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Ecologie 22 mars 2005

Ecologie politique : quelques repères


I. Introduction

On ne peut parler de l’écologie politique sans avoir évoqué au préalable les différents courants sociaux, les courants de pensée, les mouvements militants qui ont été à l’origine de la création d’une tendance politique qui, malgré ses défauts et ses erreurs, a contribué à renouveler la pensée politique et a apporté il y a plusieurs décennies une nouvelle conception de la réflexion et de l’action.



II. LES RACINES

De l’écologie scientifique à l’écologie politique:

L’écologie est d’abord une science, branche de la biologie. Rappelons que le terme est apparu en 1866. On le doit à Ernst HAECKEL.

De cette origine, découlent deux faits importants:

Cette approche scientifique conduit naturellement à l’idée de protection de la nature.

L’étude des cycles, des chaînes alimentaires, du fonctionnement même de la vie, aboutit à une prise de conscience, à une responsabilisation des personnes, et débouche souvent sur un militantisme en faveur de la protection de l’environnement. Toutefois, on ne peut pas passer sous silence la dérive de cette approche scientifique qui consiste à prendre la nature pour modèle et qui débouche sur une conception autoritaire, inégalitaire, voire fasciste, de la société.

Barry COMMONER, l’un des théoriciens de l’écologie, définit les 4 principes de celle-ci:

1. Tout est lié à tout : relations à l’intérieur des écosystèmes

2. Toute chose doit aller quelque part ( penser aux polluants dans le sol, les cours d’eau..)

3. Il n’y a pas de repas gratuit ( rappel de la dégradation de l’énergie )

4. La nature en sait plus.

L’écologie scientifique nous enseigne quelques règles de conduite, Entre autres:

- le respect de la diversité

- la nécessité d’avoir une vision globale

- agir aujourd’hui en pensant à l’avenir

- l’écologie est planétaire.

« Penser et agir localement, oui. Mais dans une optique globale.»

Les différentes catastrophes écologiques qui se produisent dans la deuxième moitié du 20e siècle vont d’autre part faire prendre conscience des risques encourus par l’humanité et vont accélérer la montée en puissance de l’écologisme, militantisme écolo.

Mais le fait le plus important pour la construction du discours de l’écologie politique, c’est la naissance d’un nouveau mode de pensée, la systémique ou pensée écologisée, qui va révolutionner l’approche des problèmes sociaux, économiques et bien sûr environnementaux.

A la vision mécaniste du monde ( héritage de Descartes ), la pensée écologisée répond par une pensée globale.

Dans les disciplines classiques, il y a cloisonnement, hyper-spécialisation. L’écologie perçoit chaque phénomène dans sa relation avec l’environnement. Elle replace l’homme dans l’écosystème.

En France, Joël de Rosnay, Edgar MORIN ( la Méthode ) développent ce mode de pensée nouveau qui s’appuie sur les notions fondamentales de l’écologie scientifique et qui peut être introduit dans tous les domaines.

Quelques exemples:

l’interdépendance: elle apparaît entre les problèmes agricoles et le milieu maritime.

Les pollutions dues à l’utilisation de nitrates, de phosphates, etc... se retrouvent en aval, en particulier aux estuaires, lieux de nursering de la faune marine.

la complémentarité: Elle transforme les rivalités locales en «unité dynamique de forces opposées » (Edgar Morin)

la diversité : C’est la condamnation de la monoculture, des mono-industries.

la rétroaction : elle fait réfléchir sur les conséquences à long terme des décisions prises, des événements. Elle nous apprend que l’action entreprise peut entrer dans le jeu de finalités ennemies.

L’écologie, science de la complexité, nous demande de nous méfier des idées simplifiantes, déformées.

En résumé:

L’émergence de l’écologie militante est donc liée à la crise écologique qui a été réellement visible à partir des années 60, et plus encore 70.

Destruction d’espèces...

Pollutions, marées noires...

Contamination de chaînes alimentaires par les polluants...

Tout cela conduit à une prise de conscience.

Le Club de Rome, en 1972, parle de limiter la croissance. En effet, une augmentation infinie de la production, dans un monde aux limites bien définies, conduirait l'humanité à la catastrophe. La même année, la première conférence des Nations Unies sur l’environnement a lieu à Stockholm.

Le constat est fait : « Nous n’avons qu’une seule terre». Il faut donc diminuer les activités polluantes, freiner le prélèvement des ressources naturelles, pour épargner les générations futures.

