TRIBUNES LIBRES
     
 
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Immigration 24 juin 2006

Six mois de mobilisation contre la loi sur l’immigration et l’intégration :
Eléments de réflexion mis en débat

La loi sur l’immigration aujourd’hui votée par les deux assemblées affiche l’objectif d’adapter l’immigration aux besoins des entreprises et de la société française. Elle conditionne la délivrance, la durée et le renouvellement des cartes de séjour aux contrats de travail et rend encore plus difficile les mariages mixtes et le regroupement familial.

Une hypocrisie majeure domine cette politique de l’immigration. Chacun sait que de nombreux secteurs de l’économie française continueront à utiliser une main d’œuvre d’autant plus fragilisée qu’elle est clandestine et que cette loi dont l’objectif affiché est la réduction de l’immigration illégale contraindra en réalité encore plus d’immigrés à la clandestinité.

Flexibilisation de la société et année pré-électorale

Ce gouvernement n’a pas été inactif ; c’est bien le seul reproche que l’on ne puisse lui faire. Son action a été guidée par la volonté de rendre plus flexible les structures de la société, notamment de démanteler le droit du travail et de diminuer dans le même temps le coût du travail. Cette flexibilité s’est traduite en précarité pour l’ensemble des travailleurs.

Le CNE rend le travailleur de PME de moins de 20 salariés licenciable sans motif par le patron dans les 2 premières années de son contrat, le CPE aurait créé la même dépendance pour le jeune travailleur jusqu’à 28 ans. En faisant dépendre de façon plus étroite la carte de séjour du travailleur immigré de son contrat de travail, c’est une dépendance encore plus grande par rapport au patron qui est mise en place.

L’introduction de cette loi s’est déroulée en pleine mobilisation sociale de la jeunesse scolarisée, fortement soutenue par les salariés. Cela a eu un double effet contradictoire ; si une fraction importante de la jeunesse a exprimé sa solidarité dans la lutte commune contre la précarité, les médias ont plutôt ignorés durant les quatre premiers mois de l’année la mobilisation naissante.

L’étranger immigré, un bouc émissaire

C’est la deuxième loi sur l’immigration de Sarkozy (la première date de novembre 2003). C’est la première fois qu’un ministre de l’Intérieur fait voter deux lois sur l’immigration dans la même législature.

La période préélectorale n’y est certes pas étrangère. Les thèmes rebattus des dangers d’une immigration soi-disant envahissante, ceux de l’insécurité attribuée aux jeunes de banlieue ainsi que l’amalgame avec l’islamisme y sont habituellement agités. Et ce au grand plaisir de Le Pen, qui n’a pas tort de déclarer que au final les électeurs préfèrent l’original à la copie. En tout cas utiliser ces thèmes dans le débat public banalise le Front national et rend respectable l’intention de vote en sa faveur.

Rappelons que Sarkozy a fixé l’objectif de 25 000 expulsions en 2006, après avoir atteint près de 20 000 expulsions en 2005. La circulaire commune des Ministre de la Justice (sic !) et de l’Intérieur du 21 février 2006 a pour seul but de contribuer à la réalisation de cet objectif : faire du chiffre pour montrer aux électeurs un pouvoir fort et efficace.

Six mois du Collectif « Uni(e)s contre l’immigration jetable » (UCIJ)

Les précédentes lois sur l’immigration et le droit d’asile, votées en novembre et décembre 2003, déjà rendaient plus difficile l’obtention des cartes de séjour et sous le couvert d’une fausse abrogation de la double peine démantelaient le droit d’asile. Les organisations de défense des droits de l’homme et de solidarité avec les immigrés avaient alors tenté de mobiliser contre ces lois. Leurs efforts n’avaient pas eu d’effet.

Fin 2005, ACT-Up, la CIMADE, la FASTI, le GISTI, la LDH, le 9ème Collectif de Sans Papiers rendent publique une déclaration commune dénonçant le danger de la première mouture du nouveau projet de loi.

Début janvier 2006, une première réunion est convoquée au siège de la Ligue des Droits de l’Homme. Le collectif UCIJ est créé ; entre 60 et 100 représentants de partis, syndicats et associations se réuniront chaque lundi durant tout le premier semestre. C’est le premier élément positif : contrairement à 2003, une réelle mobilisation s’organise.

