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Décroissance 19 octobre 2005

POUR UNE DECROISSANCE EQUITABLE ET SELECTIVE

Intervention des Alternatifs lors du lancement des E.G.D.E


L'aggravation de l'état de la planète justifie le lancement des Etats Généraux de la décroissance.

Du point de vue de l'écologie, d'abord:

Les derniers rapports des scientifiques, notamment celui des Nations Unies publié à la fin de mars 2005, dressent des perspectives alarmantes: la dégradation des écosystèmes est telle qu'elle peut compromettre le développement des sociétés humaines. La manifestation la plus inquiétante de cette crise écologique est le réchauffement de la planète. Les scientifiques l'ont prouvé en s'appuyant sur l'étude des cycles naturels: le réchauffement actuel qui va en s'accélérant depuis 1980 est bien lié aux activités humaines, en particulier aux émissions de CO2 dont sont responsables les productions industrielles, les transports par route, les activités ménagères ...

Mais pour nous, militants Alternatifs, l' état de la planète, du point de vue social et humain, est tout aussi inquiétant..

Les inégalités entre les pays du Nord et ceux du Sud se sont aggravées. Quant à l'exclusion et à la précarité, elles se sont installées dans les pays riches. En 2005, 1 milliard d'êtres humains ( sur 6 milliards) vivent dans des conditions très précaires, ne mangent pas à leur faim;. 11 millions d'enfants de moins de 5 ans meurent faute de soins, de vaccinations. L'accès à l'eau potable devient de plus en plus difficile et les maladies liées à la pollution de l'eau sont une menace croissante pour ces populations.

Les récentes inondations en Louisiane ont d'ailleurs montré, notamment dans l' organisation des secours, que les quartiers pauvres étaient plus touchés que les autres. L 'état de la planète, du point de vue environnemental, le déséquilibre Nord/Sud, l' ampleur de la crise sociale dans les pays dits riches, imposent un changement radical dans nos comportements individuels et dans les règles qui déterminent les choix collectifs, du niveau local au niveau international. Il serait illusoire de penser qu ' il suffirait de préconiser un comportement plus civique des habitants, ou que les Etats prennent quelques mesures positives, pour réussir à changer la donne. C'est le modèle économique dominant basé en priorité sur l' idée de profit, qu' il faut d'abord mettre en cause. La prise de conscience de la crise écologique s'est faite au début des années 70. Depuis trente ans, peu de progrès ont été constatés, bien au contraire. Pourquoi ?

- La démocratie représentative a montré ses limites et son inefficacité, essentiellement parce que les élus soucieux de préserver leur mandat électoral pensent uniquement à court terme et n' ont pas le courage de prendre les mesures nécessaires à la survie de la collectivité.

- Les actions publiques entreprises au nom du "développement durable" que Nicolas Georgescu- Roegen qualifiait de "charmante berceuse" dès 1992 ont été très insuffisantes car elles n'ont jamais remis en cause le systéme capitaliste.

Les syndicats,les mouvements sociaux et notamment le courant altermondialiste, n'ont pas suffisamment intégré la question écologique dans leur combat, et n'ont pas réussi à inverser la tendance. Quelles pistes pouvons nous proposer pour aller vers le changement radical indispensable?

Agir pour stopper la croissance est l'option prioritaire.

En préalable, rappelons que selon la définition de Joseph Schumacher, " la croissance, c'est produire plus, sans tenir compte de la nature des productions."

En chiffres, cela se traduit par un PIB dont l'absurdité est évidente car, aucun élément qualitatif n'étant introduit, toute activité comme par exemple les accidents de la route ou les catastrophes naturelles (celles récentes en Louisiane et au Texas) contribue à son augmentation.

La croissance économique étant un " accroissement à moyen et long terme des productions nationales", nous ne pouvons accepter que cet accroissement n'ait pas de limites alors que nous vivons sur une terre limitée.

Réduire la croissance en diminuant les productions les plus polluantes, en ralentissant le prélèvement des ressources naturelles est une mesure nécessaire, pour des raisons écologiques et sociales. En effet, contrairement à ce qu'affirment ses zélateurs, la croissance économique ne réduit pas la pauvreté ni les inégalités, que ce soit à l'intérieur des pays développés ou dans les pays du Sud. Elle ne fait que profiter aux intérets des spéculateurs.

Par ailleurs la crise écologique et la vision à court terme en économie ont des conséquences sociales : le rapport des Nations Unis cité précédemment évalue à 2 milliards de dollars ( allocations de chômage, politique de reconversion) le coût de la surexploitation des réserves de morue à Terre-Neuve qui a conduit à l'épuisement des ressources.75% des lieux de pêche sont actuellement sur le déclin.

Après les réfugiés politiques et économiques, sont apparus les réfugiés écologiques. On évalue aujourd' hui leur nombre à 20 millions dans le monde. D'ici 5 ans ce chiffre devrait passer à 50 millions selon le dernier rapport de l'institut pour l'environnement et la sécurité humaine, organisme travaillant pour les Nations Unis (O.N.U.)

L'aggravation de l'état de la planète nécessite une remise en cause du productivisme.

L'émergence d'un courant se réclamant de la décroissance, et dans lequel se retrouveraient des militants associatifs, des hommes et des femmes à titre personnel ainsi que des militants d'organisations politiques est une première étape vers le changement nécessaire.

Ce courant doit se développer. Les militants Alternatifs présents à ce lancement des Etats Généraux de la décroissance équitable veulent de toutes leurs forces contribuer au développement de ce nouvel espace.

Nous pensons que l'exigence écologique doit être replacée dans un projet global prenant en compte:

- l' exigence démocratique afin de contrer tout risque totalitaire.

