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TRIBUNE ÉCOLOGIE

L'AGRICULTURE PAYSANNE,  RECOMMANDÉE CONTRE LE CANCER ULTRA CAPITALISTE

 

"Pourquoi tout ce ramdam autour de quelques péquenots démontant un Macdo ?" se demandent encore certains. Les mêmes peut-être qui ne comprenaient rien à l'immense mouvement de solidarité autour de la centaine d'éleveurs du Larzac qui luttaient contre l'armée il y a 30 ans. Même si l'adversaire a changé de nature.

Hier l'"État policier". Aujourd'hui, la mondialisation sans visage. Mais, les autorités élues au pouvoir restent du côté des plus forts. L'Etat abandonne des pans entiers de ses prérogatives économiques et sociales, tout en conservant intact son pouvoir répressif. Aux multinationales et aux organismes internationaux qui les servent (Banque Mondiale, OMC, G8...) la définition des règles de la "saine" concurrence, que ne doivent pas entraver protection des travailleurs ou normes de qualité et de protection de l'environnement. Aux États le maintien de l'ordre, essentiel pour le commerce. Et parfois les guerres, qui permettent de tester des armes et d'ouvrir des marchés.

Parmi les opposants au modèle, il peut paraître étrange que les syndicalistes paysans y tiennent une place de choix. Passe encore pour les sans-terres du Brésil et d'ailleurs... Mais nos braves paysans français, ultra-subventionnés et pour beaucoup petits propriétaires ! Et hop, les voilà traités de passéistes crispés sur leurs privilèges. Manque de bol, ce genre d'argument utilisé pour monter les catégories sociales dominées les unes contre les autres, marche de moins en moins bien en France depuis l'hiver 1995. Et tombe carrément à plat concernant José Bové et ses amis de la Confédération Paysanne.

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Maîtrise de l'alimentation...

C'est que leur argumentation tient debout. Tout d'abord, le c¦ur de leur combat est la qualité de la production alimentaire, qui touche tout un chacun. Ils le mènent depuis plus de 20 ans. Ce sont ces "Paysans travailleurs" par exemple qui ont soulevé le problème du veau engraissé aux hormones à la fin des années 70, avec un mot d'ordre de boycott qui a fini par aboutir à l'interdiction des hormones dans l'élevage... Une interdiction aujourd'hui prétexte à des conflits commerciaux avec les USA qui les utilisent massivement. Autre exemple, le long combat pour connaître la composition des aliments du bétail qu'on leur vend, et l'interdiction des farines animales (à l'origine de la BSE, ou maladie de la vache folle) et d'autres additifs comme les antibiotiques, qui peuvent induire des résistances chez l'homme. Ou encore pour l'interdiction de certains pesticides dangereux, au premier chef pour le paysan qui les utilise.

Ils se battent donc pour une agriculture de terroir, maîtresse de sa production, c'est à dire pas inféodée à une chaîne dans laquelle le paysan n'est qu'un maillon, souvent le plus faible. C'est pourquoi on retrouve fréquemment parmi ses adhérents des paysans qui vendent le produit de leur travail en circuit court, ou qui s'associent en coopératives de taille artisanale. En effet, quoi de plus démoralisant, de plus aliénant que de se retrouver simple fournisseur de matière première pour l'industrie. C'était d'ailleurs la revendication fondatrice des Paysans travailleurs dans les années 70, qui luttaient contre les contrats léonins imposés par les industriels aux producteurs de porcs, de volaille et de veaux notamment, pour retrouver des moyens de vivre correctement et de manière autonome. Aujourd'hui ils luttent aussi contre les grandes surfaces qui leur imposent des prix très bas, tout en pratiquant des marges importantes (pourquoi s'agit-il des entreprises les plus prospères ?) en jouant sur leur quasi-monopole. La Confédération Paysanne est aussi à la pointe du combat pour le maintien des marchés de plein-air, mis en danger depuis cette année par une directive européenne imposant aux circuits courts des investissements considérables pour respecter les mêmes normes d'hygiène que les circuits longs de la grande distribution.

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... et autonomie des producteurs

L'agriculture paysanne, ce n'est pas UN mode de production défini pour tous, c'est aussi la reconnaissance de la diversité des productions agricoles, qui correspond à la diversité des écosystèmes. Aux antipodes du modèle standard et stérilisé, représenté dans l'imaginaire collectif par Mac Donald's, où quelle que soit l'heure et le pays on retrouve la même déco, les mêmes produits, les mêmes conditions de travail pour le personnel... Même si, c'est vrai, les filiales nationales signent des contrats d'approvisionnement avec des firmes locales : les normes n'en sont pas moins définies du siège aux USA, et je ne suis pas sûr que le producteur des vaches transformées en steak haché (qui doivent être "moyennes", carcasses classées "R3", ni trop grasses ni trop maigres) soit particulièrement fier de son "débouché", si jamais il est au courant.