Sur le plan intellectuel, une nouvelle forme de pensée apparaît : le regard systémique.

En dehors de ce courant lié à la protection de la nature, le mouvement écologiste est au confluent d’autres mouvements sociaux qui vont structurer sa pensée :

- le féminisme

- le tiers-mondisme

- l’héritage de mai 68

Le féminisme

Les pionnières viennent surtout des pays anglo-saxons et en particulier des USA. Quelques noms à retenir :

l Germaine GREER , auteur de la Femme eunuque

l Carolyn MERCHANT auteur de « The Death of Nature». Elle étudie l’influence capitale de Francis Bacon dans la domination de la nature par l’homme, qui va selon elle de pair avec l’exploitation de la femme par l’homme.

l Charlene SPRETNAK qui mêle dans sa réflexion féminisme, spiritualité ( apport des religions orientales ) et écologie

l Hazel HENDERSON qui écrit en 1977-78 « Vers des avenirs alternatifs »

Elle y dénonce le modèle cartésien qui a fait faillite, ainsi que la facture masculine de l’organisation de la société.

Elle constate que les valeurs masculines ( esprit de compétition, goût de la domination ) l’emportent sur les valeurs féminines ( esprit de coopération, activités nourricières et éducatives, amour de la paix ) et veut un équilibre plus sain entre celles-ci.

Selon elle, la crise de l’énergie, de l’environnement, la crise urbaine, la crise démographique trouvent leur source dans une crise plus large qui est celle de notre perception insuffisante du réel.

En économie:

Elle dénonce le caractère fragmentaire de la pensée, l’absence de valeurs, l’obsession de la croissance pour la croissance.

Elle préconise une croissance comportant une dimension qualitative.

Elle est favorable aux technologies douces ( énergie solaire en particulier)



3. LE TIERS-MONDISME

La figure emblématique de ce courant est René DUMONT qui écrit en 1972 « L’utopie ou la mort ». Ingénieur agronome de formation, il connaît bien les problèmes du sous-développement. L’un des premiers, il plaide pour de nouveaux rapports entre le Nord et le Sud et s’élève contre le gaspillage des ressources naturelles.

Il fut en 1974 le premier candidat écologiste aux présidentielles.



4. L’esprit de mai 68

Les premiers militants écolos viennent plutôt de la composante libertaire/contestataire des acteurs de 68. Parmi eux Brice Lalonde qui créera Génération Ecologie en 1990 avec le soutien de Mitterrand ( surtout pour affaiblir les Verts)

L’esprit de mai 68, c’est d’abord une critique de la vie quotidienne, de la société de consommation.

Guy DEBORD analyse et dénonce la société du spectacle.

Quelques slogans connaissent un certain succès : Consommez plus, vous vivrez moins.

Vivre sans temps mort, jouir sans entraves; Il est interdit d’interdire...

C’est le retour à la campagne, la vie en communauté, les écolos du Larzac ( parmi eux José BOVE ), la vie au naturel, les produits bio, les habits tissés à la main.

La lutte contre le nucléaire joue un rôle fédérateur.

En ville, c’est la contre-culture, importée des USA , avec Gary Snyder, poète du pouvoir vert, Kerouac ( Sur la route )

On peut noter également le lien avec le mouvement hippie.

Remarque: si en France ces écolos font figure de marginaux, aux Etats-Unis, et notamment en Californie, ils ont un certain poids et réussissent à imposer les techniques douces.

Sur le plan des partis politiques, en dehors de la mouvance écologiste, très éparpillée et peu organisée, les partis traditionnels, y compris ceux de gauche, marqués par une longue tradition ouvrière et par le productivisme, intègrent peu l'exigence écologique. Seuls le PSU, puis l'AREV, prennent en compte la nécessité de protéger l'environnement, sans mettre en cause clairement le mythe de la croissance.

LE ROLE DES INTELLECTUELS

Ont contribué à ce mouvement:

dès 1932: Aldous HUXLEY, auteur du Meilleur des Mondes, puis en 1958 du Retour au meilleur des Mondes

Ivan ILLICH : la Convivialité, Libérer l’avenir

Barry COMMONER

Une presse " alternative" a contribué à divulguer ces idées:

Pierre FOURNIER, de Charlie Hebdo, crée la Gueule Ouverte en 1972.

