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Tribune 28 Avril 2008

NPA OU PARTI-MOUVEMENT : POUR ETRE PLUS CLAIR ENCORE


Le débat sur la création d'un nouveau parti anticapitaliste, lancé à l'initiative de la LCR, vient à son heure. Comme l'ont montré une fois de plus les élections municipales récentes, la gauche est en pleine crise. Le Parti socialiste n'est plus qu'une machine électorale ; à son ombre survivent les Verts et le PCF ; l'extrême gauche traditionnelle dévide son discours sans prise sur la réalité. Seul fait nouveau, les listes à gauche de la gauche obtiennent de bons résultats. Elles expriment l'aspiration à une politique résolument orientée à gauche, mais s’affirme aussi et plus fortement qu’auparavant l'aspiration à mettre fin à l’émiettement et à la dispersion à la gauche de la gauche traditionnelle, à la constitution d'une nouvelle force politique rassemblée et pluraliste.

La LCR, avec son projet de NPA, tente d'incarner cette aspiration. Nous devons prendre cette initiative au sérieux, en débattre clairement et sur le fond, ce qui implique de réfléchir à ce que pourrait être une force anticapitaliste tenant compte des expériences du passé ainsi que des conditions politiques, sociales et culturelles de notre époque, et tenter de préciser quelle pourrait être son organisation. Car l’aspiration à une nouvelle force est en soi très positive. Non pas parce qu’elle renforce nos propres convictions, mais parce qu’elle peut et doit nous donner l’élan nécessaire pour débattre et prendre des initiatives, au lieu de rester l’arme au pied et d’attendre des jours meilleurs, après l’épisode de l’après-campagne Bové qui n’a pas permis, à ce jour, de constituer cette nouvelle force que nous voulons.

Nous ne pouvons repousser ou ignorer l'initiative de la LCR en arguant que dans le passé, engagée dans des expériences et des processus unitaires (de la campagne Juquin en 1988 jusqu’au « Non de gauche » en 2005 suivi de la politique isolationniste de la LCR pour les présidentielles de 2007), elle a toujours fini par faire prévaloir son renforcement au détriment de ces structures unitaires et de la possibilité de se fondre dans une organisation plus large. Ce que nous savons de la LCR ne doit pas être oublié ; ce n'est pas là un obstacle infranchissable mais un élément de débat; les pratiques et leurs pesanteurs sont en effet plus parlantes que les proclamations de bonnes intentions. Et ces proclamations d’ouverture sont même parfois contredites, à la lecture attentive de la presse de la LCR ou de la IVe Internationale (1).

Sans ignorer l’histoire et l’absence quasi totale de retour critique de la LCR sur son propre passé, mais sans en faire un préalable au débat, débattons donc sur le fond. Il existe en effet un lien étroit existe entre les pesanteurs de la LCR et la manière dont elle lance son initiative. Il faut donc identifier précisément ce qui fait problème. De ce point de vue, il vaut mieux éviter, quand on interroge légitimement la notion de « centralisme démocratique », de confondre léninisme et stalinisme, comme le fait R.-M. Jennar dans son adresse à D. Bensaid. La LCR vient d'une tradition léniniste que nous ne devons pas assimiler à la tradition stalinienne. A la différence du stalinisme, synonyme de bureaucratie et de terreur, le "léninisme" a été une culture révolutionnaire, mais marquée de pratiques autoritaires, aux conséquences redoutables, dès l’arrivée au pouvoir des bolcheviks ; culture entrée en crise du vivant de Lénine pour cette raison même. Mais c'est parce qu'elle s'appuie sur le meilleur de cette culture que la LCR peut aujourd'hui faire des propositions unitaires, même limitées et très insuffisantes, à la différence des autres organisations d'extrême gauche. Et on peut difficilement exiger d'une organisation qu'elle efface sa mémoire et son histoire et utiliser dans le débat raccourcis et simplifications.

Pour prendre le débat par le bon bout, demandons-nous d'abord quelles sont les fonctions que doit remplir une formation politique qui veut rompre avec le capitalisme, animer pour cela les luttes populaires et les luttes de classes, une formation qui ne se donne pas pour objectif de devenir le parti dominant ou dirigeant, mais d'assurer l'hégémonie, dans la société civile, des idées et des pratiques autogestionnaires. On peut repérer comme fonctions essentielles, sans vouloir être exhaustif : porter la mémoire des luttes indispensable à leur pérennité, assurer la synthèse entre l'expérience et la pratique, l'immédiat et le projet, permettre la théorisation, c'est-à-dire la généralisation des expériences et leur compréhension, prendre des initiatives et faire des propositions publiques pour orienter et développer les luttes.

