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Une crise plus profonde que prévue


Au terme des deux premiers mois de l’année 2009, il s’avère que la récession dans laquelle les économies occidentales s’engagent est plus profonde que prévue. Le dernier trimestre de l’année 2008 est marqué d’un recul du PIB américain de 6,2% [1] ! Dans ce pays, les prévisions du chômage sont dramatiques : 8,2% en 2009 et 10,3% en 2010 [2]. Si une bonne partie de la croissance du milieu de la décennie était portée par les mises en chantier de nouveaux logements, cette activité a décrue de 75% par rapport à 2005 ! En Europe, si les chocs économiques sont traditionnellement moins violents, ils n’en sont pas moins sévères. Les gouvernements des principaux pays européens anticipent des reculs significatifs de leurs PIB (Royaume Uni : -2,8% ; Allemagne : -2,3% ; France : -1,8%). Dans notre pays, le chômage a bondi d’une façon inhabituelle en janvier 2009 avec 90 000 nouveaux demandeurs d’emploi (+4,3%). Face à cette conjoncture désastreuse, les gouvernements et les banques centrales tentent d’agir pour enrayer la spirale de la récession.

Les banques centrales ont bien entendu utilisé les moyens conventionnels à leur disposition, à savoir les baisses de taux directeur et l’émission de monnaie en faveur des banques commerciales. Ces baisses de taux d’intérêt ont parfois été soudaines comme en témoigne cette baisse de 1,5% le 6 novembre 2008 de la part de la Bank of England. La Banque centrale européenne n’est pas en reste avec deux baisses de 0,5% depuis le début de l’année : du jamais vu de la part de cette institution prudente à orientation monétariste. Il est d’ailleurs intéressant de noter que, contrairement à l’habitude, ces annonces n’ont eu absolument aucun effet sur les marchés financiers et l’on s’achemine partout vers des taux de refinancement nuls : nous aurons bientôt épuisé les ressources de la politique monétaire. Les opérations de refinancement des banques se sont multipliées avec des durées rallongées. Traditionnellement soucieuses de ne recevoir en contrepartie de ces opérations que des actifs de première qualité, elles ont toutes dû abaisser ces critères et accepter des actifs plus risqués. En l’espace de trois mois, le bilan de la BCE a doublé, celui de la Fed a triplé [3]. A côté de ces outils conventionnels, on voit certaines banques centrales se lancer dans des activités nouvelles telles que le financement direct des entreprises aux Etats-Unis et la fourniture de devises aux entreprises au Japon.

De nombreux établissements bancaires, principalement dans le monde anglo-saxon, sont au bord du gouffre. Les gouvernements étasunien comme britannique sont obligés d’intervenir dans ceux-ci, notamment sous forme d’augmentation de capital ce qui revient à des nationalisations de facto. Après 170 milliards de dollars injectés en urgence au mois d’octobre 2008, il s’avère que le gouvernement américain a du apporter un nouveau soutien de 30 milliards de dollars en février 2009. La participation du gouvernement dans Citigroup est aujourd’hui de 36% et des rumeurs courent sur une éventuelle prise de contrôle de Bank of America. Au Royaume-Uni, Royal Bank of Scotland vient de dévoiler une perte abyssale de 24,1 milliards de Livres Sterling, contraignant le gouvernement à augmenter sa participation de 21 milliards de Livres. Devant les menaces de nouvelles dépréciations d’actifs, de nombreuses voix s’élèvent dans le monde financier pour une nationalisation des principaux établissements bancaires destinée à relancer définitivement le crédit et rendre confiance aux investisseurs : brusque retournement de tendance d’un milieu traditionnellement favorable au libéralisme économique.