Autre revue : le Sauvage

Le magazine ACTUEL appuie le mouvement écolo aux élections de 1971,1974 et 1977



5. LA CRITIQUE DU SYSTEME ECONOMIQUE

Un précurseur: E.F.SCHUMACHER

Né en Allemagne, devenu britannique après la seconde guerre mondiale, surtout connu pour son ouvrage « Small is beautiful », Schumacher est un précurseur. Sa réflexion sur l’économie inspirera le projet politique des écologistes.

Influencé par Gandhi, il prône une économie non violente qui coopérerait avec la nature au lieu de l’exploiter, ainsi qu’une technologie à visage humain.

Dès 1950, il préconise le recours aux énergies renouvelables (Hubert Reeves, dans son dernier ouvrage "Mal de Terre" - éditions du Seuil- Points- préfère parler d'énergies inépuisables)

Schumacher introduit dans l’économie une échelle des valeurs qui révolutionne la pensée économique.

Il dénonce, comme Ralph Nader, le PNB comme indice de référence:

«Chaque accident de la route se traduit par une progression du produit national brut.»

Il propose un autre système inspiré du bouddhisme: il introduit la notion de subsistance convenable et de bien-être de l’homme.

Cette notion de facteur d’épanouissement humain sera repris quelques décennies plus tard par l’ONU.

Schumacher propose des unités de petite taille mais insiste sur l’idée d’échelle optimale spécifique à chaque activité.

De lui, retenons deux citations:

‘’ Travailler moins et vivre mieux. ‘’

‘’ Dans le système subtil de la nature, la super technologie moderne se comporte comme un corps étranger et nous apercevons d’innombrables signes de rejet. ‘’



HISTORIQUE DU MOUVEMENT ECOLOGISTE

Cinq phases peuvent être définies

1. La gestation, des années 60 à 1973 : des courants très disparates , défendant la nature.

Les premiers militants :

- comités de défense du cadre de vie, protection de l’environnement

- opposants à la force de frappe. Importance de la lutte anti-nucléaire

- groupes antimilitaristes ( contre la guerre du Vietnam )

2. De 1974 à 1976 : l’information prime

Le Sauvage, la Gueule Ouverte, création d’APRE, agence de presse écolo.

3. de 1977 à 1983 : l’émergence politique

450 000 voix aux municipales de 1977 ( il y en avait eu 300 000 à la présidentielle de 1974.

890 000 voix aux Européennes de 1979

1 120 000 à la présidentielle de 1981

Le mouvement écologiste reste dilué.

Les Amis de la Terre, mouvement international créé en 1971, compte en France 160 groupes locaux. Le MEP créé en 1979 après les Européennes, et les inorganisés ( libertaires, groupes locaux)

4. de 1984 à 1993 : la montée en puissance

Création des Verts en 1984. Participation aux élections locales, régionales, européennes. L'écologie politique obtient des élusdans les élections à la proportionnelle.

Cette époque est marquée par le poids d’Antoine Waechter qui impose aux Verts une ligne autonome stricte ( ni gauche ni droite)

5. De 1993 à aujourd’hui

Après l'éviction de Waechter, de nombreux soubresauts secouent la mouvance écologiste:

- tentatives avortées de regroupement des écologistes de gauche ( avec l’AREV, la CAP, etc...)

- éclatement de GE ( CES de Noël Mamère, réseaux divers)

- éclatement de l’écologie dure et autonome, tendance Waechter.

- Les Verts font le choix du réalisme politique et signent un accord avec le PS, qui leur permettra de gérer plusieurs conseils régionaux, d'avoir des députés, des ministres, puis quelques sénateurs.

En 2005: Le combat pour l'écologie est affaibli; les associations (Greenpeace, Sortir du nucléaire, FNE, WWF,etc...) en sont aujourd'hui les meilleurs défenseurs.

Sur le terrain politique, tout est à reconstruire. Même si les Verts continuent de faire des scores honorables, ils ont connu de nombreux renoncements. Leur positionnement vis-à-vis du traité constitutionnel européen montre qu'une majorité d'entre eux ne remet plus en cause le libéralisme qui est pourtant le principal responsable de la crise écologique.

On a noté dernièrement un regain de prise de conscience favorable à la défense de l'environnement, sensible chez des syndicalistes ( notamment CGT ou ex-CGT), avec la relance par quelques groupes ou personnalités de l'idée de diminution de la croissance. Ce mouvement est actuellement en émergence. Avec d'autres, les Alternatifs peuvent contribuer à la mise en place d'une véritable force écologiste, autour d'un projet rouge et vert qui reste encore à construire.


Bernard Caron

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