Le Collectif national a tenu un double rôle : collectif d’initiative national et en même temps collectif de mobilisation sur l’Ile de France. Des collectifs locaux se sont constitués dans plusieurs villes non franciliennes, dans quelques arrondissements parisiens et quelques villes ou départements de banlieue. Mais ce phénomène est resté restreint : les mobilisations locales ont le plus souvent souvent été préparées par les noyaux militants se mobilisant habituellement sur les questions de l’immigration.

Le Collectif national a monté un site très documenté avec notamment l’analyse des moutures successives du projet de loi. Cette analyse a été alimentée principalement par le GISTI, la LDH et la FASTI. Mais ce site regroupe également une revue de presse, les annonces des différentes mobilisations, les matériels disponibles ainsi que la pétition nationale en ligne.

Cette pétition recueille à ce jour 85 000 signatures individuelles et celles de plus de 750 associations (les associations déjà citées, les Collectifs de sans papiers, nombre d’associations locales), des partis (Les Verts, le PC, Lutte ouvrière, la LCR, les Alternatifs, Alternative libertaire, le MJS et en mai après plusieurs relances le PS) et des syndicats (la CGT, Solidaires, la FSU, le SAF, le Syndicat de la Magistrature, dernièrement l’UNSA)

Les réunions régulières tenues, les tâches militantes assumées nouent des liens entre organisations et créent un réel collectif, qui est précieux pour le futur. Le Collectif n’a tenu que peu de débats de fond pris par l’organisation de la mobilisation au quotidien. Seulement deux points l’ont divisé, l’un ponctuel sur l’opportunité de rencontrer Sarkozy, l’autre plus permanent sur l’articulation avec l’action des collectifs de sans papiers et sur le mot d’ordre de régularisation des sans papiers. En effet, dans la plate forme du collectif ne figure pas cette revendication et le débat de fond sur la politique de l’immigration souhaitable et l’adoption de ce mot d’ordre n’a pas eu lieu, bien que périodiquement des associations ou des collectifs de sans papiers aient poussé le collectif à adopter ce mot d’ordre.

Une mobilisation militante non négligeable

Le Collectif a organisé plusieurs journées nationales d’action. De nombreuses initiatives se sont déroulées sous la forme de cafés débats, meetings, pique niques, distributions de tracts massives, manifestations de rues…

Le dimanche 2 avril, un grand concert marque l’engagement aux côtés du Collectif de nombreux artistes ; environ 50 000 personnes viendront dans l’après-midi Place de la République. La manifestation de rue la plus importante est la manifestation nationale du 13 mai, qui réunit près de 35 000 personnes de la place de la République à la place Saint Augustin.

En synthèse une mobilisation conséquente, mais qui ne débouche pas sur le raz de marée d’un mouvement large de solidarité. En fait ce sont les milieux de la gauche militante qui sont mobilisés.

Deux éléments positifs : la mobilisation des Eglises et de RESF

Nous ne serions pas complets dans ce panorama, si nous ne signalions pas deux mobilisations nouvelles très positives celle des Eglises et celle du Réseau Educations Sans Frontières.

La mobilisation des Eglises en mai et juin a pris plusieurs formes publiques importantes : déclarations solennelles de responsables des Eglises contre le projet de loi, débat devant un large public à l’Institut Catholique, accueil des sans papiers dans les églises et les temples. Le réseau chrétiens immigrés a joué un rôle d’aiguillon essentiel.

Le réseau éducation sans frontières (RESF) fût créé en juin 2004 à l’initiative d’enseignants et parents d’élèves. RESF a multiplié les mobilisations locales autour d’élèves et parents sans papiers en 2005 et 2006. Le réseau a obtenu des régularisations au cas par cas et contraint Sarkozy à rédiger une circulaire en octobre 2005 repoussant les expulsions à la fin de l’année scolaire 2005-2006. Ce printemps, se sont multipliés les baptêmes républicains dans les mairies. Ces formes de mobilisation autour des écoles permettent de rendre très proche « l’étranger » et mettent en mouvement des personnes et milieux habituellement pas touchés par la solidarité avec les sans papiers.

