TRIBUNES LIBRES
     
 
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Contribution au congrès des Alternatifs 29 mars 2005

Faire front!


L'Altermondialisation, le mouvement des mouvements, chaque année s'étend. Il permet l'expression, l'organisation des contestations multiples que suscite l'Empire du profit. A chacune d'entre elles, il donne une force nouvelle, il ouvre de nouvelles perspectives. Mais, condition première de rassemblement de forces sociales capables de s'opposer dans chaque continent , dans chaque pays à l'exploitation et aux dominations, il n'est pas et ne peut être, la condition suffisante de la construction d'une alternative globale. Chacun de ces mouvements se développe en opposition à un rapport social, politique, culturel, écologique spécifique. Il ne peut prétendre à lui seul défendre l'universalité des aspirations humaines ; il n'a pas de justification, ni d'espace pour se constituer en mémoire critique de l'ensemble des conflits et des théories qui jalonnent les luttes d'émancipation des deux siècles passés ; toute tentative de le transformer en parti -en droit ou en fait- est antagonique avec le rassemblement de larges secteurs sociaux sur des objectifs nécessairement limités. Les mouvements de contestation se trouvent ainsi placés devant un dilemme insurmontable. S'ils prétendent prendre place dans les institutions politiques, ils entrent dans une nouvelle logique, ils s'isolent d'une partie de leur base sociale et perdent une grande partie de leur capacité de mobilisation. Si chacun d'entre eux s'en tient à ses revendications propres, il se heurtera aux tactiques des pouvoirs politiques et économiques qui ici auront recours à des concessions modestes qui démobiliseront les moins combatifs, et là a une répression. Ne faisons pas fi des avancées modestes, ne négligeons pas certains compromis positifs, mais n'ignorons pas qu'à la première occasion les pouvoirs en place reprendront les concessions antérieures. Une posture réformiste ne nous conduirait qu'à devenir de nouveaux Sisyphes, remontant éternellement le même rocher.

Est-ce à dire que la Révolution est à l'ordre du jour ? De la période peut-être, du jour certainement pas. Où sont les forces sociales et politiques capables aujourd'hui ou même demain de la mener à bien ? Y-a-t-il un dessein, un projet qui nous permettent de concevoir et de construire un avenir en rupture avec les tentatives du siècle dernier, malheureuses toujours, dramatiques souvent. Les partis de "gauche" seraient-ils porteurs d'une nouvelle conscience, verraient-ils poindre une nouvelle reconnaissance populaire ? Cela est fort douteux pour le dire prudemment. Même si l'on voit s'esquisser la possibilité d'un néo-keynésianisme,'est à dire d'un néo-réformisme, en Amérique Latine. Devant l'extension et la radicalisation de la contestation populaire, les pouvoirs politique et économique états-uniens pourraient y être tentés par un compromis avec les gouvernements de gauche qui se multiplient dans le sous-continent. Cette éventualité redonnerait quelques couleurs à la social-démocratie sur toute la planète, mais elle suppose d'une part que les Etats-Unis s'engagent dans un second new-deal continental et que les gouvernements sud-américains encadrent et contiennent les déferlements populaires. Ce n'est pas impossible mais très hypothétique en l'état actuel.

Le plus vraisemblable est que la social-démocratie connaisse dans son berceau européen, une crise majeure comme elle en a connues quelques unes déjà. Plus qu'aucun autre parti de gauche les sociaux-démocrates, complètement intégrés dans les institutions politiques capitalistes, souffrent de l'inanité des agitations parlementaires. Ils justifiaient, autrefois, leur réformisme par la capacité attribuée à l'Etat, de mettre en cause la prééminence du Capital. En fait, depuis longtemps, ils escomptent que dans une tactique de "gagnant-gagnant", les capitalistes acceptent de nouveaux compromis. Mais avec la mondialisation industrielle et financière les capitalistes n'ont nul besoin de semblable compromis et les Etats ne peuvent durablement s'opposer aux desiderata du Capital, sauf si de puisantes mobilisations populaires viennent à leur secours... L'intégration de ces partis au système conduit à un grand écart entre leur base sociale et les politiques concrètes.Ils ne sont radical que dans l'opposition mais guère dans la gestion.En Allemagne, en Angleterre, en France, au Portugal leur crise est évidente. On voit mal ce qui pourrait arrêter la désaffection qui les frappent ou même empêcher des ruptures organisationnelles.

Dans ces circonstances, moins que jamais, on ne peut ignorer que nombre de leurs militants et la majorité de leur base sociale aspirent réellement à de profondes réformes. Mais constatant qu'il y a plus malheureux qu'eux de par le monde, soumis à la pression idéologique et matérielle du capitalisme, déçus par les échecs des tentatives révolutionnaires, ils ne croient réaliste que cette voie réformiste. La question qui est posée- aux Alternatifs et à quelques autres- c'est de savoir dans quelles conditions, dans quelle perspective, cet attentisme peut être dépassé. Car il n'y aura pas de mobilisation majeure débouchant sur des avancées substantielles, sur des ruptures sans qu'une partie notable de la mouvance réformiste y participe.

