. Mais il n’est juste ni de les globaliser ni de les décréter irréductibles. Aucune organisation ou courant de pensée n’est aujourd’hui épargné par les interrogations de fond et présente un projet de société unique. Et l’expérience de ces dernières années montre que cette hétérogénéité ouvre la voie d’une recomposition sur les questions de fond. D’autres camarades ont d’autres idées de découpage selon les sujets qu’ils tiennent pour discriminants : la laïcité et la question du voile ; la question du nucléaire civil par exemple. Certains en déduisent qu’il ne faut plus s’encombrer du thème de l’unité de la gauche antilibérale. Procéder ainsi est le chemin sûr pour construire une nouvelle petite organisation aussi incapable de peser que celles qui existent déjà.

La seconde conséquence est que le nouveau rassemblement ne saurait être présenté comme la suite des comités Bové. Certains considèrent qu’il n’y a aucune force maintenue en dehors ou, variante, qu’elles ne valent pas la peine que l’on s’y intéresse ou, variante, qu’elles doivent être dénoncées. Comme si l’appréciation qui a conduit nombre d’entre nous à mener cette campagne était le discriminant et une définition suffisante. Suivre cet autre type de découpage serait aussi une impasse. Nous devrons affirmer que le nouveau rassemblement sera constitué de nouveaux comités de base accueillant tous ceux qui se reconnaîtront dans son ou ses textes fondateurs. En pratique, l’initiative reviendra peut-être à un comité Bové, à un collectif unitaire maintenu ou à quelque chose d’autre. Mais nous parlons ici de définition et donc de présentation politique publique.


5. Bannir l’invective

La déception et la colère que nous avons tous éprouvées ne sauraient justifier le ton et les méthodes utilisés parfois dans les débats. L’insinuation, la vindicte et l’insulte sont inacceptables et nous n’aurions pu bâtir la campagne du Non avec de tels procédés. Nous connaissons la tendance permanente à transformer tout désaccord en clivage. Nous devons y résister et accepter que les divergences sont légitimes. Même si leur profondeur conduit à la séparation, cela n’autorise pas à traiter l’autre en ennemi. Il est frappant de constater comme on passe facilement de « la politique autrement » aux plus vieilles méthodes de la confrontation destructrice. Il l’est tout autant de voir comment on peut concilier un engagement pour la liberté d’expression et le droit à la différence tout en les supportant mal entre nous. Le premier et plus important élément de définition de notre éventuel rassemblement doit être le respect mutuel.

[1] Réunion nationale des collectifs et comités unitaires antilibéraux des 28 et 29 avril 2007 à l’Université Paris 8, à Saint-Denis.

Y. Salesse







« L’UNITE EST UNE PERSPECTIVE INDISPENSABLE »


Pour le porte-parole de la campagne de José Bové, le vote utile et la division des forces de transformation sociale expliquent les mauvais résultats de la gauche. Il appelle, néanmoins, à la poursuite d’initiatives unitaires pour les législatives.


Les résultats de la gauche, et singulièrement de sa composante antilibérale, ne sont pas bons. Quelles sont les raisons de cette contre-performance ?

Yves Salesse
: Globalement, la totalité des voix de gauche recueillies par des candidats de gauche est extrêmement faible. Nous sommes confrontés à une droite à l’offensive incarnée par Nicolas Sarkozy, candidat du grand patronat avec des qualités de mystificateur. Il a réussi à faire croire à une partie des couches populaires qu’il s’intéressait à leurs problèmes et qu’il était capable de les résoudre. La première tâche évidente consiste donc à poursuivre le travail d’explication sur la réalité de la candidature Sarkozy, de son projet, de son programme, de façon à tout faire pour le battre.

D’autre part, le PS a mis en route une machine redoutable. Les résultats témoignent d’un désarroi général, y compris à gauche. Le programme présidentiel de Ségolène Royal n’est pas à la hauteur des exigences de la situation et donc ne permet pas d’apporter une réponse claire aux problèmes auxquels les gens sont confrontés. Le PS a essayé de combler ce manque de hauteur en jouant de la machine de guerre du vote utile. Cela a marché. Mais le vote utile a eu une dynamique qui a dépassé Ségolène Royal. Le raisonnement qui a consisté à convaincre tout le monde de voter pour elle a conduit à un vote massif en faveur de Bayrou.

C’est redoutable parce que cela veut dire qu’il y a une perte des repères. Et c’est un des éléments d’explication de la faiblesse de nos résultats. Nous avons été laminés par le vote utile, et pas seulement nous. Il y a eu une espèce de petit vote utile interne à la gauche de gauche vers Olivier Besancenot. Tout cela donne un résultat extrêmement mauvais, une gauche de gauche qui fait moins de 10 %. Et donc un rapport de force à l’intérieur de la gauche qui n’est pas bon du tout.


La gauche n’a-t-elle pas failli dans son ensemble par une absence de travail idéologique ? Peut-elle reconquérir le terrain ?