Une mobilisation des sans papiers limitée

Les manifestations de sans papiers, les occupations de locaux divers ont été nombreuses en ce premier semestre 2006. Des collectifs de sans papiers en sommeil se sont réactivés. En Ile de France, les collectifs de sans papiers notamment avec l’occupation prolongée du SSAE et les rencontres avec le mouvement étudiant ont renoué des liens après la déliquescence de la coordination nationale des collectifs.

Mais on ne peut que le constater : il n’y a pas eu de sortie massive des sans papiers. La répression, les contrôles d’identité, les arrestations aux guichets des préfectures, aux alentours des foyers, dans les quartiers immigrés, dans les transports publics se sont multipliés. Tous les témoignages convergent pour attester à la fois d’une prise de conscience du besoin de réagir face à cette nouvelle loi et du repli provoqué par la peur. Cette peur quotidienne, l’absence de perspective de régularisation importante et la faiblesse du mouvement de soutien expliquent la mobilisation limitée des étrangers sans papiers.

Les immigrés en situation régulière ne se sont pas mobilisés…

Pourtant la loi Sarkozy les vise directement. L’obtention de la carte de résident de 10 ans, qui est la seule carte permettant de sortir de la précarité deviendra encore plus soumise à l’arbitraire, le renouvellement de la carte de séjour salarié sera de plus en plus difficile. Le regroupement familial deviendra un privilège réservé à quelques uns. Toutes ces mesures toucheront les travailleurs étrangers en situation régulière : contrairement à d’autres pays comme l’Italie ou l’Espagne, l’obtention d’une carte de séjour temporaire en France était le plus souvent le premier pas vers une régularisation durable, certes au travers de tracasseries administratives nombreuses et avec une dégradation progressive ces dernières années. La situation pourrait complètement s’inverser ; l’obtention d’une carte de séjour temporaire ne serait plus la première marche vers la carte de 10 ans.

Les Français, enfants de l’immigration, ne se sont pas mobilisés non plus.

Les enfants de l’immigration n’étaient pas nombreux dans les manifestations. Ils étaient très présents dans la révolte des banlieues à l’automne 2005. Leurs problèmes ne sont pas ceux de la régularisation des sans papiers, du droit au séjour, ils ont la nationalité française.

Pourtant la multiplication des contrôles au faciès, la banalisation du racisme au quotidien, le développement de l’agressivité de certaines forces de police les visent directement.

Il y a là un véritable enjeu : comment le mouvement des sans papiers, les mouvements de solidarité peuvent ils nouer des liens de solidarité entre les Français, enfants de l’immigration, et les immigrés plus ou moins récents ? Comment mettre un terme à la stigmatisation de l’immigration, dont ces jeunes français sont eux même victimes et qu’ils finissent par intérioriser ?

Un élément plaisant : l’accueil reçu par Sarkozy au Bénin et au Mali

Les dirigeants africains ont violemment réagi contre la carte compétence et talents. Sarkozy s’est fait apostropher successivement par les présidents du Bénin, du Mali et du Sénégal. Ceux-ci mettent en cause le pillage des cerveaux que cette carte symbolise.

Par ailleurs le FSM de Bamako a permis que se nouent des liens entre anciens immigrés revenus en Afrique, expulsés de France et mouvements d’en France présents au FSM. Plusieurs manifestations en Afrique ont eu lieu mettant en cause la politique de l’immigration du ministre français. Développer ces solidarités, lier le débat sur l’immigration à la question des rapports Nord Sud, voila une nouvelle dimension à approfondir.


Quelles suites ?

Poursuivre la mobilisation


En premier lieu, la mobilisation contre le projet de loi n’est pas terminée : le vote au Sénat a eu lieu courant juin, la commission entre le Sénat et l’Assemblée nationale est saisie pour arbitrage et le vote définitif n’aura lieu qu’à fin juin. Donc la promulgation de la loi n’aura pas lieu avant juillet 2006. Le Conseil constitutionnel sera peut-être saisi (étant donné le nombre de parlementaires nécessaire, cela dépendra de l’attitude du Parti socialiste). La revendication de retrait ou d’abrogation de la loi reste donc à l’ordre du jour. RESF et l’UCIJ appellent à une journée nationale de manifestation le samedi 1er juillet.