- l' exigence sociale afin de se prémunir contre les choix réactionnaires et les politiques libérales .

Elle doit s'intégrer dans un projet économique qui réduit les inégalités, qui lutte efficacement contre le chômage.

Notre positionnement par rapport à la consommation et à la production ne doit pas se faire en prenant pour référence des critères quantitatifs.

Comme Schumpeter le proposait quand il définissait le développement, nos choix économiques doivent tenir compte de l'aspect qualitatif. Il s'agit avant tout de produire autrement, de distribuer autrement, de consommer autrement.

C'est pourquoi nous sommes favorables à une décroissance équitable mais aussi sélective, ce qui suppose que nous portions une attention particulière à la satisfaction des besoins vitaux: santé, éducation et culture, alimentation ici, comme dans les pays pauvres.

Pour notre part, nous ne rejetons pas le terme " développement" dès lors qu' il s' agit d' un processus contribuant à l' épanouissement de l' être humain. Le développement alternatif, ou "alterdéveloppement " englobe toutes les activités qui contribuent à son émancipation: la créativité, la citoyenneté, l' éducation, la culture, le loisir physique, le lien social...

Nous refusons la société actuelle, nous voulons en construire une autre.

Si nous n' avons pas la prétention, ni l'intention de fournir un projet tout ficelé, il nous paraît utile de lancer dés maintenant quelques propositions:

- 1. Il faut sortir de l'aliénation individuelle et collective qu'entraînent nos modes de consommation.

Cette aliénation est visible jusque dans les instruments choisis pour mesurer la santé des pays.

Nous devons cesser de faire référence définitivement à la notion de PIB ou de PNB pour les raisons déjà évoquées précédemment, et dont la principale est l'absurdité.

Une autre unité de mesure est utilisée par le PNUD: l' indice de développement humain. Cet indice ne nous satisfait pas non plus car le PNUD n'a retenu que trois éléments pour le construire : le niveau de santé, représenté par l'espérance de vie à la naissance ; le niveau d'instruction, représenté par le taux d'alphabétisation des adultes et le nombre moyen d'années d'études et le revenu représenté par le PIB par habitant après une double transformation tenant compte de la différence de pouvoir d'achat existant d'un pays à l'autre et du fait que le revenu n'augmente pas le bien-être d'une manière linéaire.

Là encore, on tient compte du PIB.

Nous pourrions nous inspirer de deux expériences qui ont eu lieu ces dernières années: l'une en Suisse auprès d' agriculteurs, l'autre au Canada, beaucoup plus intéressante car il s'agit d'une démarche citoyenne, appuyée par les réseaux canadiens de recherche en politiques publiques (RCRPP) qui ont aidé les citoyens à identifier les indicateurs techniques correspondant aux thèmes qu'ils avaient choisis.

Elles avaient pour but de définir un INDICE DE QUALITE DE VIE ET DE BIEN-ETRE.



Il est intéressant de noter quels ont été les thèmes retenus. Les voici, cités dans l'ordre des priorités des citoyens canadiens:

1. les droits démocratiques et la participation

2. la santé

3. l'éducation

4. l'environnement

5. les conditions sociales, les programmes sociaux

6. les collectivités: bénévolat, sécurité, lien social

7. le bien-être personnel: mode de vie sain, respect de soi

8. économie et emploi

9.le rôle du gouvernement: niveau de confiance à l'égard du processus électoral.

Nous proposons de travailler sur cette nouvelle unité de mesure durant l'ensemble du processus des Etats Généraux que nous allons engager dans les 9 prochains mois.

L'écologie a montré les interdépendances qui existent entre l' homme et la biosphère. Or depuis deux siècles, la sphère économique s'est progressivement isolée des deux autres. Il faut que l'économie recrée des liens avec l'humain et la nature.

L'économie capitaliste est basée sur le profit, sur l'exploitation des hommes, des femmes et de la nature.

Le changement que nous souhaitons passe par une rupture avec les pratiques actuelles..

Il faut d'une part introduire l'éthique dans l'économie. Hans Jonas écrivait: " Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d'une vie humaine sur terre".Ceci est une proposition essentielle.

Il faut d' autre part créer les conditions (essentiellement par les moyens législatifs) pour que l'économie se donne des objectifs nouveaux: respect de l' environnement et de la santé, utilité sociale, introduction de la démocratie dans l' entreprise.

Ce projet économique doit permettre de mettre un frein à la dérive vers le gigantisme lié à la mondialisation.

Nous proposons également de réfléchir ensemble sur ce projet économique qui doit permettre l ' établissement de nouveaux liens sociaux, de nouvelles solidarités, de lutter contre les déséquilibres, en redécouvrant les territoires (développement local, réduction des flux), qui doit assurer une juste répartition des richesses naturelles ou produites en impliquant toute la population mondiale dans une consommation couvrant les besoins essentiels.

Notre réflexion doit porter sur l'appropriation des moyens de production, sur la souveraineté alimentaire, sur les questions énergétiques.

Nous devons dégager ensemble des Alternatives à cette société et favoriser des initiatives autogérées telles que la reprise d'entreprises (relocalisation) par et pour les salariés et les citoyens.

- Enfin , pour nous, les rapports au Tiers Monde sont essentiels: la question de la dette ainsi que la gestion de l'agriculture et la gestion raisonnée des richesses naturelles sont des questions que nous devons approfondir. Il serait bienvenu d'entreprendre cette réflexion en lien avec les citoyens, les associations ou mouvements des pays concernés.


Roland MERIEUX et la Commission "écologie" des Alternatifs


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