Je ne crois pas que c’est une question de travail idéologique. Ce sont des questions d’orientation politique très précises et concrètes qui s’affrontent. Si Ségolène Royal défend son pacte calamiteux, ce n’est pas par manque de travail idéologique, c’est par une orientation social-libérale dont on connaît les racines. Et l’échec de la candidature antilibérale n’est pas lié à une insuffisance de travail idéologique, mais à des orientations politiques très pratiques du côté de la LCR et du PCF : le souci primordial de l’organisation, de sa construction et de sa défense, a dominé sur l’engagement dans une dynamique de rassemblement qui ne soit pas le leadership de l’un ou de l’autre parti.

On avait largement de quoi faire avec les 125 propositions pour mener cette campagne et postuler à une modification de la composition de la gauche, battre le social-libéralisme, et donc postuler à la majorité en France. Si on compare ce programme avec ceux préparés par « les grands candidats », il tenait la distance. Maintenant, il y a un gros travail à poursuivre, un travail de fond, parce que ces 125 propositions ne sont pas l’alpha et l’oméga.


Ne serait-il pas temps de faire ce travail auprès de l’électorat populaire, que Nicolas Sarkozy arrive à mystifier facilement ?

Là encore, je ne crois pas que cela soit une question de réflexion idéologique et de travail de fond. Quand on est dans des secteurs populaires qui vivent mal, qui prennent des coups, la première question que se posent les gens, quand ils ne sont pas des militants inscrits dans l’activité politique, organisée ou non, est de savoir si ceux qui leur font des propositions représentent une force sérieuse. C’est pourquoi la division de la gauche de transformation sociale a été une terrible prise de responsabilité politique de la part de la LCR et du PCF : des propositions qui peuvent être très largement acceptées dans les couches populaires ­ la campagne l’a montré ­ sont privées de la crédibilité d’une force susceptible de les porter.

On a donc un affrontement entre deux programmes, celui de Nicolas Sarkozy et celui de Ségolène Royal, qui ne disent évidemment pas les mêmes choses. Mais, dès lors que celui porté par la candidate de gauche apparaît comme totalement insatisfaisant, car ne permettant pas de répondre aux exigences les plus élémentaires de la vie quotidienne et des problèmes rencontrés, le jeu est ouvert. Et les couches populaires peuvent être tentées d’aller voir ailleurs avec quelqu’un qui apparaît comme dynamique, se bougeant, n’hésitant pas à dire ce qu’il pense...


Dans de telles conditions de division, fallait-il maintenir la candidature de José Bové ?

Il fallait la maintenir parce qu’il n’aurait pas été juste de ne laisser comme porte-parole de la gauche de transformation sociale que ceux qui avaient pris la responsabilité de la division. D’autant plus qu’ils restent dans les rails classiques : « Rejoignez-moi, et hors du grossissement de mon organisation, point de salut ! » Encore une fois, c’est le vote utile qui nous a conduits à un score si bas. J’en trouve la confirmation dans la campagne telle qu’elle s’est déroulée. Elle a été étonnante par bien des aspects, jusqu’au dernier meeting de Toulouse, avec ces milliers de personnes qui ont écouté attentivement les prises de position politique et ont manifesté leur enthousiasme à chaque fois qu’a été exprimée l’unité du rassemblement des forces de la gauche antilibérale.


Est-ce un jalon pour l’avenir ?

C’est évident, sauf si l’évolution de la situation fait que cela entraîne une démoralisation et une dispersion générales. De nombreuses personnes qui n’ont pas l’habitude de se mêler de politique ou de s’inscrire dans une activité de ce type ont participé à cette campagne, en peu de temps et sans organisation rôdée. Cette campagne et cette candidature ont été une façon d’enrayer la démoralisation.


Envisagez-vous avec José Bové de reprendre contact avec les dirigeants de la gauche de transformation sociale et d’essayer de repartir sur des initiatives unitaires ?

À court terme, notre score ne nous met pas dans une situation idéale pour faire des propositions, mais il serait très utile qu’il y ait des initiatives communes pour battre Sarkozy. Ces initiatives communes maintiendraient des propositions qui se distinguent de celles de Ségolène Royal et un engagement déterminé pour battre la droite. Il faut maintenir la bataille pour ces candidatures unitaires aux législatives. Dans l’immédiat, on voit bien que cela va se heurter à la logique d’auto-affirmation de la LCR, qui sort confortée de cette élection, et même du PCF, qui a déjà annoncé des centaines de candidats aux élections législatives.

À plus long terme, le rassemblement des forces diverses de transformation sociale, qui ne sont pas simplement des forces politiques, est une perspective indispensable si l’on veut peser. L’une des conditions est que l’orientation sectaire de division qu’ont manifestée la LCR et le PCF soit battue. On y verra plus clair dans quelques semaines ou quelques mois.

Y. Salesse (Interview M. Soudais)



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