Les principaux grouvernements de la planète ont désormais recours aux plans de relance pour essayer de conjurer cette récession. L’État en tant qu’acteur économique majeur est capable d’aller à contre-courant des marchés afin d’enrayer la morosité ambiante : schématiquement, il dépense alors que les ménages et entreprises ont, au contraire, tendance à freiner leurs investissements et trains de vie. Le secteur automobile, notamment étasunien, est particulièrement sinistré par le recul des ventes et concentre une partie importante de ces plans de relance. L’inquiétude se porte sur le sort des « Big three » : General Motors, Ford et Chrysler. GM est au bord de la faillite et pour la première fois son management a mentionné le risque de liquidation de l’entreprise. Celle-ci ne survit que grâce à des injections massives et continues de la part du gouvernement : 4 milliards au 31 décembre, 5,4 milliards au 21 janvier, 4 milliards au 17 février ! De plus, un éventuel dépôt de bilan aurait des répercussions en Europe, notamment avec Opel, où GM menace de ne plus soutenir sa filiale. Dans une telle perspective, que fera le gouvernement allemand ? Les avis sont partagés au sein de la coalition entre accepter la faillite (qui profiterait, certes, à Volkswagen mais détruirait de nombreux emplois) ou souscrire à une augmentation de capital d’une entreprise amputée de la plupart de ses brevets qui ont été transférés à la maison-mère aux États-Unis… Si cette situation est extrême outre-Atlantique, elle n’en est pas moins préoccupante dans nos pays. En France, la production a violemment chuté en décembre et janvier avec un niveau égal à 51,6% de ce qu’elle était en 2005 ! Dans les pays européens, diverses mesures ont été prises visant à relancer les ventes d’automobiles à l’instar de la prime à la casse instaurée en France (surnommée Sarkozette) ou encore le renforcement de la participation du FSI [4] dans le capital de Valeo.

Un autre volet essentiel des plans de relance est l’investissement public dans les infrastructures (autoroutes, réseau ferroviaire…), la recherche, les équipements de défense et de sécurité, le patrimoine, les entreprises publiques et les collectivités locales. Dans le cas français, ces investissements ont été augmentés de 10,5 milliards d’euros. En comparaison, les dépenses directement affectées au pouvoir d’achat des ménages à bas revenus étaient ridiculement basses : 800 millions d’euros affectés à la prime de solidarité active, précédant la mise en place du RSA en juin 2009. C’est sans doute dans ce déséquilibre entre les milliards affectés à la sauvetage du secteur bancaire et une relance essentiellement orientée vers les investissements et non le pouvoir d’achat qui explique le succès de la mobilisation syndicale du 29 janvier 2009. Cette journée d’action aura permis de rajouter un volet social de 2,6 milliards d’euros au plan de relance [5].

Un aspect nouveau de ces plans de relance serait le contenu écologique de ceux-ci. Une récente étude d’HSBC a tenté de chiffrer le pourcentage écologique de chaque plan de relance, la palme revenant à la Corée du Sud avec une part de 80,5% ! La part écologique du plan de relance français serait de 21,2%. Cette étude est l’exemple même du mirage de l’éco-capitalisme : sont, entre autres, comptabilisées dans ce pourcentage les aides au secteur automobile qui seraient affectées à la recherche de véhicules moins polluants ! A cet égard, il convient de rappeler cette évidence : parce que le capitalisme est d’essence marchande, toute prise en compte du facteur écologique dans la production revient à renchérir les prix et donc amoindrir la productivité. Voilà qui explique les nombreux tours de passe-passe auxquels se livrent les partisans d’un nouveau capitalisme soit-disant vert.

La nature profonde des plans de relance gouvernementaux éclate aujourd’hui au grand jour. L’endettement des ménages est un facteur essentiel d’obtention de flux de trésorerie libres pour les entreprises. Ceux-ci facilitent le versement de dividendes qui permettent la valorisation du capital. Cet endettement n’a pu être possible que grâce à un secteur bancaire n’hésitant pas à endetter les ménages au-delà de l’entendement et de la décence. Cette machine ayant été brusquement cassée par la crise des « subprime », ce sont désormais les États qui prennent la relève en s’endettant à leur tour par des déficits budgétaires massifs.

Alors qu’en novembre, le gouvernement Sarkzy-Fillon annonçait un déficit budgétaire de 4% du PIB pour 2009, celui-ci a bien été obligé de reconnaître qu’il sera de l’ordre de 5,5%. Que l’on se rassure, le gouvernement français est battu à plate couture par l’Espagne qui envisage 6,2%, le Royaume-Uni, 8,8% et l’Irlande, 11%. Nous sommes désormais très loin des critères de stabilité du Traité de Maastricht. Quoiqu’il en soit, de tous les pays occidentaux, les États-Unis sont les plus agressifs avec un déficit public anticipé de 1753 milliards de dollars pour 2009. Pour mémoire, le déficit de 2008, qui restera un des plus important du passé, n’était que de 455 milliards de dollars. Exprimé en pourcentage du PIB, cela fait 12,3%. Mais rapporté au budget de l’État lui-même, cela veut tout simplement dire que pour six dollars encaissés, l’État en dépense dix ! Dans ces conditions, l’objectif de Barack Obama de revenir à une situation normale en 2011 pourrait tenir de la promesse d’ivrogne.