Une autre des revendications portées par la Confédération Paysanne, c'est le maintien du maximum de fermes, en rupture totale avec l'évolution depuis 50 ans. "Des voisins plutôt que des terrains !". Il ne s'agit évidemment pas de forcer les urbains à aller s'installer à la campagne. Mais de faire en sorte que l'agrandissement des exploitations ne soit plus l'unique façon d'améliorer son niveau de vie. Bien sûr, l'agriculture n'emploie même pas un actif sur 20 aujourd'hui en France, et moins encore dans la plupart des pays d'Europe. Mais nombre de jeunes, pas forcément de famille paysanne, qui ont choisi des études agricoles, rêvent d'exercer ce métier. Un métier aujourd'hui trop souvent interdit à celui ou celle qui n'hérite pas d'une exploitation, étant donné le capital nécessaire pour acheter le matériel, les bâtiments, le cheptel... et le comportement des banques qui veulent des garanties. La politique agricole européenne renforce largement cet état de fait en attribuant des droits à produire (en fait, des quotas d'aides et de primes)et en permettant la vente, ce qui encourage fréquemment la concentration.

Un tissu agricole et rural dense et diversifié, sera aussi capable de mieux assurer la protection de l'environnement sur lequel il se développe. Le modèle d'agriculture productiviste est confronté à ses limites, depuis longtemps soulignées par la Confédération Paysanne : pollution des rivières et nappes phréatiques, résidus chimiques dans l'environnement et les aliments, destruction des paysages (suppression des haies, ou au contraire abandon des terres marginales qui s'entaillissent, retournement des prairies, comblement des zones d'épandage des rivières...) et son cortège d'incendies, d'érosion, d'inondations. Ces paysages comme l'environnement n'ont en effet pas de valeur marchande. Mais les catastrophes soit-disant "naturelles" ont un prix, humain surtout. Cette fonction collective de protection de l'environnement assumée par l'agriculture paysanne doit être socialement reconnue, avec une réorientation des aides publiques.

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Solidarité internationale

Mais l'agriculture paysanne, ce n'est pas uniquement une revendication pour la France ou l'Europe. Au contraire même. Associée à une centaine de syndicats paysans des 5 continents au sein de VIA CAMPESINA, la Confédération Paysanne lutte ainsi pour un commerce équitable, qui ne soit pas soumis aux règles dictées par les multinationales. Cela inclut en particulier la suppression des subventions actuelles à l'exportation de produits agricoles européens, ce qui ne plaît pas à tous les agriculteurs français, et encore moins aux firmes agroalimentaires. Cela comporte aussi la réorientation de l'"aide au développement", la plupart du temps soumise à des objectifs commerciaux ("je te donne des aides en l'échange de gros contrats... de bâtiments, d'armement..."). Un commerce équitable, cela veut dire aussi une modulation des droits de douanes selon le respect des droits des travailleurs et de l'environnement en vigueur sur le lieu de production des produits agricoles, avec utilisation des taxes pour une vraie aide au développement. Un développement agricole solidaire et durable impose aussi le refus de la privatisation des ressources du patrimoine de l'humanité, comme le génome. Depuis longtemps les firmes semencières font main basse sur les espèces et les variétés cultivées ou sauvages des pays pauvres, puis leurs revendent les semences. Mais, avec le dépôt de brevet sur les gènes et les perspectives de manipulations génétiques, le hold-up prend aujourd'hui une toute autre ampleur. D'où tout l'intérêt de la lutte actuelle contre les OGM et la privatisation du vivant, dans laquelle encore une fois la Confédération Paysanne est en pointe.

Il ne s'agit pas pour nous de déifier ce syndicat, ou de faire de la petite et moyenne paysannerie une nouvelle classe élue. Simplement de constater que les luttes menées par une catégorie sociale qui a été une des premières confrontées à la "globalisation" sont les nôtres, que l'avenir de l'agriculture, ici et dans le Sud, nous concerne tous, et que les réponses esquissées sont largement partagées par les Alternatifs, tant elles marient nos préoccupations autogestionnaires et écologistes.

Émile RONCHON

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