A la différence des mouvements sociaux qui se fondent chacun sur une question sociale et économique qui est sa raison d'être, ou des mobilisations citoyennes centrées sur un seul objet, la politique qui se réclame de l'anticapitalisme doit assurer la synthèse des luttes dans un projet d'émancipation global. Cela ne peut se faire dans des catégories telles que le rôle d'avant garde du parti ou la conscience venant de l'extérieur des luttes des exploités, issues du léninisme, qui, on l'a bien vu tout au long du 20e siècle, donnent la priorité à l'organisation sur le spontané à tel point que le spontané perd quasiment toute légitimité. Et cela ne peut non plus se faire sur la base d’un paradigme rouge, en reléguant au second plan les références à l’écologie, au féminisme et à la démocratie jusqu’au bout, à la fois comme moyen et comme but. Nous allons y revenir. Mais il faut aussi rompre avec des pratiques bien antérieures au léninisme, telles la subordination du social et du syndical au politique, l'autoritarisme interne, le culte de l'unanimité, la prééminence des élections sur les initiatives populaires ou l'élection comme débouché obligatoire des luttes, la participation aux institutions conçue comme une fin en soi. Et refuser, comme nous l’avons fait dans les deux précédentes décennies dans nos controverses avec les Verts –parti auquel nous avons refusé de nous rallier- le sectarisme (symétrique à celui du PCF) de la subordination des associations et des luttes écologistes aux intérêts du « parti écolo », et la substitution d’un paradigme vert (en simplifiant à l’extrême : tout découlerait de l’écologie et celle-ci aurait réponse à tout) à un paradigme rouge.

Ces formes d'organisation sont aujourd'hui caduques : les modalités de cristallisation d’une conscience anticapitaliste et la construction d’une nouvelle culture d’émancipation appellent à repenser la question du parti et obligent à inventer un autre type de force politique. Le léninisme est caduc et le type de parti qui lui est associé l’est tout autant. C’est donc de ce point de vue, et non pas d’un amalgame entre léninisme et stalinisme, que le centralisme démocratique n’est plus acceptable (2).

Commençons par rompre d’une part avec le centralisme et la verticalité, en donnant la priorité aux formes de décisions les plus démocratiques dans la perspective d'une organisation autogestionnaire; reconnaissons et respectons d'autre part sans restriction et sans exception l'autonomie des mouvements sociaux, de leurs formes, de leurs contenus, de leurs rythmes.


1. L'organisation interne.

Elle est décisive. Après l’échec cuisant des révolutions du XXe siècle, qui se sont rapidement bloquées à leur stade initial, quand elles n'ont pas dégénéré, cette organisation interne donne à voir la sincérité de nos convictions et de notre projet d’émancipation. Ici, la forme rejoint le fond. La forme parti doit être remise en cause au profit du parti-mouvement. Le parti-mouvement associe l'idée de stabilité et de continuité à celle de démocratie active et se dissocie de l'idée de réseau, inadéquate en tant que forme d'organisation interne. Le parti-mouvement s'inspirera de la nouvelle culture en gestation dans le mouvement altermondialiste. Il ne s'agit pas de faire disparaître toute centralité, lieu où les pratiques se socialisent, les idées se confrontent, les décisions se confirment après débat interne, mais de donner la priorité aux droits des adhérents et adhérentes, à la démocratie, à l’expérimentation, au fonctionnement en réseau et au déploiement des initiatives individuelles . La centralité assure sans coercition la démarche collective et sa pérennité. Autogestionnaire dans ses objectifs, le parti-mouvement doit l'être dans son fonctionnement. Sans formalisme ni spontanéisme, les pratiques autogestionnaires doivent être non pas institutionnalisées, ce qui débouche sur la bureaucratie, mais instituantes, c'est-à-dire qu'elles trouvent dans les institutions auxquelles elles donnent naissance leur prolongement et un point d'appui pour de nouvelles conquêtes (3), et non des structures formelles vidées de tout mouvement réel. La rotation des responsabilités et la parité dans tous les lieux de direction sont impératives. Le droit de tendance doit être respecté, même s'il ne suffit pas à assurer la démocratie. Il s'agit de prendre en compte et de favoriser la diversité culturelle et sociale de ses adhérents et adhérentes, la cohérence de l'organisation existant non pas par l'autoritarisme et l'unanimité, mais par la participation de tous et de toutes aux initiatives décidées en commun, à la critique, à l'élaboration de la stratégie, du projet et des programmes. De ce point de vue le centralisme démocratique, même débarrassé de ses caricatures staliniennes, parce qu'il donne la priorité à une centralité devenue centralisme, est caduc. Et la manière dont, dans l’organisation, une majorité traite sa minorité -ou ses minorités- est le meilleur révélateur de la véracité de ses options démocratiques (4).


