TRIBUNE POLITIQUE FRANÇAISE |
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NATION / RÉGION / RÉFLEXION
Les accords de Matignon ont, à l’évidence, ouvert
un débat au sein des Alternatifs. Le débat porte à la fois sur les
enjeux d’une nouvelle étape de la décentralisation et sur les réponses
à apporter aux revendications linguistiques et culturelles qui
s‘expriment dans plusieurs régions de l’Hexagone. Seul sera abordé
ce dernier point.
1/ Quelques repères
Une réponse alternative pourrait s’articuler de la
manière suivante :
1-1/ Les Alternatifs prennent en compte, pour
la construction d’identités individuelles et collectives, l’héritage
de l’histoire, le genre (identités sexuées), les traits culturels et
linguistiques, la place des individus dans les rapports de production.
Aucune identité de peut être considérée comme unidimensionnelle. Le
fil conducteur de notre action est la lutte pour les émancipations
collectives et individuelles, donc contre l’exploitation capitaliste,
les aliénations et les oppressions.
1-2/ Les Alternatifs refusent les concepts
identitaires basés sur “le sol et le sang”.Les communautés
humaines sont pour nous communautés de destin, donc ouvertes. Partisans
du droit du sol dans l’hexagone nous le sommes aussi en régions, et
condamnons sans appel les slogans comme “les arabes dehors” ou
“les français dehors” défendus par telle ou telle frange
nationaliste, en Corse comme ailleurs.
1-3/ Les Alternatifs reconnaissent
l’existence, dans notre pays, de communautés linguistiques et
culturelles fruit de l’histoire donc d’une construction identitaire
commune. Cette reconnaissance ne se perçoit pas comme globalement
antagonique a la construction identitaire et politique commune, a la
"communauté de destin" qu’a été la nation française, pas
plus qu’aux identités de genre ou de classe.
1-4/ La combinaison des identités
“nationale” et “régionale” est en France un trait très
marquant, à la différence de la situation dans d’autres pays d’Europe
de l’Ouest et a fortiori- d’Europe de l’Est- où les polarisations
s’expriment parfois avec violence.. Dans les régions de l’Hexagone
de langues et cultures spécifiques cette combinaison région/nation
traverse, non sans conflits, de larges secteurs de la population.(et les
individus!). S’il est, pour nous, légitime, sous réserve du refus
des logiques d’exclusion, de se vouloir “seulement français” ou
“seulement breton ou alsacien”, voire “seulement européen ou
citoyen du monde”, la complexité prédomine et cette complexité est
féconde.
Dans la continuité du courant autogestionnaire, les Alternatifs,
doivent gérer la contradiction suivante:
1-5/ Ils reconnaissent le droit de communautés
historiques culturelles et linguistiques (corse, bretonne, basque,
alsacienne…) -pour peu qu'une volonté s’exprime majoritairement -
à la construction d’un cadre politique séparé, sous réserve que le
processus soit mené démocratiquement et ne conduise pas à la
violation des droits d’individus et groupes ne s’y reconnaissant
pas. Dans aucune région française un tel processus de constitution
collective ne peut être actuellement considéré comme majoritaire.
En même temps…
1-6/ Ils sont favorables à la construction
de cadres politiques toujours plus larges, fixant les règles d’un
vivre en commun et garantissant droits sociaux et citoyens.
Ils s’appuient donc, chaque fois que nécessaire, sur les acquis démocratiques
culturels et sociaux construits au niveau national, mais sont favorables
chaque fois que possible, à la construction de cadres plus larges que
l’"État-Nation”, notamment au niveau européen.
Les contenus doivent primer sur les frontières: les Alternatifs sont
donc favorables à une nouvelle répartition des pouvoirs entre régions,
nation, Europe, et à l’élargissement à tous ces niveaux des acquis
sociaux, culturels, démocratiques, et en terme de développement
soutenable, plutôt qu’à la construction de micro-etats (sauf
lorsque, comme dans les Balkans, les conflits atteignent un niveau de
violence faisant de la séparation étatique, au moins de manière
transitoire, un moindre mal et la condition de la construction d’un
“vivre ensemble” à long terme).