Les partis communistes, en survie, ne parviennent pas à dégager de nouvelles perspectives, de nouvelles stratégies . La persistance de quelques réseaux militants et de certaines traditions populaires leur donnent encore quelques capacités à relayer certains mécontentements, mais ils n'ont nullement la possibilité, ni même d'ailleurs la prétention, de préparer des changements sociaux et politiques radicaux. Certains courants de ces partis, porteurs d'une culture marxiste critique, - dont nous espérons qu'ils soient larges - peuvent être d'un apport essentiel pour la construction de nouvelles formes politiques. Mais en tant que tels ces partis ne peuvent être rénovés. Les méfaits pratiques et idéologiques du stalinisme ne peuvent être oubliés, d'autant que les derniers défenseurs de cet héritage en sont souvent réduits à un populisme caricatural.

Et l'extrème-gauche direz-vous ! Depuis des dizaines d'années elle s'efforce de faire passer des orientations , au demeurant souvent contradictoires entre elles, sans jouer d'autre rôle que de permettre l'expression de mécontentements, sans parvenir à trouver une base sociale effective et durable. Les Alternatifs n'ont nullement l' ambition, qui semble encore habiter ceux-ci, de jouer le rôle de "conscience extérieure de la classe", de construire le parti dirigeant la classe ouvrière. Ils ne veulent pas "prendre le pouvoir", ils veulent contribuer à un nouveau système politique, aux pouvoirs du plus grand nombre, à une société d'autogestion généralisée.

Pour cela il y sans doute nécessité de construire au travers des multiples contestations, sociales ,politiques, culturelles, écologistes des instances et des méthodes d'autodétermination. Le mouvement altermondialiste de ce point de vue, nous donne à tous des leçons. Cela ne signifie pas que les partis n'ont plus aucun rôle, mais ce rôle doit changer, l'articulation entre les mouvements sociaux et les partis doit changer. Les nouvelles formes de démocratie active doivent se multiplier, constituant un nouvel acteur au côtés des partis, des syndicats, des associations. Il revient toujours aux partis de mémoriser et d'analyser de façon critique les expériences passées et présentes, de donner une forme théorique et programmatique à ces analyses. Car leur posture dans ou face aux institutions constitutionnelles les obligent à donner - ou s'efforcer de donner- des réponses cohérentes, faisant système; ils sont organiquement voués à la synthèse. C'est dans leurs rangs que se forment les représentations et les cultures politiques. Autant il peut être nécessaire de critiquer les divers partis - grands et petits- qui se réclament de la gauche, autant il faut prendre en compte que sans l'engagement de leur base, tant militante que sociale il n'y aura pas de changements, de ruptures, de révolution. Le problème majeur, qui nous est posé, est non pas de peaufiner notre dénonciation de directions traîtres - cela peut bien sur soulager, mais restera sans effets sérieux- mais de savoir comment la majorité de nos sociétés, exploitée et dominée mais réformiste par conviction ou par désillusion, peut s'engager, contribuer à définir et construire une perspective, une pratique révolutionnaire.

Les derniers développement des luttes et des débats politiques en France, permettent déjà de poser en des termes nouveaux la construction de l'unité populaire. Le FSM génèrent sans l'avoir voulu, des Forums sociaux locaux ; la campagne pour le NON ne prend pas la forme de quelques grands meetings fusionnels mais de centaines de réunions locales ou 200, ou 300 participant(e)s peuvent débattre. Certes les partis s'efforcent trop souvent encore d'occuper la tribune, mais ils savent qu'il faut donner une plus large place aux associatifs, aux syndicalistes, aux sans partis pour que le mouvement se développe. Les débats internes prennent d'autres formes non seulement parmi les Alternatifs, mais aussi à la LCR et même au PC.

Le débat pour savoir s'il faut agir pour un NON sans nuances ou pour un NON de gauche, lors du référendum, est ainsi dépassé. Car dans les comités, nés à la suite de l'appel des 200, les liens militants qui se créent entre hommes et femmes représentatifs informels de multiples contestations, la reconnaissance entre militants du PCF, de la LCR, des Alternatifs souvent du PS et des Verts ne peuvent rester sans conséquences et là, ni la droite souverainiste, ni l'extrême droite ne sont présentes. Faut-il s'en plaindre ? Au soir du référendum nous compterons d'abord les OUI et les NON ; au lendemain du référendum la gauche du NON devra se retrouver. Les problèmes d' alliances électorales -éventuelles mais souvent nécessaires- se poseront différemment, non pas en terme d'allégeances à des partis, mais de débats, de projet, d'initiatives citoyennes


Michel fiant

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