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TRIBUNE FÉMINISME

2002


DÉFENDONS LES PROSTITUÉES, PAS LA PROSTITUTION !

 

Cette tribune répond à la contribution "Ni victimes, ni coupables" publié par Le Monde dont le fil conducteur pouvait se résumer comme suit : le sexe n’est pas une activité humaine "à part", il n’est donc pas un élément essentiel de l’identité individuelle et de l’organisation sociale…la question de la prostitution s’en trouve banalisée. On ne peut que regretter que Le Monde n’ai pas cru bon de publier la réponse féministe. (Groupe femmes des Alternatifs)

"Ni coupables, ni victimes : libres de se prostituer". Beau lyrisme ! Des femmes se disant féministes, mais dont le concours actif dans les combats pour les droits des femmes est jusqu'ici resté pour le moins discret, se découvrent investies d'une mission : défendre les prostituées. N'ayant visiblement de la question que la maigre connaissance qu'en donne l'inévitable et politiquement correcte prostituée-de-service-si-contente-de-l'être chère aux plateaux de télé elles brandissent quelques fortes idées : créer des "espaces de prostitution libre" où puisse s'exercer cet "authentique métier".

Faire vingt passes par jour en prenant du Valium ; être sur le qui-vive "parce qu'on peut toujours tomber sur un cinglé". Voilà bien un authentique métier dont aucune des signataires ne voudrait pour sa fille !

En réalité l'affirmation de liberté de quelques prostituées, et qui n'engage qu'elles, sert de masque à l'enfermement de toutes les autres. Et leur tonitruante revendication individuelle camoufle l'ensemble des causes sociales, économiques et politiques qui poussent à la prostitution les plus vulnérables, les plus abusé(e)s ou précarisée-s. Certes, on comprend que certaines d'entre elles, lasses de subir le mépris, revendiquent un statut. Mais c'est la dignité qu'elles réclament. Persuadées au fond d'elles-mêmes de n'exercer ce sinistre "métier" que de façon transitoire. Espérant sortir au plus vite de cette activité irrespirable, tissée de dégoût, de violence "ordinaire" et de destruction lente. Et oublier. 

La déclaration candide de Mesdames Iacub, Millet et Robbe-Grillet, pathétique dans sa certitude de pourfendre l'ordre moral, est une apologie de l'ordre marchand et de la loi de la jungle. Une vision étonnamment réductrice d'un système aux dimensions internationales, fondé sur les inégalités sociales et les rapports de pouvoir : ceux qu'exercent les hommes sur les femmes, les riches sur les pauvres, les adultes sur les enfants. Une machinerie qui tire des profits faramineux du marché des corps, qui multiplie les trafics d'êtres humains pour alimenter la demande.

Ainsi, la solution tiendrait à la création d'"espaces de prostitution libre". Tant de naïveté confond. Sous leur joli nom, sous les fantasmes, ces espaces-là ont un nom : ce sont des bordels. où pourront à nouveau s'exercer les méthodes des proxénètes, s'organiser leur invisibilité, prospérer leurs prête-noms, leurs moyens de corruption. En les instituant, l’État donnera sa bénédiction à l'enfermement des femmes pour le service sexuel.
Sans idée aucune du "libre choix" qui pousse des femmes et des adolescentes dans pareille galère : dettes à éponger, famille à nourrir, viols et incestes à exorciser etc..., les signataires de ce plaidoyer pro-prostitution délivrent donc un laissez-passer aux proxénètes qui, même dans leurs rêves les plus fous, n'auraient jamais imaginé un tel sésame : le consentement des femmes à être exploitées. Mieux, leur liberté d'être asservies à la loi de 
l'argent et du désir de l'autre. L'ordre va régner dans les bordels. Dans ce meilleur des mondes possible, pressions, chantages, manipulations, violences : tout ce qui fait l'ordinaire de la prostitution seront recouverts d'un silence de mort. Le temps est venu, dans le sillage des Pays-Bas, des services sexuels "contractuels" assortis de conventions collectives, et pourquoi pas, remboursés par la Sécurité sociale.

Quant aux clients, les voilà une nouvelle fois légitimés dans leur irresponsabilité de toujours, leur droit à consommer des femmes comme des pizzas et à voir renouvelée la marchandise. Le règne du consommateur est avancé. Tant pis pour celles que leur itinéraire a condamnés au "service sexuel". Puisqu'on vous dit qu'elles sont libres !
Les lobbyistes pro-prostitution ont été habiles ; feignant de se soucier (bien tardivement) des personnes prostituées, ils ont fait passer leur message : institutionnaliser la prostitution comme métier.
 
Les conséquences ? Désastreuses : pour les femmes, pour l'égalité, pour la notion même de liberté et de démocratie, pour l'avenir. Mais qu'importe l'avenir en ces temps : seul le court terme impose sa loi, et seuls comptent les intérêts, sonnants et trébuchants, du libéralisme.

Mesdames Iacub, Millet et Robbe-Grillet ne font qu'accommoder au goût du jour cette vieillerie : une sous-catégorie d'êtres humains, en priorité des femmes bien entendu, doit être disponible en permanence pour le repos du guerrier, de l'esseulé ou du handicapé. L'homme serait seul doté d'une sexualité, qui plus est "irrrèressible" et fonctionnant à l'urgence. Sous couvert de liberté et d'émancipation sexuelle, s'effectue le recyclage de la 
pire idéologie machiste, et à échelle industrielle.

La prostitution n'est pas contraire aux bonnes mœurs, elle est contraire aux plus élémentaires droits humains. Aussi menons-nous un double combat : contre la répression qui vise les personnes prostituées, et pour une société sans prostitution. Utopie ? Tant mieux ! Car l'utopie est un moteur, une voie à défricher. Une résistance face à la résignation.

Claudine LEGARDINIER et le Collectif national pour les droits des femmes

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