Il y a également un risque réel durant l’été de multiplication des expulsions de personnes en situation irrégulière, notamment d’élèves et de leurs parents. Le réseau RESF se prépare à soutenir et cacher les personnes concernées ; plusieurs organisations ont appelé à entrer en résistance, dans l’illégalité si nécessaire.

Pérenniser le collectif UCIJ, approfondir le débat en son sein

Le Collectif en lui-même est un acquis, vu le nombre de personnes et d’organisations ayant pris l’habitude de travailler ensemble. Certes il a connu un certain essoufflement ces dernières semaines ; l’adaptation du rythme des réunions est à l’ordre du jour.

Les obligations et urgences de la mobilisation ont empêché le Collectif d’approfondir le débat en son sein ; tenir ce débat est une condition pour passer d’une mobilisation défensive, centrée sur l’objectif de mettre en échec les expulsions et sur le refus de la loi, à une mobilisation positive pour les mesures que nous voulons voir mises en œuvre. Le projet d’« assises sur la politique de l’immigration » au mois d’octobre ou novembre 2006 répond à ce besoin.

Ce débat sur le fond au sein du Collectif ouvre le risque de révéler des contradictions mettant en cause son unité. Mais ne pas tenir ce débat rendrait le collectif impuissant dans les échéances à venir.

Une politique différente de l’immigration en 2007

La régularisation des sans-papiers est nécessaire pour apurer la situation, mais elle ne suffit pas à constituer une politique de l’immigration.

L’enjeu de 2007 est que s’il y a alternance, une politique alternative en terme de politique de l’immigration soit mise en œuvre. Le PS a signé la charte de l’UCIJ après une longue période d’hésitation. De plus lors des sommets de la gauche il a refusé la demande des Verts et du PC qu’un des débats publics ait pour thème la politique de l’immigration

Les déclarations contradictoires des dirigeants PS sont significatives. L’expérience nous a appris à nous méfier. Il y aura nécessité d’une forte pression si nous voulons voir une autre politique de l’immigration appliquée. Il apparaîtrait illusoire de la réclamer si la régularisation des étrangers présents n’en était la première étape.

Quelques pistes pour une autre politique de l’immigration :

Réhabiliter la défense des droits pour sortir d’une attitude strictement défensive doit guider le mouvement de solidarité avec les immigrés. Nous avons assisté à une rupture : l’habillage sur les droits de l’homme prédominait dans les discours, maintenant la tendance est à rejeter ce discours comme archaïque et signe de bonne conscience naïve. Le cynisme triomphe et les droits sont ouvertement subordonnés aux besoins des entreprises et de la société.

Le Gouvernement veut faire de la carte de séjour temporaire de dérogatoire la règle, et de la carte de résident l’exception. C’est inadmissible : le droit à une vie stable exige la carte de résident.

Le lien entre la bataille pour le droit de vote des résidents étrangers et la régularisation des travailleurs étrangers a progressé. Il est nécessaire de poursuivre dans cette voie en l’élargissant à la question de la lutte contre le racisme (les contrôles au faciès) à la lutte pour l’égalité des droits politiques, sociaux et économiques pour les enfants de l’immigration.

Plus généralement se pose la question de démontrer la solidarité entre les travailleurs, de renouer la solidarité face à une politique de segmentation des catégories et donc des intérêts. Les salariés et chômeurs précaires, les sans-papiers, les immigrés et leurs enfants, sont tous la cible de la politique de précarisation et de flexibilité. Lorsque les travailleurs étrangers voient leur statut fragilisé, avec des conditions de travail, de rémunération hors tout droit du travail, hors tout accord collectif, nous sommes tous visés. Opposons une résistance commune, une solidarité choisie, à la segmentation, à la concurrence du plus au moins précaire que le pouvoir veut nous imposer.

Le Collectif Migrations et Liberté (CMiL), texte transmis par Paul Oriol




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