La question qui vient immédiatement à l’esprit est de savoir comment ces déficits vont être financés. Dans le contexte de la débâcle boursière de ces derniers mois, les gouvernements n’ont aucun mal à emprunter sur les marchés financiers en quête de placements sûrs. Mais en cas de succès de ces plans de relance qui se traduirait par une reprise économique accompagnée d’une hausse des valeurs boursières, ne risque-t-on pas d’assister à un krach obligataire se traduisant par une remontée des taux d’intérêt de la dette publique ? Comment, dans un tel cas, les gouvernements pourront-ils alors réduire cette dette ? Il n’y a guère que deux solutions : l’augmentation des impôts ou le recours à l’inflation. C’est sans doute dans ce contexte que l’on doit interpréter les récentes annonces des gouvernements étasunien et britannique de relèvement des impôts sur les hauts revenus. C’est aussi dans ce contexte que l’on peut comprendre le changement de ton de nombreux gouvernements européens à l’égard des paradis fiscaux. Nous venons définitivement de tourner la page du néolibéralisme sans connaître exactement le futur équilibre du capitalisme de demain… si le capitalisme perdure.

Pour l’instant, toutes ces mesures n’ont nullement convaincu les marchés boursiers qui poursuivent leur descente aux enfers. Sur les deux premiers mois de l’année 2008, le Dow Jones a cédé 24,49%, le CAC40, 21,24%. Aucun marché boursier n’est épargné à la seule exception de la bourse de Shanghai qui affiche une progression de 19,65% ! Indiscutablement, nous assistons là-bas à la confirmation d’un nouveau capitalisme en pleine expansion. Alors que la croissance chinoise était essentiellement tirée par les exportations, le gouvernement est en train de prendre les mesures qui permettront d’orienter de façon plus soutenue la production en direction de la consommation intérieure. Leur dernier plan de relance, dévoilé lors de l’ouverture de la session parlementaire de l’Assemblée nationale, est gigantesque : 1162 milliards d’euros, soit 33% du PIB ! Il faut dire qu’avec un endettement de seulement 20,9% du PIB, ce pays dispose encore de nombreuses cartouches ! L’objectif de ce gouvernement est de promouvoir une croissance de 8% cette année. C’est certes loin des taux de 12% que nous avions connus mais cette croissance ferait rêver plus d’un dirigeant occidental. En tout cas, la bourse de Shanghai a répondu positivement à cette annonce : nous sommes décidément loin de la morosité des places occidentales. Qu’on ne s’y trompe pas : la récession mondiale a des conséquences sociales catastrophiques dans ce pays avec plus de 20 millions de travailleurs immédiatement sans travail. Il y existe de nombreuses luttes sociales mais celles-ci ne devraient nullement tendre à une remise en cause d’un capitalisme qui devrait conserver une croissance significative sur les prochaines années. Cette émergence de la Chine en tant que pays se montrant capable de faire front à la crise comparé au marasme assourdissant des pays occidentaux est sans doute la leçon géopolitique la plus forte de ce début d’année.

Nous vivons donc une crise majeure du système capitaliste dans les principaux pays. Depuis le début de la crise, les classes dirigeantes sont face à une alternative : ne rien faire et laisser le marché s’autoréguler ou au contraire faire intervenir massivement l’État dans l’économie quitte à abandonner temporairement ses croyances libérales. Il apparaît que le premier point de vue est ultra-minoritaire et ne trouve grâce que dans les milieux ultra-conservateurs étasuniens. Il est clair qu’un tel scénario mènerait droit, dans le pire des cas, à la barbarie la plus totale, dans le meilleur des cas, à la révolution sociale, mais en aucun cas à la sauvegarde du capitalisme. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre que la totalité des gouvernements ont choisi la seconde option.