2. Le parti mouvement et les mouvements sociaux.

Abandonner l'idée de subordonner le social au politique n'est pas renoncer à travailler en commun. Le mouvement altermondialiste a montré que le travail en réseau, ici irremplaçable, et les coopérations horizontales entre syndicats, associations et forces politiques est possible. Le parti-mouvement ne dirigera ni les syndicats, ni les associations, ni les mouvements de masse et ne s'y substituera pas. Il renoncera aux fractions ou tendances politiques dans les syndicats et les associations. Avançons l'expression paradoxale de "coopération conflictuelle" pour exprimer que les luttes communes du politique et du social contre leurs ennemis communs n'excluent nullement les contradictions, les désaccords, et exigent une critique réciproque, de même qu’un débat public et socialisé : le plus grand nombre est concerné.


3. Le projet.

Dans un monde ravagé par le capitalisme mondialisé, l'anticapitalisme doit être le fil rouge du projet. Le féminisme et l'écologie en sont partie intégrante; ce ne sont pas les contradictions secondaires de l'anticapitalisme qui serait la contradiction principale. Simplement, même si les dégâts dans le milieu naturel sont vieux comme l'humanité, ils prennent sous le règne du productivisme capitaliste l'allure d'une catastrophe permanente; et même si la domination subie par les femmes a sa logique et son autonomie propres, elle recoupe l'organisation capitaliste du travail où les femmes occupent toujours, pour le plus grand nombre, une place subalterne. Quant à l’autogestion, elle n’est ni un supplément d’âme ni un objectif lointain pour les lendemains de la prise du pouvoir. L’autogestion est une exigence immédiate, but et moyen à la fois, pratique dans les luttes et aspiration dans le fonctionnement même des structures associatives, syndicales, politiques. L'autogestion ne supprime ni ne remplace la lutte des classes mais rend effective la démocratie dite participative, que nous préférons appeler démocratie active, en l'insérant dans un processus global, celui de l'émancipation sociale. Généralisée à la société tout entière, elle concerne aussi bien les lieux de production au sens large, que les lieux de décision, et implique la lutte contre la bureaucratie et la gestion étatique centralisée. Réapparue en Amérique du Sud, elle est dès aujourd'hui vivace dans l’entreprise comme dans la vie de la cité à travers les aspirations tenaces à la démocratie dite participative. Il s'agit donc d'avancer sur tous les fronts à la fois. Le féminisme, en tant que revendication à l'égalité des droits et qu’expression d’une émancipation spécifique, doit être intégré à la définition d'une société émancipée au même titre que la propriété collective des moyens de production. Les victimes de la crise écologique sont pour l'essentiel les mêmes que les victimes de la crise économique, ce sont les plus pauvres, les plus exploités. La synthèse du rouge et du vert est possible. Elle permettra de se situer clairement à gauche et de reprendre des mains de la gauche traditionnelle en pleine débandade le flambeau de l'émancipation sociale.

Tout cela ne peut se faire qu'en croisant et dépassant les cultures politiques de lutte sociale issues du 20e siècle. Aucune n’est à négliger, chacune porte une part des expériences passées. Aucune n'est sortie indemne des drames qui ont marqué le mouvement ouvrier (5), toutes en subissent les conséquences ; ce dépassement doit se faire en commun. Des milliers d'hommes et de femmes sont prêts à faire cette expérience si on les associe à toutes les étapes de son déroulement. Il faut s'adresser non seulement aux militants et militants des organisations et courants politiques, mais en même temps à toutes celles et tous ceux que l'on retrouve dans les mobilisations féministes, antiracistes, écologistes, sociales, les pratiques autogestionnaires et alternatives, et toutes ces contestations sectorielles qui forment le kaléidoscope de l’altermondialisme.