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2/ Quelques réponses
Les réponses à la revendication linguistique et
culturelle en régions peuvent se construire autour des objectifs
suivants :
Une "réparation historique" mais pas une révision
historique
Depuis plusieurs siècles, l’Etat français, sous
ses diverses formes, a mené une action de longue haleine pour la généralisation
de la langue nationale et au détriment des parlers et langues dominés.
Notons cependant que cette politique, dont la dimension répressive est
incontestable, ne peut être analysée à partir des connaissances
actuelles en linguistique: la répression exercée par exemple dans le
cadre de l’Ecole par les instituteurs de la fin du XIXe et de la première
moitié du XXe siècle partait le plus souvent de “bonnes
intentions”, de même l’abandon des langues des régions fut dans
beaucoup de cas consenti en même temps qu’il était regretté.
Il n’en reste pas mois que le pluralisme linguistique est une
richesse, et que les Alternatifs ne confondent pas valeurs communes et
unicité linguistique, la formule “un peuple = une langue” n’est
pas la nôtre, même si l’existence d’une langue nationale commune
est un acquis.
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La reconnaissance de la territorialité des langues.
Ce principe rompt incontestablement avec la logique républicaine
classique… mais est largement mis en oeuvre (sans levée particulière
de boucliers), notamment depuis la Circulaire Savary de 1982, qui permet
l’apprentissage précoce des langues des régions dans le cadre des
horaire scolaires. Cette reconnaissance a des implications très concrètes,
à la fois pour l’organisation du système scolaire mais aussi par
exemple pour la programmation de stations de FR3 en régions ou la
toponymie.
Dans le système scolaire un droit reconnu et appliqué
mais pas une obligation.
Dans plusieurs régions l’Éducation Nationale
freine le développement des l’enseignement en langues régionales
pour des raisons de fond (un peuple = une langue) ou en l'absence d'une
politique active de formation des enseignants. Les syndicats
d’enseignants et les associations de parents défendent des positions
diverses selon les régions, voire au sein d’une même région.
Les Alternatifs pourraient préconiser :
-
le droit imprescriptible à un enseignement en
langue régionale, en fixant, par exemple le seuil d’ouverture
d’une classe (puis d’une filière) à 15 élèves, ce qui
permettrait de ne pas trop pénaliser le milieu rural (en Alsace,
l’administration fixe parfois ce seuil à 24 ou 28 demandes, ce
qui exclut de fait les enfants des régions rurales…encore
fortement germanophones),
-
le développement de l’enseignement intensif
(immersion ou enseignement bilingue paritaire soit 13h en français/13h
en langue de la région) sur la base du volontariat des familles,
donc bien sûr sans en faire une obligation.
-
Cette combinaison d’un droit reconnu et appliqué
sans chausse-trappes par l’Administration scolaire et du libre
choix des parents serait de nature à éviter des guerres scolaires
qui n’ont pas lieu d’être.
-
Une sensibilisation à l’histoire, la langue et
culture régionale pour les élèves dont les parents n’auraient
pas choisi l’enseignement intensif.
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Par ailleurs des mesures doivent être prises pour
garantir et renforcer la présence sociale des langues régionales :
-
des programmes télévisés plus ambitieux sur FR3
(décrochages régionaux permettant la diffusion d’émissions aux
heures de grande écoute),
-
la mise en place de programmes radio généralistes
en langue régionale sur les stations de service public (par exemple
de 7h à 20h en modulation de fréquence).
-
le développement d’une toponymie bilingue,
-
la mise en place dans les principales villes
concernées de maisons des cultures régionales, lieux
d’information et de création,
-
l’aide à la production théâtrale et musicale
en langues des régions, ainsi qu’un effort particulier de création
artistique à destination du jeune public,
-
les mesures à prendre dans ces trois derniers
domaines sont, pour l’essentiel, du ressort des collectivités
territoriales.
Bref une approche décrispée et une politique
volontariste sont pleinement compatibles.
Jean-Jacques BOISLAROUSSIE