Dans les pays occidentaux, les organisations syndicales, les associations de chômeurs et de retraités, les mouvements écologistes et de consommateurs présentent des revendications différenciées mais qui, toutes, remettent en cause la rentabilité du capital. Dans ce contexte, les gouvernements tendent à se substituer aux entreprises pour répondre de façon très partielle à ces besoins tout en s’endettant, ce qui facilite en retour la formation de profits pour les entreprises : cependant, comme nous l’avons vu, cet exercice sera périlleux et si nous sommes définitivement sortis du néolibéralisme, rien n’indique à ce jour que nous ayons une nouvelle formule stable d’accumulation du capital.

Si la revendication d’une orientation plus sociale des plans de relance est une revendication syndicale immédiate et légitime, nous aurions cependant tort, en tant qu’organisation politique autogestionnaire de soutenir ou de favoriser quelque plan de relance que ce soit, dans la mesure où ceux-ci n’ont pas d’autre objectif que de sauver le capitalisme par une relance de la croissance. Notre rôle est de soutenir les revendications sociales et écologiques, tout en montrant que la satisfaction de celles-ci passe par une remise en cause définitive des profits et cela suppose donc que les entreprises ne soient plus gérées par les détenteurs de capitaux mais par les travailleurs, les usagers et citoyens, ce qui nous ferait sortir de facto du capitalisme. C’est la seule voie à suivre pour aboutir à une société émancipée dans laquelle la production répond aux seuls besoins de la population et qui, de ce point de vue, n’impose ni la croissance, ni la décroissance mais le retour en force de la valeur d’usage.

Enfin, un autre mot apparaît de plus en plus dans les débats : le protectionnisme. Chaque pays accuse plus ou moins les autres de protectionnisme scrutant leurs plans de relance respectifs. C’est l’Union européenne qui a ouvert le bal pointant une clause du plan de relance étasunien mentionnant l’obligation d’acheter des aciers fabriqués localement. C’est la présidence tchèque de l’Union européenne qui dénonce les plans ouest-européens de soutien au secteur automobile exigeant le maintien des emplois dans leurs pays respectifs. D’une façon plus générale, l’OCDE dénonce une contraction des échanges mondiaux, contraction qui, toutefois, reste en ligne avec la récession mondiale annoncée. Certains économistes, notamment à gauche de l’échiquier politique, prônent ouvertement le recours au protectionnisme comme moyen de garantir l’emploi et les salaires [6]. Que l’on soit clair, si le libre-échange est effectivement « la liberté qu’à le capital d’écraser le travailleur » [7], les barrières douanières, n’ont d’autre objectif que de permettre au capital national de prospérer à l’intérieur de ses frontières et s’opposent de facto à l’altermondialisme. Là encore, l’alternative réside dans l’appropriation collective des moyens de production qui permet de déconnecter les revenus du travail fourni, qui permet ainsi de « subventionner » certaines activités économiques par rapport à d’autres, ce qui, de l’avis de la majeure partie des économistes constitue la réponse la moins couteuse pour tous en terme de protection sociale des productions locales [8].

Notes

[1] Il va de soi qu’en tant qu’Alternatifs, nous n’assimilons pas le succès ou l’échec d’une économie au seul PIB. Cependant, le capitalisme, en tant que système économique, supporte difficilement les récessions et un recul du PIB plus ou moins prononcé reste un signal pertinent de la crise de ce système.

[2] Alors que depuis 1945, le taux de chômage dans ce pays oscille autour des 5%. A noter aussi qu’il n’est pas exactement comptabilisé de la même façon que chez nous et que de nombreux économistes considèrent qu’il est traditionnellement sous-estimé.

[3] Ce qui signifie que les banques centrales interviennent de plus en plus directement dans l’économie, sortant ainsi de leur rôle de simple régulateur du système bancaire.

[4] Fonds Stratégique d’Investissement. Il s’agit du nouveau fonds souverain français essentiellement destiné à des prises de participation nationales.

[5] Dont une partie correspond à des aides aux entreprises pour financer le chômage partiel.

[6] Voir à cet égard le dossier sur le protectionnisme (page 18 à 22) du numéro 660 (mars 2009) du Monde diplomatique.

[7] Karl Marx. Expression utilisée dans un discours prononcé devant l’association démocratique de Bruxelles, le 7 janvier 1848.

[8] Bernard Guillochon, « Le Protectionnisme », Editions La Découverte, Collection Repères, 2001.



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