Une question se pose donc à propos de l'initiative de la LCR : si l'objectif est un rassemblement anticapitaliste, autogestionnaire, féministe, écologiste, et compte tenu du fait qu'actuellement aucune organisation ne peut prétendre posséder la culture qui réalise la synthèse de ces quatre aspects, la seule voie praticable n'est-elle pas de mettre ce projet en œuvre en y associant dès le début organisations, militants et militantes dans des structures unitaires ? Tout doit se faire de bas en haut et non de haut en bas, dans le pluralisme et non pas autour d'une seule organisation. De la base au sommet, aux échelles locale, départementale ou régionale, comme au plan national, toutes les initiatives allant dans ce sens, et permettant de mettre fin à la fragmentation existant à la gauche du PS, sont nécessaires : Etats-Généraux, Forums... Ce n'est pas faire un procès d'intention, ni rompre les ponts que de constater qu'en voulant conduire le processus sous sa seule responsabilité, la direction de la LCR ne prend pas cette voie. Or des questions comme l'indépendance sans sectarisme à l'égard du PS et la présence sans compromission dans les institutions, abordées par R.-M. Jennar et D. Bensaid dans leurs échanges, ne peuvent se régler sans croiser les expériences des différentes cultures et expériences sur ces questions. Pour être plus concret, on ne peut laisser entendre que le refus de gouverner aujourd’hui ou même demain avec le PS, justifié et commun, n’en déplaise à R.-M. Jennar comme D. Bensaid, à l’ensemble de la gauche anti-libérale, impliquerait mécaniquement le refus absolu de toute alliance avec le PS dans les institutions, en particulier les institutions locales, où les exemples d’avancées dans les politiques publiques obtenues par ce type d’alliance, sont très nombreux. Ou alors le slogan « battre la droite » n’est qu’une formule démagogique.

Quand nous disions, dans une précédente contribution, que « La nouvelle culture politique, autogestionnaire, n'est pas seulement le fruit d'une nouvelle pratique politique, elle en est aussi la condition de possibilité », ce n’est pas pour opposer au projet du NPA un autre projet « clé en mains ». Mais le parti-mouvement que nous proposons, avec les caractéristiques développées dans cette contribution, se justifie à nos yeux par une expérience politique profondément marquée par l’émergence de l’altermondialisme voici une dizaine d’années maintenant. Militants des Alternatifs, ne prétendant pas engager notre organisation, nous souhaitons que la gauche alternative débatte avec la LCR, et dans le même temps, s’interroge de manière féconde sur les références politiques qui pourraient être celles d’un parti-mouvement, plus nécessaire que jamais aujourd’hui





Bruno Della Sudda et Romain Testoris, Nice, le 28 avril 2008

(1) On lit dans la dernière livraison d’Inprecor, revue de la IV° Internationale, le texte d’une intéressante intervention de F.Sabado, membre du BP de la LCR et de l’exécutif de la IV° Internationale, faite à une réunion tenue à Sao Paulo (Brésil) en décembre 2007, dans lequel il est dit : « (…)Ainsi, tout en gardant les liens de la LCR avec la IV° Internationale, ce nouveau parti ne sera pas un parti trotskyste ». De même, plus haut dans l’article, sont livrées les références du nouveau parti anticapitaliste. Avant même sa naissance, l’essentiel serait-il donc déjà décidé par l’actuelle direction de la LCR ?
(2) Faute d’une critique argumentée de centralisme démocratique de la part de RM Jennar, D Bensaid peut réaffirmer, en réponse, ses certitudes sur la question, dans des termes quasi intemporels. Instructive est aussi dans la réponse de D Bensaid l’analyse qu’il délivre du mouvement altermondialiste, très réductrice et vidée de la nouvelle culture politique qui caractérise justement l’altermondialisme
(3) Y compris dès aujourd’hui, même s’il s’agit de conquêtes limitées et partielles. Ce qui renvoie à la question des institutions et de l’indépendance sans sectarisme vis-à-vis du PS : voir plus loin dans le texte
(4) De ce point de vue, la récente « affaire Picquet » au sein de la LCR ne jette-t-elle pas une ombre inquiétante sur le futur NPA par les pesanteurs qu'elle révèle en matière d'organisation interne ? Les moyens de l'organisation appartiennent-ils à tous ses membres ou seulement à sa majorité ?
(5) Y compris la culture politique dont se réclame la LCR : le bilan historique des différents courants trotskystes n’est-il pas lui aussi nécessaire, y compris avant de se débarrasser de la référence au trotskisme, comme semble l’avoir décidé la LCR pour le NPA, avant même la naissance de celui-ci ?



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